L'habit ne fait pas le... - Forum protestant

Regards et paroles de mannequin, styliste, pasteur sur la beauté, l’apparence et l’habit, l’armure que l’on se donne et celle que l’on rejette.

Écouter l’émission Solaé Le rendez-vous protestant (23 janvier 2022, présenté par Jean-Luc Gadreau et réalisé par Delphine Lemer).

 

Jean-Luc Gadreau: La Fashion Week Haute Couture printemps-été nous donne l’occasion de réfléchir sur les liens, possibles ou non, entre mode et foi chrétienne. «L’habit ne fait pas le moine», dit-on, et, pourrait-on dire aussi, pourquoi pas, «la robe ne fait pas le pasteur». Comment l’apparence intervient-elle dans l’exercice du ministère? Comment le look intervient-il dans le témoignage? Quelle importance donner à notre image? Et peut-on aussi exercer des métiers en lien direct avec l’esthétique, où le corps est l’enjeu? Et derrière tout, finalement, la place de la beauté: beauté du diable, beauté de Dieu?

 

Se rapprocher de la beauté

Léa Rychen: Qu’est-ce que la beauté? Selon que vous êtes ou non du matin et que vous avez ou pas déjà bu votre café, vous pourriez éventuellement donner une réponse à cette question. Mais puisqu’à l’heure où j’y réfléchis, je me trouve seule devant mon ordi, je me lance et je pose la question à Google. J’y tombe sur quelques pistes de réflexions intéressantes qui flirtent entre l’abstraction artistique et les généralités philosophiques: «la beauté est dans la diversit黫la beauté n’est que surface», «la vraie beauté se cache à l’intérieur», etc.

En pole position, je trouve aussi une citation dans la langue de Shakespeare: «Beauty is in the eye of the beholder» ou «la beauté est dans l’œil de celui qui regarde». J’essaie de me documenter un peu et j’en recherche l’origine. Comme beaucoup de phrases bien faites, les origines sont plutôt troubles. On l’attribue souvent à Oscar Wilde qui la cite dans son essai Le Déclin du mensonge de 1891 mais d’autres œuvres l’auraient apparemment mentionnée avant lui. Si on remonte jusqu’à des siècles plus tôt, Platon déjà formulait dans l’Hippias majeur la même réflexion. Qu’est-ce qui dans notre œil nous fait voir la beauté?

Si l’on déroule dans l’autre sens le fil de l’histoire, la modernité vient tout d’un coup titiller nos certitudes dans un élan provocateur. C’est de carcasse dont il est fait l’éloge et la poésie de nous confronter encore à notre incapacité de répondre à la question plus tôt posée. Avec Baudelaire et sa Charogne, on nous apprend à trouver la beauté dans le laid. Cette question est un vrai terrain de jeu pour les philosophes et les poètes mais c’est aussi un réel besoin existentiel parce que, du moche, il y en a partout: autour de nous mais aussi à l’intérieur de nous. Si la beauté est dans l’œil de ceux qui regardent, comment fait-on quand notre œil est fichu? Est-ce qu’on se résigne dans un élan de fatalité à ne plus baigner que dans le laid? Peut-être qu’il nous faudra changer nos yeux (éduquer notre regard)?

Au vu de la quantité sur Terre de terrible et d’affreux, je dis «Vive les Fashion Week et l’esthétique», et tout ce qui nous pousse à chercher, tant bien que mal, la beauté! Je vous propose ce que me dit mon œil à moi: la beauté, la vraie, je m’en rapproche quand je m’approche de celui qui m’a créée, le Créateur de tous les créateurs et des spectateurs; l’origine même du beau et du vrai, c’est celui qui m’aide à sublimer le laid. «Et la parole s’est faite chair, pleine de grâce et de vérité, et nous avons contemplé sa gloire. Une gloire comme celle du fils unique venu du père» (Jean 1,14). Et si, par lui, on se laissait transformer?

 

Qui je suis?

Jean-Luc Gadreau: «Se laisser transformer»… Je suis certain que ça résonne bien avec les idées qui portent le travail de F. Pastoral. Derrière ce nom, deux personnes: Philippe François, de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine, et Virginie Faux, costumière, restauratrice, spécialiste des robes médiévales. Et puis, sans doute que la transformation et ce rapport à l’œil, au regard, va intéresser également ma troisième invitée car c’est une approche qui compte terriblement pour elle: Cindy Kwakye Babin est mannequin professionnel et créatrice de contenus autour de la foi en Christ mais également autour de la beauté et du mannequinat sur les réseaux sociaux. Cindy, ce regard dont parlait Léa, ce regard qui se pose sur le mannequin, ça se vit comment?

Cindy Kwakye Babin: Ce n’est pas tout le temps facile parce que, finalement, notre beauté est justement déterminée par le regard de l’autre, comme l’a dit Léa, et il faut vraiment se connaitre, se réconcilier avec soi intérieurement et avoir un vrai pilier stable pour pouvoir passer outre les remarques négatives qui peuvent être faites sur notre corps: qu’on n’est pas assez mince, qu’on est trop mince, etc. Sinon, ce n’est pas évident! Pour moi, cela passe justement par le regard du Créateur. Qu’est-ce qu’il dit de moi? C’est ce que j’essaie de partager au travers de mes réseaux sociaux ou de toutes mes interventions.

Jean-Luc Gadreau: Il y a l’idée de l’acceptation de soi-même.

Cindy Kwakye Babin: C’est exactement ça. C’est, vraiment, arriver à se détacher des standards de beauté que la société impose et qui en plus varient d’un pays à l’autre. Étant métisse, je suis née et j’ai grandi en Côte d’Ivoire. Là-bas, on me dit tous les jours: «Mais mange!». Et ici, c’est l’inverse… Quand j’ai commencé le mannequinat, on me disait: «Tu as trop de hanches», «Tu as trop de muscles» (parce qu’en plus, je faisais du sport!). Et là je tombais de haut. Finalement, tu te dis: qui je suis (c’est vraiment la question)? Comment je fais pour trouver ma place? De là est parti un vrai travail de reconstruction. Il faut chercher à se connaitre, surtout intérieurement, et s’affirmer.

 

Des robes et des pasteur·e·s

Jean-Luc Gadreau: Philippe et Virginie, je reprenais en introduction ce dicton («L’habit ne fait pas le moine») mais avec vous, ce n’est pas une boutade: la robe peut vraiment faire, ou transformer, le ou la pasteur·e.

Virginie Faux: Oui, la robe peut transformer le ou la pasteur·e, et inversement le pasteur en choisissant sa robe en fait aussi un objet qui est perçu différemment.

Jean-Luc Gadreau: Et justement, ce travail que vous avez entrepris sur les robes pastorales est lié semble-t-il à l’émergence d’une nouvelle génération de pasteur·e·s, au féminin et au masculin, parce que les hommes aussi portent la robe chez les pasteurs, dans les Églises luthéro-réformées en particulier.

Virginie Faux: Oui, les jeunes pasteur·e·s représentent pour l’instant une grosse partie de ma clientèle. Il y a notamment énormément de femmes qui arrivent dans le métier de pasteur·e. Ils n’ont plus du tout envie de cette robe très classique, très encombrante, qui cache vraiment la personne et qui ne rend rien de leur personnalité à eux.

Jean-Luc Gadreau: Et pour les femmes pasteures, c’est une robe qui n’est pas franchement très féminine.

Virginie Faux: C’est vrai qu’à l’origine, c’est fait pour les hommes puisque c’est la robe universitaire, à une époque où seuls les hommes avaient ce statut. Mais oui, elles veulent quelque chose de féminin et elles n’ont pas envie de se cacher en tant que femmes.

Jean-Luc Gadreau: Philippe, pour celui qui ne connait pas, cette robe pastorale peut un peu ressembler à une robe d’avocat. Décryptez-nous la robe pastorale.

Philippe François: La robe pastorale est en fait la robe universitaire. C’est le signe que le pasteur a fait les études universitaires demandées par toutes les Églises luthéro-réformées (correspondant à peu près, si on prend le système actuel, à Bac+5, master, master pro). C’est le cas en tout cas pour les Églises d’Alsace-Moselle puisqu’il faut aller à l’Université de Strasbourg décrocher ce diplôme. C’est le signe qu’on a fait des études et, pour le dire de façon un peu symbolique, qu’on maitrise les langues bibliques, c’est-à-dire dire qu’on peut lire la Bible dans le texte d’origine, en hébreu pour l’Ancien Testament et en grec pour le Nouveau Testament. Après, il y a de petites distinctions selon les traditions protestantes. Selon qu’on soit réformé ou luthérien, ce n’est pas tout à fait la même robe. Et puis il y a le rabat (un petit morceau de tissu blanc au niveau du col) qui est divisé en deux et qui peut représenter l’Ancien Testament et le Nouveau Testament ou alors les tables de la loi.

Jean-Luc Gadreau: Aujourd’hui, est-ce que tous les pasteurs la portent dans l’Église luthéro-réformée?

Philippe François: Depuis les années 1970, il y a trois possibilités: soit vous avez la robe pastorale noire (la robe universitaire), soit vous avez l’aube blanche (rattachée à une tradition un peu plus catholique ou catholicisante), soit vous êtres en civil (en costume, par exemple). C’est laissé au choix des pasteurs qui, en fait, choisissent en général avec la communauté, elle aussi appelée à se prononcer sur ce sujet. Et puis, maintenant on a une nouveauté avec les robes de Virginie. Avec F.Pastorale, on a des robes pastorales qui ne ressemblent plus tout à fait à la robe universitaire classique et qu’on ne sait pas trop comment classer. Les luthériens traditionnels ont un peu de mal avec cette modification qui est due, Virginie l’a dit, à l’arrivée de femmes pasteures en grand nombre. Elles ne sont pas encore majoritaires mais elles vont le devenir. Au 20e siècle, le combat pour les femmes était d’arriver à mettre cette robe pastorale noire classique. Maintenant qu’elles sont arrivées en nombre et qu’elles ont eu le droit d’être pasteures, elles la modifient.

Jean-Luc Gadreau: J’ai même vu une robe pastorale pour homme en jean!

Philippe François: Oui, c’est la mienne! J’avais déjà deux robes pastorales: une robe réformée qui ressemble à une robe d’avocat et une robe luthérienne qui ressemble un peu plus à une soutane. J’ai demandé à Virginie de me faire une robe pastorale en jean et elle l’a fait. Cette troisième robe pastorale n’est pas ma robe principale. Par exemple, je ne la mets pas pour les enterrements. Je la mets pour les cérémonies un peu particulières, quand on fait des choses par exemple avec les catéchumènes ou quand on a un culte consistorial. C’est un peu une tenue d’apparat alternative.

Jean-Luc Gadreau: Est-ce qu’à vos yeux, ça change la parole d’être habillé différemment?

Philippe François: C’est avant tout une question d’aisance. La robe pastorale classique, quand on n’a pas l’habitude de se promener en robe et avec une robe assez lourde, ça peut être assez pesant. Et présider un culte est un gros effort physique et intellectuel, quand on veut vraiment faire les choses correctement. Donc, à titre personnel – mais ce n’est pas le cas de tous mes collègues – je suis très mal à l’aise en robe pastorale classique, par rapport à la posture. C’est pour ça que très souvent, je suis en civil, bien qu’il m’arrive de mettre la robe pastorale, en particulier pour les enterrements, pour lesquels je mets la robe classique noire. C’est une question de posture et d’habitude. Certains collègues sont très à l’aise en mettant la robe pastorale classique, d’autres non.

 

«Tu n’es pas là juste pour être là»

Jean-Luc Gadreau: Cindy Babin, vous qui êtes mannequin et qui, à l’inverse de Virginie, n’habillez pas mais êtes habillée par les autres sans forcément décider de ce qu’on met sur votre corps, comment mettez-vous en lien toutes ces questions d’apparence extérieure avec la foi qui est également une affaire intérieure?

Cindy Kwakye Babin: C’est vraiment le défi de rendre visuellement ma personnalité. Il faut qu’elle se voie, donc j’adopte plutôt les codes de la simplicité, de l’élégance et de la pureté. En tant que mannequin, les filles pensent souvent qu’elles ne peuvent pas vraiment parler aux agences. Moi, les agences connaissent mes valeurs puisqu’elles sont de toute façon visibles sur les réseaux!

Jean-Luc Gadreau: Vous avez le droit de dire «non»?

Cindy Kwakye Babin: Oui, clairement. Tu as le droit de dire si tu veux poser en sous-vêtements ou si tu ne veux pas poser de telle manière, par exemple. Après, en fonction du casting et du projet, soit j’accepte, soit je n’accepte pas. Si vraiment je ne suis pas à l’aise avec une équipe, un photographe, je refuse. C’est vraiment du feeling, ça se sent. En agence, c’est vrai qu’on n’a pas tout le temps le choix d’avoir les mood boards pour voir un peu l’univers artistique du shoot. Mais maintenant, de plus en plus, et souvent rien que visuellement comme le disait Léa, tu peux quand même percevoir certaines choses, si tu es OK ou pas. Récemment, j’ai refusé un très bon casting juste parce que le rôle que je devais incarner était complètement à l’opposé de mes valeurs. À la rigueur, quand tu es mannequin, tu es là pour jouer un rôle… donc oui, tu peux adapter ta personnalité, c’est un peu comme être actrice. Mais il faut quand même que ce soit en adéquation avec mes valeurs profondes. Si vraiment y a quelque chose qui n’est pas du tout en accord avec ma foi, je ne vais pas le faire.

Jean-Luc Gadreau: Vous êtes chrétienne, donc, protestante. Vous l’étiez déjà en commençant ce travail ou c’est venu après?

Cindy Kwakye Babin: C’est venu ensemble, comme je dis très souvent! Je ne l’étais pas du tout quand je suis arrivée dans le mannequinat. En fait, ça fait vraiment partie de mon témoignage, dans le sens où je n’avais pas du tout confiance en moi, aucune assurance. Je me suis fait repérer en 2012 à l’âge de 19 ans par une grande marque de cosmétiques capillaires et c’est à force de me retrouver à l’image que j’ai commencé à m’apprécier. Au départ, je pouvais voir que je n’étais pas bien, parce qu’en fait, avec une image, tu figes toutes les émotions. Au fur et à mesure des shootings, c’était une thérapie, et c’est au travers de ce métier que j’ai fait la rencontre du Créateur. C’est de là que tout est parti. Et, forcément, ton regard change et tu comprends l’enjeu, que tu n’es pas là juste pour être là.

Jean-Luc Gadreau: Ça a changé votre manière de travailler?

Cindy Kwakye Babin: Oui. Avant de faire des choix, je consulte le Créateur. Ces choix, je ne les fais pas seule, c’est vraiment une collaboration! Je prie, je veux être en accord avec ce que je fais, j’essaie d’avoir la paix à chaque fois. J’ai surtout compris l’enjeu de l’exposition, dans le sens où, aujourd’hui, on est bombardé de messages visuels, que ce soit dans le métro, à la télé, dans tout ce qu’on regarde. J’ai compris que j’étais vraiment actrice et que j’envoyais des messages, que je le veuille ou non, pour la génération à venir. J’ai une petite sœur qui a 15 ans et je veux que, quand elle me regarde, elle reçoive un bon message. Demain, si j’ai des enfants, je veux leur transmettre ce message: tu as le droit d’être comme ça, tu as le droit d’être toi, reste toi et montre-le au monde.

 

La beauté de la Parole… intense

Jean-Luc Gadreau: Philippe François, je vous avais reçu il y a un peu plus d’un an pour l’écriture d’une anthologie protestante de la poésie française (1), vous êtes aussi pasteur, vous avez réalisé des films documentaires, on peut vous connaitre aussi comme concepteur d’expositions d’art contemporain sur la Réforme protestante. La beauté, est-ce que ce ne serait pas finalement le lien entre tout? Ne seriez-vous pas tout simplement un addict à la beauté, à une certaine beauté, en tout cas, à la fois traditionnelle est très marquée par la pop culture dans cette façon de faire rejoindre l’ancien et le contemporain? Est-ce que je passe à côté?…

Philippe François: Non: la beauté est un concept qui me laisse un peu perplexe. La beauté, c’est la beauté de la Parole (c’est archi-classique en tant que protestant mais il faut quand même le rappeler de temps en temps). C’est la beauté de la Parole et c’est la beauté de l’intensité. Ce que je cherche à faire dans tout ce que je peux produire d’artistique ou d’approchant, c’est l’intensité, l’intensité de la Parole, l’émotion. Le terme est vraiment intensité plutôt que beauté. Il y a de la beauté dans l’intensité. La beauté pure, la beauté plastique pure, c’est agréable mais la Parole est vraiment quelque chose de fondamental. Dans toutes les images que j’ai pu faire – puisque j’ai produit un certain nombre d’images – il y a toujours du texte, que ce soient les films, les expositions, etc. J’ai vraiment une obsession bien calviniste du texte et de la parole qui est la chose la plus absolument centrale.

Jean-Luc Gadreau: Une obsession du sens?

Philippe François: J’aime beaucoup évidemment le sens, le jeu sur les mots et la poésie. C’est le sens à travers des textes qui sont des textes structurés, avec des jeux de mot parce que dans la Bible, notamment dans le livre des Psaumes (qui est peut-être mon livre préféré) il y a beaucoup de jeux de mots. Quand on apprend l’hébreu, un apprentissage dur mais en fin de compte très intéressant, on s’aperçoit comment les écrivains de la Bible, de l’Ancien Testament en particulier, ont joué sur les mots et même dans le cas de l’hébreu ont joué sur les lettres. Il y a des structures internes qui font que pratiquement tout ce qui est écrit en hébreu relève de la poésie.

Jean-Luc Gadreau: Je pense au chiasme, par exemple, qui est une de ces structures qu’on retrouve.

Philippe François: Structure concentrique, chiasme: tout ce qui permettait d’ailleurs de bien mémoriser les textes puisque la structure permet de mémoriser les textes.

Jean-Luc Gadreau: À propos de parole, on a l’habitude d’écouter un texte biblique dans l’émission. C’est vous qui avez eu la main ce matin pour choisir ce texte et vous avez choisi un récit dans le premier livre de Samuel au chapitre 17, verset 38 à 39:

«Saül fit enfiler sa tenue à David, il plaça sur sa tête un casque en bronze et le revêtit d’une cuirasse. David mit l’épée de Saül par-dessus ses habits et voulu marcher car il n’avait encore jamais essayé mais il dit à Saül: «Je ne peux pas marcher avec cette armure, je n’y suis pas habitué». Et il s’en débarrassa.»

Doit-on entendre ici l’armure comme une forme de métaphore de la robe pastorale?

Philippe François: Pour l’émission d’aujourd’hui, oui, évidemment… Mais de façon un tout petit peu plus large, c’est pour moi un grand texte punk. Je suis née en 1961 et j’avais à peu près 16, 17 ans quand il y a eu le Punk qui m’a beaucoup marqué. C’est le fait de ne pas vouloir ou de ne pas pouvoir embrasser tout l’héritage parfois très lourd des gens qui nous ont précédés et de trouver sa propre voie. Je trouve ce texte absolument formidable et il m’accompagne tous les jours dans tout ce que je fais. C’est vraiment mon texte préféré et il faut peut-être rappeler le contexte: il s’agit d’aller combattre le géant Goliath. Personne ne veut y aller et David, qui est un berger, pas un soldat (c’est son frère qui est soldat) dit: «Moi, je vais y aller». C’est à ce moment-là que Saül lui donne un équipement très lourd et pas du tout pratique pour David, qui est tout petit et pas spécialement musclé, semble-t-il. Il essaye de voir ce que ça donne, il voit que ça ne fonctionne pas, il l’enlève et ensuite le texte se poursuit… Il va à la rivière, prend cinq cailloux bien ronds, prend sa fronde et va affronter Goliath pour le résultat qu’on connait. Juste pour l’anecdote, c’est ce texte-là que j’ai mis en épigraphe de ma thèse de doctorat puisqu’il y avait cinq personnes dans le jury, comme les cinq pierres rondes. Parce qu’il faut dire que les soutenances de thèse en sciences humaines, ce sont des combats (un petit trait humoristique que le jury a très bien pris). Pour moi, c’est un texte vraiment fondamental par rapport à la tradition, par rapport à ce qu’ont fait les gens qui étaient là avant nous.

Jean-Luc Gadreau: Et en même temps, on ne renie pas ce qui a précédé…

Philippe François: Ah non, on ne renie pas! D’abord on essaie et peut-être que ça peut marcher mais si ça ne marche pas, il n’y a pas de complexe à avoir: on y va! On prend sa fronde et on y va…

 

Un «combat avec ses propres armes»

Jean-Luc Gadreau: Cindy Kwakye Babin, cette parole de la Bible qu’on vient d’entendre compte beaucoup pour vous en tant que protestante. Elle vous accompagne comment?

Cindy Kwakye Babin: Elle m’accompagne quotidiennement, c’est-à-dire que c’est vraiment ma nourriture quotidienne, comme j’aime le dire. Ça me permet de tenir, surtout dans ce métier. Je pense que, même le texte qu’on vient de lire parle à tout le monde. On a tous une part à conquérir et donc des combats. Si je rattache cela à mon métier, il y a vraiment des codes quand on est mannequin. On m’a souvent reproché, par exemple, d’être trop simple, d’être moi, d’être naturelle. J’ai essayé de porter, justement, l’armure d’autres femmes, j’ai essayé d’être un peu plus sophistiquée mais ça n’a pas marché, ce n’était pas moi. Cela me parle dans ce sens de combat avec ses propres armes. Il n’y a que comme ça, finalement, que tu peux conquérir ta Terre promise.

Jean-Luc Gadreau: Comment est-ce que vous procédez, Virginie Faux, en tant que créatrice-costumière quand une pasteure, par exemple, vient vous voir, vous dit qu’elle voudrait réfléchir à une nouvelle robe pastorale? Comment vous faites?

Virginie Faux: J’ai eu beaucoup de femmes pasteures pour l’instant mais aussi des hommes et ils ont à peu près les mêmes demandes, finalement. C’est important de trouver quelque chose. Parfois ils viennent avec leur idée vraiment à eux, très précise, un petit croquis, des photos prises à droite, à gauche… On voit vraiment ce dont ils ont envie. Parfois, c’est très bien et il n’y a pas de soucis, ça fonctionne. Et parfois, j’ai besoin de leur dire que tel ou tel point ne va pas fonctionner sur eux ou avec eux, que ça ne leur ressemble pas.

Jean-Luc Gadreau: Il y a un véritable travail d’accompagnement, finalement?

Virginie Faux: Oui, c’est vraiment important et les différents essayages de la robe sont aussi là pour ça parce qu’on construit la robe parfois au fur et à mesure. On a une idée de départ et on ajuste pour voir si on est à l’aise dedans, si on arrive à bouger comme on a besoin de bouger dedans, si le miroir renvoie l’image qu’on attendait. Tout ça est très important et oui, c’est un travail en collaboration.

Jean-Luc Gadreau: Comment ça se passe, très concrètement, si on veut rentrer en contact avec F.Pastoral, Philippe ?

Philippe François: F.Pastoral est présent sur les réseaux sociaux, il y a une page Facebook et il y a un site, f.pastorale.com, sur lequel on peut aller.

Jean-Luc Gadreau: Mais vous faites d’autres choses aussi, pas que des robes pastorales?

Philippe François: Virginie m’a proposé de m’associer à F.Pastorale et donc j’ai fait un travail plastique sur un certain nombre de choses, notamment sur des jeux de mot liés au protestantisme, avec des sacs, des totebags, des t-shirts, bientôt sans doute des sweats à capuche (c’est mon costume préféré) avec toujours du texte dessus, c’est le principe.

Jean-Luc Gadreau: Merci Cindy, Virginie et Philippe pour ce temps de conversation qui prenait des allures un peu plus légères… mais quand même très profondes. Parce que derrière tout ça, il y a, comme le précisait Philippe, du sens et de l’intensité.

 

Illustration: au cours de la Fashion Week printemps-été 2022.

(1) Philippe François, Anthologie protestante de la poésie française, Labor et Fides, 2020.

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