Climat: et si c'était "à portée de main"? - Forum protestant

Climat: et si c’était « à portée de main »?

Le changement climatique n’a clairement pas été l’une des thématiques de cette campagne présidentielle malgré les signaux d’alerte qui se multiplient mais qui sont éclipsés par les crises successives qui secouent la planète et le court-termisme de la politique française. Dans ce cinquième volet de notre série sur les débats de la présidentielle 2022, et les scientifiques et les élus de terrain montrent pourtant que la transition n’a rien d’impossible… et qu’elle pourrait nous faciliter la vie.

Lire également nos volets sur l’abstention, le vieillissement, la laïcité, les inégalités.

 

Constat confirmé mais pas désespéré

Premier volet (physique du climat) en août, deuxième volet (risque et adaptation) fin février, troisième volet (moyens d’atténuation) début avril : la publication du 6e rapport du GIEC qui fait le point sur l’évolution du climat a rythmé les 9 mois ayant précédé le premier tour sans que cela semble avoir eu le moindre effet sur le ton d’une campagne qui a semblé encore une fois hors-sol et d’abord centrée sur elle-même et sa principale inconnue: qui affrontera le président sortant au second tour? Synthétisant le deuxième volet, Wolfgang Cramer (interrogé par Martin Koppe de CNRS Le Journal) indique

«que les impacts du changement climatique sont manifestes dans la plupart des écosystèmes, des hydrosystèmes et des sociétés humaines. Nous avions déjà constaté beaucoup d’impacts lors du précédent volet, mais nous avons maintenant encore plus de certitudes et d’observations pour appuyer nos déclarations. Nous voyons cela notamment à travers les événements extrêmes, comme les canicules, les sécheresses ou les tempêtes. Les progrès de la science depuis le dernier rapport du Giec, il y a sept ans, nous ont permis de démontrer que ces catastrophes sont de plus en plus courantes et que cette hausse est due, dans un grand nombre de cas, à l’activité humaine. Nous montrons également que la plupart des tendances et les projections des précédents rapports du Giec se sont confirmées, ou ont été en dessous de la réalité: la situation s’est significativement aggravée.»

En ce qui concerne le troisième volet, la géographe Magali Reghezza-Zitt (interrogée par Barnabé Binctin pour Basta!), souligne d’abord que «l’argument de l’inaction, qui consiste à dire ‘on ne peut pas décider parce que c’est incertain’, ne peut plus tenir. On sait à présent parfaitement ce qu’il va se passer en fonction de ce qu’on décide, ou pas, de faire». Et, en plus de l’importance de la lutte contre les inégalités (condition de la réussite), elle rappelle que «l’autre grande vertu de ce rapport, c’est de démontrer qu’on a les moyens d’agir face à tout ça. Loin d’avoir une posture catastrophiste, et a fortiori anti-humaniste, le Giec nous dit qu’on peut s’en sortir, sous conditions». Comment?

«Il faut pour cela atteindre le zéro émission nette d’ici 2050. Si on y parvient, et on a les moyens pour cela, on arriverait à bloquer le réchauffement en-dessous des 2°C – et ça, c’est quelque chose dont on n’était pas encore tout à fait sûr! Or on connaît les leviers d’action, et c’est tout l’objet de ce 3e volet, qui se concentre sur ‘l’atténuation’ et toutes les pistes pour réduire les émissions de carbone, mais aussi de méthane. Il faut insister là-dessus: nous pouvons éviter la catastrophe. On peut agir pour limiter le réchauffement puis inverser la tendance, et on peut agir pour faire face aux impacts inéluctables du réchauffement en cours. Au fond, le Giec délivre un message optimiste et positif.»

 

La transition: un «passage délicat» mais possible et profitable

Si «on peut agir», l’une des questions est de savoir à quel niveau, entre les États qui ont tant de mal à se mettre d’accord lors des grandes conférences climatiques (et la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine ne va bien entendu, là non plus, rien arranger), les institutions intermédiaires ou locales souvent nettement plus avancées et agiles de ce point de vue, et des particuliers très divisés sur ces questions en fonction de leur situation ou de leurs idées. Le témoignage d’un élu des Alpes très engagé sur ces questions (Pierre Leroy, interrogé par Damien Augias pour Non Fiction) permet de voir cette transition écologique non seulement comme un «passage délicat» mais un passage possible:

«Nous savons qu’il existe une aventure qui nous attend et qu’il va falloir faire preuve de soutien mutuel et de coordination pour pouvoir réussir à passer cet obstacle. Et, une fois ce passage délicat franchi, il y a un paysage désirable qui se dessinera, après cette épreuve et ce suspense, qui nous attire et qu’on a envie d’atteindre, de manière heureuse. Ainsi, lorsque l’on parle de crise sanitaire, climatique, sociale, financière, nous avons une vision très négative de ce que l’on vit, à raison eu égard aux souffrances vécues – je pense aux réfugiés climatiques qui meurent au bout de la route sur mon territoire du Briançonnais. Mais, même dans cette période, je souhaite faire passer un message d’espoir car nous savons quoi faire pour en sortir, nous avons des solutions (à l’image des crampons et des piolets) pour franchir ce passage délicat et aller vers un avenir désirable. »

Pour lui, le rôle des élus de proximité est essentiel:

«Les élus doivent, dans ce contexte, agir comme des soignants car leur rôle est de tenter de prendre soin d’une population et d’un territoire – cela m’a, à titre personnel, toujours paru évident – et de faire en sorte qu’ils vivent mieux, qu’on améliore leur quotidien. D’ailleurs, beaucoup d’élus qui ont travaillé sur la transition écologique viennent du domaine sanitaire car ils ont des capacités à poser des diagnostics et à se placer du point de vue des patients – ou des citoyens en l’occurrence. Cela me paraît déterminant car on ne peut pas leur proposer de changer leurs pratiques si on ne leur propose qu’un avenir catastrophique avec du sang et des larmes. Il faut réussir à leur proposer des perspectives positives, qui ne seront pas simples à atteindre, mais que nous avons tous les outils pour ce faire et pour les accompagner.»

Même si «rien n’est duplicable en l’état» et «chaque territoire a une histoire, des potentiels, des handicaps», on voit

«qu’en travaillant sur la problématique de l’écologie on résout aussi des problèmes financiers sur les territoires, alors qu’on parle beaucoup d’écologie punitive. Or on peut réaliser des économies en menant ces projets et le réinvestir dans des projets d’énergies renouvelables, qui permettent de financer la sobriété énergétique. On flèche les bénéfices liés à la production d’énergie pour les réinvestir sur l’isolation des bâtiments, la mobilité collective, etc. Tout cela constitue des cercles vertueux qu’on a la capacité de mettre en œuvre. Nous avons donc les solutions à toutes les problématiques de la transition écologique, elles sont à portée de main mais faut-il encore les mettre en œuvre à l’échelle locale».

Une vision qui rappelle le «nouveau régime climatique» étudié par Bruno Latour (interrogé par Barnabé Binctin pour Basta!) qui dit à ce propos:

«Si on dit qu’on se bat pour l’écologie, la plupart des gens se vexent ou s’en foutent. Mais si on dit qu’on lutte pour bien manger, se loger correctement et se déplacer sans que cela coûte des fortunes, qui est contre? Personne. L’enjeu de la vie ‘bonne’, d’avoir des bonnes conditions d’existence, ce n’est certainement pas une problématique d’élite, au contraire, c’est un ressort important de la culture populaire! Cela dessine de nouveaux accords possibles, avec des gens qui ne se diraient pas forcément ‘écolos’ mais qui en réalité, se soucient de leur territoire et de le rendre habitable. Ce sont ces affiliations de classe traditionnelles qui se réorientent actuellement, sous le coup de toutes ces ruptures qui se multiplient avec le Nouveau régime climatique et qui pénètrent dans l’ensemble des foyers: le prix de l’énergie, en ce moment, tout le monde en prend conscience…»

 

Illustration: sentier dans le Queyras (photo Pline CC BY-SA 4.0).

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