Moins de religion, plus de laïcité? - Forum protestant

Moins de religion, plus de laïcité?

Nettement moins affichée qu’avant dans les croyances, la religion est paradoxalement beaucoup plus l’objet de débats politiques en France. Dans ce troisième volet de notre série sur les enjeux de la présidentielle de 2022, nous examinons d’abord le nouveau paysage religieux du pays puis quelques conceptions très divergentes de la laïcité qui le régit.

 

 

Nouveau paysage religieux et laïcité

«Aucune religion», c’est désormais la réponse majoritaire en France (58%) lorsqu’on demande aux gens leur appartenance religieuse selon la dernière enquête européenne sur les valeurs. Présentant ces chiffres pour tenter de résumer l’actuelle «identité religieuse» de la France, Pierre Bréchon (pour The Conversation) insiste sur deux points. D’abord leur image globalement négative dans l’opinion. Ensuite la division de la population en trois nouvelles catégories qui recoupent différemment les appartenances ou non-appartenances religieuses: ceux qui se disent à la fois religieux et spirituels (appartenant souvent à une confession), ceux qui se disent ni religieux ni spirituels (se définissant souvent comme athées ou agnostiques)… et la moitié des Français qui se disent soit religieux mais pas spirituels (une catégorie plutôt âgée et vivant la religion comme un conformisme), soit spirituels mais pas religieux (catégorie en progression, en particulier chez les jeunes et les diplômés, et représentant un tiers de ceux qui se disent sans religion).

Ces constatations d’une individualisation du rapport au spirituel et à la religion se retrouvent dans l’enquête commandée par l’AJIR à l’IFOP sur Le rapport des Français à la religion. Ainsi, on voit que les Français parlent de moins en moins de religion, que ce soit en famille (38 au lieu de 58% en 2009) ou avec leurs amis (29 au lieu de 49%), vingt points en moins dans chaque cas en 12 ans, ce qui est une évolution rapide. Ceci alors que la croyance en Dieu semble se stabiliser chez à peu près une moitié de Français: 55% en 2004, 56% en 2011, 49% en 2021. Soit pas d’évolution décisive par rapport aux encore hauts niveaux d’après-guerre (66%). Une stabilisation dans le rapport des générations à la croyance en Dieu puisqu’elle est à peu près au même niveau (entre 45 et 48%) de 18 à 64 ans.

Face à cette réalité très modifiée, on peut se demander si le cadre défini en 1905 pour réguler l’expression religieuse en France est toujours adapté. Revenant sur cette fameuse loi de séparation des Églises et de l’État de nouveau au centre des débats depuis la fin des années 1980 et qui a été récemment retouchée, Jean Baubérot résume sur son blog l’objet du deuxième volume de sa trilogie qu’il lui a consacrée: sa phase de fabrication. Deux traits qu’il relève sont l’importance du contexte avec la guerre russo-japonaise qui pousse à une «solution libérale» par crainte d’un conflit mondial et la «guerre des gauches»:

«Mon travail a consisté à décrypter la loi, donc à la désacraliser. Elle n’est pas Vénus émergeant de l’onde dans une innocence radieuse. Elle a été construite grâce à des coups fourrés, des ruses, des ‘alliances contre nature’, des combats douloureux entre personnes qui se croyaient très proches; elle a engendré des blessures. Ce n’est pas pour rien que son architecte principal, Aristide Briand, a été qualifié, de façon récurrente, de personne d’une grande ‘habileté’. Ce mot était, en même temps, un compliment et une critique, il témoignait d’une admiration et d’une gêne. Et pourtant, après ces cinq années consacrées à décortiquer la loi, à scruter ses coulisses, il me semble toujours qu’il s’agit d’une ‘loi de liberté’, la plus belle des lois élaborées par la Troisième République, un vrai petit ‘miracle’ laïque, pour reprendre l’expression de Buisson.»

Jean-Louis Bianco, qui a présidé l’Observatoire de la laïcité jusqu’à sa suppression en 2021, revient dans un entretien à Basta sur les circonstances de cette suppression (et de la création concomitante de la Vigie de la laïcité) mais aussi sur celles de l’élaboration de la loi d’abord dite contre le séparatisme puis des valeurs de la République. Pour lui,

«les Français sont marqués par un pessimisme, un manque de confiance envers eux, leurs dirigeants, leur pays. On se replie sur la laïcité comme un élément symbolique. Au fond, tout le monde se dit pour la laïcité, même le parti de Marine Le Pen pour qui le terme a remplacé l’idée de combat anti-immigrés. Pourtant la laïcité est un outil effectif et utile, elle est basée sur une loi limpide. Ce texte a été le fruit d’un compromis après une bataille de trois ans. Ce texte doit être couplé avec la Déclaration des droits de l’Homme qui pose que «nul ne doit être inquiété pour ses opinions». Le premier fondement de la laïcité est la liberté, même religieuse, pourvu que sa manifestation ne trouble pas l’ordre public. Elle est un outil qui permet de construire la maison commune, ce qu’oublient les tenants de cette laïcité nouvelle qui se comporte comme une forteresse. Or, la laïcité n’est pas une forteresse.»

 

Un populisme chrétien en France?

Si la religion semble reculer chez les Français, cela fait longtemps qu’elle n’a pas été aussi présente dans les débats politiques, comme l’ont donc montré les controverses autour de cette loi. Une intensité qui a à voir avec la plus grande visibilité d’un catholicisme d’appartenance (plus que de croyance), du fait de la crainte d’être bientôt au niveau d’un islam plus présent chez les jeunes générations et plus pratiquant. Pour Esprit, Blandine Chélini-Pont compare ce populisme chrétien ouest-européen aux populismes chrétiens est-européen et américain. Pour elle, la référence chrétienne est plus instrumentale dans le premier que dans les deux derniers:

«En Europe de l’Ouest, certains populismes et mouvements identitaires de droite ont fini par utiliser la référence chrétienne, en ce qu’elle permet d’exclure l’islam intrusif et l’immigré envahisseur du panorama national idéalisé. Cependant, comme c’est le cas pour le Rassemblement national, cette identité chrétienne, aussi importante qu’elle paraisse dans les discours et la symbolique, reste pour l’instant un vernis. Le vernis d’un préjugé facile à utiliser pour un électorat sécularisé, voire déchristianisé, souvent venu de la gauche populaire.»

Or, c’est peut-être ce qui est en train de changer avec la candidature Zemmour qui semble avoir un certain écho dans la droite classique de tradition catholique. Sur son blog, Sébastien Fath analyse la contradiction assumée du candidat d’extrême-droite dont «l’idée fixe n’est pas d’invoquer le christianisme comme foi personnelle à dimension éthique, mais de mobiliser un référentiel chrétien culturel. Cette invocation fait du christianisme un marqueur identitaire ancré dans une ‘tradition occidentale’ vantée à temps et contre-temps». Pour l’historien-sociologue, «tout en prétendant le contraire, Eric Zemmour n’emprunte pas les chemins de liberté de la laïcité française. Il nous emmène dans un cul-de-sac, celui d’une religion civile nationaliste et catho-séculière nourrie de nostalgie, de populisme et d’opportunisme électoral (…). Ce mix singulier mêle un catholicisme d’identité obligatoire, même pour les non-catholiques (athées, juifs, protestants, musulmans), et un mode de vie et de pensée sécularisé gouverné par la rationalité instrumentale, qui prétend se réclamer de la laïcité, mais sans vraiment la comprendre.»

 

Illustration: l’ancienne abbaye des Châteliers à La Flotte en Ré (photo Johan Allard, CC BY-SA 4.0).

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