Le vieillissement de l’Église, une bonne nouvelle ? (2) - Forum protestant

Le vieillissement de l’Église, une bonne nouvelle ? (2)

Quand on vieillit, quand l’Église vieillit, le risque est que les pulsions de mort soient plus fortes que les pulsions de vie. Pour Édith Tartar-Goddet, «bien vieillir, c’est vivre au quotidien ce conflit intérieur», en être conscient et «s’adapter à soi, aux autres, aux situations pour chercher et trouver des ajustements nécessaires et viables mais pas toujours durables». Et pour l’Église, cela passe par trois conditions «si elle veut rester vivante, mobilisée et objet de motivation pour autrui».

Lire la première intervention de la table ronde (Nicolas Cochand).

Interventions prononcées pendant la 9e convention du Forum protestant le 22 novembre 2022 au Foyer de l’âme (Paris).

Visionner l’ensemble des interventions et débats de la 9e convention (cette deuxième partie de la première table ronde va de 0h22 à 0h35).

Stéphane Lavignotte: Je donne la parole à Édith Tartar-Goddet. C’est finalement assez complémentaire puisque se pose la question et de personnes et d’institutions qui sont dans des situations changeantes et de comment finalement on s’adapte à ces situations ?

 

Édith Tartar-Goddet : «Bien vieillir en Église»

Édith Tartar-Goddet: Le vieillissement de l’Église, est-ce une bonne nouvelle ?

Je vais essayer de répondre à cette question à partir de mon expérience d’accompagnement d’Églises et de communautés et à partir de mon exercice professionnel de psychologue orienté sur les relations violentes entre humains et avec leurs institutions ou organisations.

Je vais répondre positivement à la question en posant au moins une condition: vieillir est une bonne nouvelle si l’Église et les humains qui la composent font chaque jour et à chaque instant le choix de la vie. Et ce n’est pas si simple à faire…

Alors qu’est-ce que cela veut dire ? Comment faire, répéter et confirmer sans cesse ce choix de la vie ?

Avant cela, il faut s’interroger sur ce que représente ou ce que signifie pour nous être un être humain sur le plan individuel, sur le plan groupal ou communautaire et aussi sur le plan structurel, ici ecclésial; car il ne suffit pas de naitre en humain pour vivre en humain.

Par exemple, une structure d’Église est humaine lorsqu’elle s’inscrit dans la voie de la bien traitance qui est une démarche éthique d’intérêt, d’attention, d’écoute, de soutien, de portage psychique et spirituel à l’égard des personnes qui la fréquentent et de ceux et celles qui lui sont affiliées.

Notre humanité se construit au jour le jour à condition de s’inscrire dans la Parole, le désir d’être et dans la relation à l’autre, aux autres; humanité qui ne se réalise pas sans conflits intérieurs voire sans conflits avec l’extérieur.

 

1. La puissance des pulsions de mort

Mon premier point portera sur un aspect du vieillissement auquel nous sommes en général peu attentifs: la force revitalisée ou la puissance des pulsions de mort au fur et à mesure que nous entrons dans la vieillesse et qu’une Église vieillit.

L’orientation de mon propos sur cet aspect n’exclut pas l’ensemble des dimensions psychologiques et sociologiques de la vieillesse faite, entre autres, de changements et de pertes.

Les pertes et les changements liés à la vieillesse sont accompagnés par un ralentissement physique et psychique car les pulsions qui nous assaillent et nous maintiennent en vie au quotidien entrent en concurrence dans un conflit inégal entre d’un côté les pulsions de vie, de l’autre les pulsions de mort.

Les pulsions, ce sont des forces qui prennent leur source dans notre organisme, produisent du déplaisir ou de l’inconfort et exigent satisfaction.

Au cours de l’existence, les pulsions de vie dominent les pulsions de mort en les maintenant en respect.
Ces pulsions de vie se manifestent

dans les projets; dans les désirs d’être, de connaitre, d’entreprendre quelque chose; dans l’intérêt, l’attention, l’amour pour autrui et pour la communauté d’Église; dans les actions citoyennes, le dynamisme, la mobilisation psychique.

Ces pulsions de vie portent ou soutiennent nos capacités à nous interroger et à interroger nos fonctionnements d’Église, à nous remettre en question, à réformer nos institutions ecclésiales, à changer, nous adapter….

Mais il y a des moments ou un moment (et l’on ne s’en aperçoit pas tout de suite et parfois pas du tout) où les pulsions de mort reprennent du poil de la bête et s’installent en chacune et chacun, y compris dans l’Église, l’air de rien.

Elles s’installent d’autant plus facilement que nous manquons (que les Églises, manquent souvent) de lucidité sur leurs présences.

Ces pulsions ne représentent pas seulement le désir de mourir ou de faire mourir autrui.

Elles s’expriment, et c’est ainsi que je les représente ici,

dans le glissement de l’être désireux de s’installer dans un mode de fonctionnement connu, traditionnel, bien rodé, figé;

Dans le désir de tranquillité ou de moindre tracas; le désir de ne pas ou de ne plus se poser de question, de ne pas être dérangé, dans le repli et le centrage sur soi;

Elles s’expriment dans le désir de confort qu’il soit matériel ou spirituel et qui nous conduit à profiter de la vie. Dans le rester chez soi, dans l’indifférence ou le désintérêt à l’égard des autres et de la vie sociale.

Dans les regrets à l’égard du passé idéalisé.

Dans l’immobilisme: surtout que rien ne change dans l’Église.

Quand cette forme des pulsions de mort prend de l’ampleur, vivre est alors une lutte quotidienne, un combat pour mettre en échec ce désir de ralentissement, cet immobilisme, ce retour en arrière ou cet arrêt sur image, cette anesthésie sensorielle et émotionnelle dont nous n’avons quasiment pas conscience.

Alors de quoi avons-nous ou aurions-nous besoin pour lutter contre l’impact de ces manifestations de nos pulsions de mort individuelles et collectives dans l’Église ?

Nous avons besoin de lucidité pour nous percevoir tels que nous sommes; et aussi de nous intéresser à ce qui se passe en nous, autour de nous et à ce qui se passe dans l’Église: c’est à dire à être attentif à ce que nous voyons, entendons, ressentons.

 

2. Choisir de vivre

Mon deuxième point portera sur les compétences à mobiliser pour choisir de vivre (pulsions de vie) plutôt que de se laisser aller à une douce torpeur (pulsions de mort), certes confortable par moments, mais assurément mortelle.

Bien vieillir, c’est vivre au quotidien ce conflit intérieur entre forces de vie et forces mortifères.

Alors il faut

d’une part aimer assez les conflits ou les tensions intérieures, ou avec les autres, pour ne pas les fuir mais les entendre, les écouter, ne pas se laisser dominer par eux.

Et d’autre part aimer l’intranquilité, l’inconfort, l’aventure de la vie pour accepter de nous mettre en route chaque jour sans toujours savoir vers quoi nous allons.

Pour y arriver, c’est-à-dire pour vivre ces conflits paisiblement mais surement, pour les entendre, les argumenter, chercher des voies de résolution, il nous faut cultiver avec soin l’énergie ou l’élan vital, appelé, dans le champ des sciences humaines, agressivité naturelle ou violence naturelle; énergie que les adolescents nomment rage de vivre ou haine; énergie nécessaire pour rester mobile et mobilisé sur le plan psychique; énergie nécessaire à l’adaptation; énergie dont la quantité diminue avec l’âge.

Que nous reste-t-il, quand nous vieillissons, de cette énergie pour maintenir vivace et dynamique notre désir de vivre, nos pulsions de vie, notre désir de continuer à être mobilisé mentalement, notre désir d’être vivant avec et parmi les autres, notre désir d’entreprendre ?

Que nous reste-t-il de cette énergie en Église pour et malgré l’âge de ses membres, rester mobilisés et actifs au sein de nos communautés ? N’est-ce pas la pulsion de mort qui est à l’œuvre quand nous disons «Place aux jeunes ; j’en ai fait assez; que d’autres prennent enfin la relève» alors qu’il n’y a pas grand monde ou personne pour prendre cette relève !

Ressentons-nous l’élan vital qui nous maintient à flot, nous pousse à changer, à nous adapter sans cesse et sans cesse ?

Evaluons-nous avec justesse l’état de nos capacités d’adaptation ? Celles qui nous conduisent à nous transformer, nous réformer, c’est-à-dire à modifier nos manières d’être et de faire en Église pour les ajuster aux attentes de nos contemporains.

Car bien vieillir, c’est au quotidien s’adapter à soi, aux autres, aux situations pour chercher et trouver des ajustements nécessaires et viables mais pas toujours durables.

 

3.Si l’Église veut rester vivante…

Ma conclusion va mettre l’accent sur l’Église comme structure et comme communauté.

Si elle veut rester vivante, mobilisée et objet de motivation pour autrui,

A) Il est nécessaire que l’Église ait une vision ambivalente (lucide et tolérante) d’elle-même, c’est-à-dire qu’elle perçoive à la fois ses réussites et ses échecs, ses forces et ses faiblesses, qu’elle prenne en compte et assume ses diversités, qu’elle voie et entende à la fois les joies mais aussi les souffrances à l’œuvre dans ses communautés; souffrances qu’elle produit parfois…

B) Il est nécessaire qu’elle soit plus pragmatique et moins conceptuelle ou théorique; qu’elle soit mieux formée aux métiers de l’humain, de la relation. Tant qu’elle restera une entité plus préoccupée par le concept, fût-il théologique, que par ses vis-à-vis humains, elle dira à ces personnes «Nous allons vous dire ce dont vous avez besoin sur le plan spirituel» au lieu de leur demander «De quoi avez-vous besoin sur le plan spirituel ?».

C) Il est nécessaire qu’elle soit mieux formée à la vie en groupe car, et c’est là une des difficultés spécifiques de l’Église: en groupe et en Église, l’individu humain se sent allégé de sa responsabilité personnelle et peut se positionner en rebelle, contestataire voire en opposant permanent ou en saboteur sans aucune gêne ni remise en question, sans percevoir les effets destructeurs de ses prises de positions; peut-être parce qu’il se pense le garant ou le défenseur de l’Église telle qu’elle doit être à ses yeux. Cette position, vous l’aurez saisi, est une des caractéristiques de la pulsion de mort et du mal vieillir.

Alors et vous l’aurez aussi compris, pour moi, bien vieillir en Église, c’est se sentir sujet, auteur et acteur de l’Église et donc engagé à son service dans une dynamique de responsabilité partagée. Cette affirmation est aussi valable pour l’Église elle-même à travers ses responsables.

Cette responsabilité, à construire sans cesse, passe par des apprentissages, à condition d’accorder de la valeur aux savoirs pratiques et aux savoirs liés à l’expérience.

Il s’agirait par exemple d’apprendre à vivre en paix les uns avec les autres par la confrontation en confiance de nos diversités (et non de se fiche la paix dans l’indifférence) ou apprendre à coopérer ensemble en prenant chacune et chacun sa part, par la gouvernance partagée.

En guise de conclusion, je vous pose une question: comment responsabiliser chacune et chacun et les responsables d’Église pour rester chacune et chacun en vie et que l’Église aussi reste en vie ?

 

Stéphane Lavignotte : Merci pour cette réflexion sur la pulsion de vie, la pulsion de mort dans l’Église me rappelle ces versets de l’Ancien Testament que tout le monde connait : « Je mets devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie » Mais que choisir la vie, vous l’avez bien dit, c’est prendre des risques, c’est l’inconfort, c’est peut-être du nouveau qui nous surprend. Et comment là-dedans, effectivement, le collectif de l’Église prend ça en compte mais aussi peut être un cadre qui garantit et évite que ce soient les pulsions de mort individuelles qui prennent le dessus. Mais peut être aussi un lieu de sécurisation pour prendre des risques … Encore faut-il effectivement que les institutions, les collectifs humains (parce que les institutions, c’est un peu un gros mot) acceptent ces différentes responsabilités.

(Lire la suite avec l’intervention de Dominique Hernandez)

Illustration: Stéphane Lavignotte et Édith Tartar-Goddet lors de la table ronde.

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