Le vieillissement de l’Église, une bonne nouvelle ? (3) - Forum protestant

Le vieillissement de l’Église, une bonne nouvelle ? (3)

«J’ai toujours vu des paroisses avec des jeunes et des moins jeunes.» Pour Dominique Hernandez, ces moins jeunes sont à la fois signes de fidélité et de renouvellement car ils permettent aux plus jeunes de comprendre et d’apprendre tout en sachant leur «faire place», «laisser la place ou de la place». Ils nous permettent aussi à tous de réveiller notre conscience de l’éphémère par ce qu’ils «apportent de fragilité, de vulnérabilité, de dépendance et ce qu’ils en font comprendre».

Lire la première (Nicolas Cochand) et la deuxième (Édith Tatar-Goddet) intervention de la table ronde.

Interventions prononcées pendant la 9e convention du Forum protestant le 22 novembre 2022 au Foyer de l’âme (Paris).

Visionner l’ensemble des interventions et débats de la 9e convention (cette trisième partie de la première table ronde va de 0h35 à 0h48).

 

Stéphane Lavignotte: Je vais donner la parole à Dominique Hernandez à qui j’ai demandé aussi, au regard de son expérience de pasteure, comment elle entendait cette question: Le vieillissement de l’Église, une bonne nouvelle ?

 

Dominique Hernandez: «Cette contestation incarnée par les moins jeunes, y compris à leur corps défendant»

Dominique Hernandez: Est-ce une bonne nouvelle ? Est-ce une nouvelle ? Il me semble que j’entends que l’Église vieillit depuis longtemps, depuis presque 25 ans que je suis pasteure… Est-ce que l’Église vieillit ? ou les paroisses ? ou (Nicolas en a parlé) les paroissiens qui constituent la paroisse ?

 

«La vieillesse n’est pas qu’une question d’âge»

Qu’est-ce que vieillir ?

En ce qui concerne les personnes, Edith en a parlé.

En ce qui concerne l’Église comme institution, une institution qui vieillit est une institution qui n’est plus adaptée au projet qu’elle porte ou au monde dans lequel elle le porte. Il y a l’Église et des Églises depuis 2000 ans, cela fait vieux… Mais il y a aussi du renouvellement, des créations d’Églises, des réformes d’Église, des unions d’Églises (il n’y a pas si longtemps, avec deux vieilles Églises, on a fait une Église toute jeune), des évolutions et des transformations, de la vie qui se poursuit.

Il est question du vieillissement des paroissiens mais, même si l’Église vieillit, au fil du temps, ce ne sont pas les mêmes qui sont vieux, il y a un renouvellement, même avec ce constat du vieillissement de l’Église.

Un article de La Croix (1) il n’y a pas très longtemps pose la question: Quelle place pour les personnes âgées dans les religions ? Le journaliste cite les propos d’un historien du christianisme, Renaud Rochette: la question du vieillissement ne semble pas être pertinente dans le christianisme (à la différence des autres religions: judaïsme, Islam, bouddhisme). Jésus n’a jamais été vieux, il est mort jeune. Il ajoute que l’horizon du christianisme se situant dans l’accomplissement de la vie éternelle, la résurrection est associée à la jeunesse.

Je ne sais pas si à la résurrection, nous serons tous jeunes, dans la force de l’âge. Cela m’interroge… mais pas très longtemps parce que je me souviens de la parole de Jésus dans l’évangile de Marc (12,25), sa réponse aux saducéens qui l’interrogent sur la résurrection: quand on se relève d’entre les morts, on ne prend ni femme ni mari mais on est comme les anges dans les cieux. Quel âge ont les anges, les anges ont-ils un âge ? Peut-être qu’on ne se pose plus la question du sexe des anges mais j’espère qu’on ne se pose pas non plus celle de l’âge des anges…

D’ailleurs est-ce que la vieillesse est une question d’âge ? Pas seulement, ce serait assez réducteur.
Vieillir et être jeune, c’est aussi un état d’esprit en dehors de toute considération d’âge: une capacité à l’ouverture ou pas, une disponibilité à l’altérité, à l’étranger, à la nouveauté, ou pas. Il y a des vieux jeunes et des jeunes vieux, et surtout, tous peuvent rajeunir.

 

«Des paroisses avec des jeunes et des moins jeunes»

Au Foyer de l’Âme un groupe est dit celui des Jeunes et moins jeunes, fondé il y a une trentaine d’années. Alors bien sûr, ceux qui étaient là au début ont vieilli mais ils ont aussi été capables cette année de renouveler complètement le fonctionnement du groupe pour plus d’accueil, plus de convivialité, plus de partage, plus d’activité de chacun… même si certains ont vraiment besoin de l’ascenseur pour monter au 2e étage !

Il y a une vingtaine d’année, une dame que je trouvais un peu âgée du haut ou plutôt du bas de mes quarante ans me dit à la sortie d’un culte avec baptême d’enfant et à l’occasion duquel des dames camerounaises avaient dansé dans l’allée centrale du temple: «Qu’est-ce que ça m’a fait envie, qu’est-ce que je voudrais faire comme elles !». Je ne savais plus si elle était vieille ou pas.

J’ai toujours été pasteure en région parisienne (ce qui limite le champ de mon expérience), j’ai toujours vu des paroisses avec des jeunes et des moins jeunes. Même s’il y a moins de jeunes que de moins jeunes. Et j’ai toujours vu des moins jeunes très vivants, curieux, attentifs, faisant preuve de souplesse, acceptant les changements sans trop de nostalgie ni acrimonie du moment qu’ils en comprennent le sens et l’intérêt pour la communauté et pour l’Église. C’est une bonne chose y compris pour les jeunes, de trouver du sens à ce qu’on fait pour rester reliés aux autres. Même si tous les moins jeunes ne partagent pas cette disposition d’esprit (je n’idéalise ni les jeunes ni les vieux).

 

«Dévouement persévérant» et «fragilité»

Je sais bien, je vois bien, et je rends grâce pour la fidélité des moins jeunes. Parce que ce renouvellement du vieillissement de l’Église témoigne d’une fidélité quand même remarquable . Ce sont rarement de vieilles personnes qui arrivent dans une communauté, ce sont plutôt des plus jeunes, des moins vieux….qui deviendront des moins jeunes.

Je sais bien, je vois bien, et je rends grâce pour leur dévouement persévérant de ces moins jeunes, si important pour les paroisses. Mais aussi pour leur capacité, pas tant à laisser la place (parce que je suis persuadée que dans l’Église il y a de la place pour tous) mais à faire place aux plus jeunes, à se retirer du devant de la scène quand il se rendent compte qu’ils n’arrivent plus à faire autant, à faire aussi bien, ni même à faire tout simplement. J’admire leur manière de faire place, de laisser la place ou de la place quand d’autres plus jeunes arrivent, parce qu’il faut bien que ces plus jeunes (qui souvent ne connaissent rien effectivement à l’Église) comprennent, apprennent grâce à d’autres pour pouvoir à leur tour apporter quand ils seront à leur tour les moins jeunes d’après-demain.

Je me souviens de Simone (dont quelques-uns ici se souviennent aussi) qui, quelques jours avant sa mort sur son lit au centre de soins palliatifs, rassemblait toutes ses forces déclinantes pour encourager ses nombreux visiteurs, pour les envoyer: parce qu’il fallait continuer à penser, à parler, à se parler, à faire attention les uns aux autres.

Je rends grâce pour ce que les moins jeunes apportent de fragilité, de vulnérabilité, de dépendance et ce qu’ils en font comprendre. Comment ils éveillent notre conscience de la buée (hevel), de l’éphémère qu’ils réveillent, qu’ils stimulent. Je suis reconnaissante pour ces vases d’argile ébréchés, fêlés, percés parfois, pour tout ce qu’ils apportent dans le cercle de communion quand nous partageons la cène (parce que nous la partageons entre tous).

Je suis reconnaissante pour ce ralentissement qui rompt l’accélération et les courses effrénées des rythmes urbains, et pour cette autre manière d’appréhender le temps dans sa durée et pas seulement dans le présent ou même l’instantané.

Je suis reconnaissante pour l’appel à la solidarité qu’on ne fait pas toujours quand survient l’épreuve de la dépendance, mais qui nous convoque comme Église devant la solitude voire l’abandon. Et pour notre capacité à demeurer en relation sollicitée par ces dépendances, cette diminution, ces visages ridés qui attendent une présence.

Je suis reconnaissante pour ces limites qu’ils donnent à voir, et donc à accueillir, à accepter, à méditer, avec la remise et la déprise qui est aussi un signe d’espérance. Parce que l’Église, une paroisse, ne pourrait pas être (je ne le crois vraiment pas) une puissance conquérante, forte, énergique, toujours en pointe.

Je suis reconnaissante pour cette contestation incarnée par les moins jeunes, y compris à leur corps défendant: contestation des impératifs de production, de performance de rentabilité, d’utilité qui contaminent même les Églises et qui s’agrègent autour de la grâce pour la transformer en récompense ou en mérite. Tout ce qui interroge les normes pas toujours discutées et les manières pas souvent évangéliques du monde dans lequel les Églises se trouvent.

 

«Un lieu où ils sont accueillis sans condition»

L’Église vieillit ? Oui, mais s’il y a eu une époque où il n’y avait que des jeunes, faut-il la regretter ?  Cette époque où il n’y avait que des jeunes ou des encore assez jeunes dans l’Église, c’était quand l’espérance de vie était bien plus réduite qu’elle ne l’est aujourd’hui: 40 ans en 1900 et on a gagné 40 ans depuis. Ou alors ne faudrait-il faire des Églises que pour les jeunes, à la manière des jeunes, une Église de jeunes, c’est-à-dire une Église qui ne serait pas pour tous ? Quelle Église est-ce que ce serait ?

Faut-il regretter le temps passé lorsque toutes les générations fréquentaient les lieux de culte ?
N’était-ce pas parce que les Églises se trouvaient en position dominante dans la société et que leur fréquentation tenait plus de la norme à laquelle se soumettre que de la liberté d’une conscience éveillée ? La transmission dans les familles semblait naturelle, le renouvellement était automatique mais faut-il vraiment regretter cela ?

Le vieillissement en âge ne veut pas dire qu’il n’y a plus de vie, plus d’envie. Le vieillissement de l’esprit commence à tous les âges.

Aujourd’hui, si des jeunes (et des moins jeunes) viennent dans un temple ou une église, c’est vraiment dans une démarche délibérée, parce qu’ils cherchent du sens, de l’humanité, de la vie vivante, une pensée de la transcendance. Parce qu’ils ont expérimenté, qu’ils expérimentent que ce temple, cette église est un lieu où ils sont accueillis sans condition. Parce qu’ils ont entendu une bonne nouvelle qui l’est vraiment pour eux.

Qu’aurions-nous, jeunes et vieux, ensemble, qu’aurions-nous d’autre à témoigner, à faire passer que ce témoignage de la vie vivante, celle qui est seulement justifiée par la grâce… et pas par l’âge ?

 

Stéphane Lavignotte: Merci beaucoup Dominique d’avoir questionné la question, y compris en terme de nostalgie d’un âge d’or dont on peut se demander si on doit le regretter ou s’il a même existé. Et puis d’avoir rendu vivante et charnelle la fameuse question de l’inter-générationnel qui est aussi une grande thématique de notre société en pointant comment la vie ensemble (plus que la cohabitation) de plusieurs classes d’âge, c’est peut-être à la fois passer des relais, faire de la place mais aussi interroger sur une société qui veut aller vite, être toujours forte, qui ne fait pas de place à la fragilité ni à ce par quoi tu as terminé: la grâce, plutôt que le mérite et l’efficacité.

(Suite de la table ronde la semaine prochaine)

 

Illustration: Nicolas Cochand, Dominique Hernandez et Stéphane Lavignotte lors de la table ronde.

(1) Clément de la Vaissière, Quelle place pour les personnes âgées dans les religions ?, La Croix, 17 novembre 2022, à propos du colloque IREL/ITEV (EPHE-PSL) sur Vieillissement et religion.

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