La mission inversée ? (2): presbytériens camerounais en Europe - Forum protestant

La mission inversée ? (2): presbytériens camerounais en Europe

«Mettez sur pied une communauté ! Débrouillez-vous pour trouver un moyen… Et lorsque vous serez bien structurés, faites-nous signe.» C’est le discours que tiennent les responsables d’Églises africains à leurs fidèles installés à l’étranger et c’est l’histoire de l’implantation des communautés de l’Église Presbytérienne Camerounaise en Europe qu’analyse Adrien Franck Mougoué  lors du deuxième volet de ce Jeudi du Défap sur La mission inversée, Peut-on véritablement parler de mission du Sud vers le Nord ?

Lire la transcription de la première partie de la conférence avec Corinne Valasik.

Voir la présentation de ce Jeudi du Défap du 4 avril 2024 sur le site du Défap et visionner la conférence.

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Jean-Pierre Anzala: Merci pour cette première intervention où l’on voit les conséquences d’un processus de transformation identitaire sur le fait même de s’identifier comme être missionnaire ou missionné. La parole est à Adrien Franck Mougoué pour lequel ma question est : l’implantation des communautés de l’Église presbytérienne camerounaise constitue-t-elle un mouvement missionnaire organisé en France, en Suisse ou en Belgique ?

Adrien Franck Mougoué: Je tiens à remercier le Défap de nous avoir associés à cette première édition des Jeudis du Défap. Les enjeux sont énormes et j’espère que ces échanges permettront de les éclaircir davantage. La mission inversée est une thématique que j’ai découverte lors de mes travaux de terrain pour la rédaction de mon mémoire de Master. Je m’étais rendu compte de l’existence des communautés presbytériennes camerounaises en Europe et ce qui avait attiré mon attention était que l’Église centrale au Cameroun en avait une connaissance très limitée. Je m’étais alors dit qu’il pouvait être intéressant de faire connaître le fonctionnement et l’évolution de ces communautés dans les sociétés francophones européennes (France, Suisse et Belgique) et leur rapport à l’Église centrale de 1989 à 2018.

 

EPC amendée et EPC originale

La migration est un phénomène vieux comme le monde et les études en missiologie datent aussi d’un certain temps. Dans le phénomène de diffusion du christianisme à partir du 19e siècle, la trajectoire est celle de la colonisation du Nord vers le Sud. Les sociétés et entreprises missionnaires ont foisonné en Afrique et plus particulièrement au Cameroun: aussi bien européennes qu’américaines, aussi bien protestantes que catholiques. Parmi elles, la mission presbytérienne américaine (MPA), qui s’installe précisément en pays Bulu (1), au Sud du Cameroun dès 1879. On doit à l’objectivité de dire que la présence de la MPA sur les côtes camerounaises remonte aux années 1850, où les premiers missionnaires américains en provenance du Libéria commencèrent l’œuvre d’évangélisation depuis Batanga, banlieue de Kribi (ville côtière du Sud Cameroun), en évoluant jusqu’au pays Bulu. Elle évangélise cette partie du Cameroun et permettra plus tard, en 1957, la naissance de l’Église Presbytérienne Camerounaise (EPC). Par ailleurs, avec les grandes vagues migratoires que l’Afrique connaît à partir des années 1980 et 1990, on observe une inversion des rôles et des pôles dans la dynamique d’expansion du christianisme : la situation d’instabilité politique dans la majorité des États africains nouvellement indépendants pousse de nombreux Camerounais à chercher de meilleures conditions de vie ailleurs. Étant donné le passé colonial, beaucoup de Camerounais se dirigent vers les pays francophones où des familles sont déjà présentes et peuvent les accueillir. De fait, ils emportent avec eux, de manière intrinsèque, un legs culturel et cultuel dans les pays d’accueil.

Une fois en Europe, de petits groupements se constituent. Dans la majorité des cas, l’initiative vient d’une figure charismatique à l’exemple de l’Ancien d’Église (A/E) Jean Calvin Tchek, leader fondateur des communautés EPC en France, qui, avant d’arriver ici, était déjà consacré A/E au Cameroun. Venu en France comme professionnel dans le domaine de la santé, il intègre l’hôpital Rothschild après une période de recyclage et de formation et un jour, lors d’un repos, il reçoit une vision lui demandant de continuer son élan évangélique entamé au Cameroun. Il en fait part à son épouse et à ses confrères camerounais de l’Église qui prennent cet appel au sérieux et qui se regroupent en un petit comité pour lui dire que s’il a reçu une pareille vision du Seigneur, il faut la mettre en pratique et ne pas la négliger. Il rend alors visite aux familles présentes sur son territoire qui l’invitent pour des prières lors des anniversaires, mariages ou funérailles. Le groupe grandit et ils finissent par se dire qu’il ne suffit plus d’aller dans les familles ou de louer des salles: il faut trouver un lieu fixe où accueillir ce grand nombre de fidèles et un label pour pouvoir créer une association cultuelle en France. C’est ainsi que va naître l’Association cultuelle des Camerounais en France.

Cela met en jeu tout un processus. Cette association cultuelle accueille et aide désormais les nouveaux arrivants camerounais en France, légaux comme illégaux, dans leur processus d’insertion et leurs démarches administratives. Elle aide aussi ceux qui sont en recherche de repères culturels ou sociaux à retrouver les leurs, les confrères camerounais à continuer l’évangélisation au sein du groupe, nouveaux arrivants et déjà présents. L’association est alors domiciliée dans un bâtiment de l’Église Réformée de France (ERF) situé dans le 14e arrondissement de Paris. Les nouveaux arrivants intégrent donc cette association où ils peuvent assister au culte presbytérien avec les repères et les pratiques propres aux peuples Bassa (2) et Bulu du Cameroun.

À un moment, ces communautés éprouvent le besoin d’être reconnues comme Église presbytérienne établie en France avec pasteurs, conseils des anciens et sessions (paroisses), comme cela existe au Cameroun. Dans la configuration de l’Église presbytérienne camerounaise, le pasteur est le premier modérateur ou responsable de la session. Le souci qui se pose est que certains arrivants se familiarisent avec le culte et le fonctionnement de l’ERF, où l’organisation est moins cléricale puisqu’un laïc ou un A/E peut être responsable de la session. Deux tendances voient alors le jour: d’un côté l’EPC amendée qui s’adapte aux pratiques de l’ERF, de l’autre l’EPC originale, qui conserve les habitudes camerounaises. Lors de l’AG de l’association, l’EPC originale, groupe de l’A/E Jean Calvin, l’emporte et se sépare de l’autre groupe. Par la suite, ils cherchent des lieux de culte dans les hôtels, les familles ou d’autres associations africaines.

 

«L’initiative est venue des fidèles»

Au début des années 1970, l’Église presbytérienne américaine avait invité un représentant de l’EPC aux États-Unis à son assemblée générale pour réfléchir au fonctionnement de l’Église au Cameroun. Le secrétaire général de l’époque a donc entrepris ce voyage et fait escale en France où il est entré en contact avec ces communautés et s’est entretenu avec leurs fidèles. Il a vu leur nombre grandissant et ils lui ont proposé de créer et diriger une communauté presbytérienne camerounaise reconnue par l’Église mère et en lien avec elle. Il n’a pas refusé la proposition et continué son voyage vers les États-Unis. Au retour, il a de nouveau fait escale à Paris où le dimanche, il a assisté à un culte dans une salle d’hôtel. Impressionné par le nombre des fidèles présents à ce culte, il a promis de faire des démarches pour qu’elle soit reconnue par l’EPC. L’initiative est donc venue des fidèles, pas de l’Église mère au pays. Revenu au Cameroun, le secrétaire général a entamé des démarches et envoyé une commission en France pour essayer de voir comment rassembler tous ces fidèles issus de l’EPC (ceux de l’EPC amendée et ceux de l’EPC originale) dans une seule Église Presbytérienne camerounaise en France. Certains fidèles de l’EPC amendée ont alors rejoint ceux de l’EPC originale parce qu’ils ont ressenti le besoin de revenir aux valeurs culturelles et cultuelles camerounaises, de pouvoir chanter ou prêcher en bassa ou en bulu. On pouvait remarquer aussi une troisième tendance ni amendée ni originale mais intermédiaire entre les deux, qui était restée neutre par rapport à tout ce qui avait été fait et portait une vision critique sur la procédure de reconnaissance par le Secrétaire général de l’EPC.

En 1989 naît donc la première communauté de l’Église presbytérienne camerounaise établie à Paris sous la dénomination de Pek Nyambe, qui signifie la Sagesse de Dieu. Elle a grandi et attiré beaucoup de fidèles autour d’elle. Mais les responsables restés à l’écart ont critiqué l’action du secrétaire général de l’EPC en disant que selon les textes de l’Église, seuls les consistoires régionaux étaient habilités à établir une communauté et déléguer un pasteur (alors que dans ces mêmes textes, la seule personne habilitée à représenter l’Église à l’international est le secrétaire général et que les consistoires n’ont de responsabilités qu’au niveau local). De fait, ils affirmaient l’illégalité de cette première communauté établie n’était pas légale et ont fait appel au consistoire de leur région ecclésiastique qui a envoyé sa propre délégation sur place. Une deuxième communauté a alors vu le jour (celle de Sinaï Paris) puis deux autres dont la communauté Libomna.

Les communautés s’appuient sur des textes mais il faut aussi voir l’aspect culturel. La particularité de l’Église Presbytérienne Camerounaise est que c’est une Église marquée par un fond ethnique, tribal. On peut y rencontrer des fidèles qui disent: «Moi, je ne vais pas à cette paroisse parce que ce sont des Bassa», «Moi je ne vais pas à cette paroisse parce que ce sont des Bulu». Et la paroisse est en face de leur domicile !… Ils préfèrent utiliser plusieurs modes de transport pour aller faire un culte où ils vont se sentir avec les leurs, pouvoir chanter dans leur propre langue. Ce problème au Cameroun se retrouve en Occident et c’est ainsi que l’on assiste à la multiplication des paroisses un peu partout en France (à Lyon, Orléans, Paris…), en Suisse, en Belgique. Par exemple, les communautés de Suisse sont majoritairement fréquentées par des populations Bulu, ce qui fait que quand des Bulu arrivent, ils intègrent la communauté. Les Bassa aussi, mais dès que leur groupe est un peu plus conséquent en effectifs, ils vont se séparer pour créer leur communauté ou leur Église en disant: «Nous aussi, nous sommes une Église presbytérienne». Le fond culturel, la langue ont donc un fort impact sur la constitution des communautés dans l’Église Presbytérienne Camerounaise.

 

«La religion ne faisait pas partie des projets migratoires»

Reste la question de savoir s’il y a en même temps un élan missionnaire. Selon plusieurs spécialistes des religions, historiens, théologiens ou encore missionnaires, la mission est l’annonce de l’Évangile à ceux qui ne l’ont pas encore reçu et son partage (approche théologique). C’est l’approche la plus plausible pour ce qui nous concerne mais un dictionnaire aborde la mission comme «une expansion de la religion chrétienne dans l’ambition de l’implantation de l’Église» (3). Si les Camerounais qui ont émigré vers l’Europe l’ont fait pour implanter l’Église en Occident, peut-on parler de mission inversée ? Au-delà de cette implantation, quelles sont les relations entretenues avec les Églises sœurs ? Tiennent-elles un discours interculturel ou œcuménique ? Vont-elles vers l’autre pour convertir des populations occidentales ou bien leur ambition se limite-t-elle aux ressortissants camerounais qui arrivent ?

Ce sont des questions qu’il va me falloir creuser davantage pour la la suite de ma recherche, mais ce qu’on peut premièrement observer sur le terrain est qu’au départ, la religion ne faisait pas partie des projets migratoires. Pour beaucoup, les Camerounais ont migré pour diverses raisons professionnelles, familiales, éducatives, etc. Ce n’est qu’une fois arrivés en terre d’accueil que les besoins d’encadrement spirituel se sont faits ressentir et que l’initiative a pris corps.

Deuxième observation : dans le monde protestant en général et l’Église Presbytérienne Camerounaise en particulier, les initiatives missionnaires viennent des fidèles. On observe aussi qu’en contexte migratoire, les personnes consacrées ou hommes d’Église (pasteurs, Anciens d’Église) perdent parfois une partie du prestige que revêtaient leurs statuts dans leur société de départ. Le discours de l’Église centrale aux fidèles installés à l’étranger est: «Mettez sur pied une communauté ! Débrouillez-vous pour trouver un moyen … Et lorsque vous serez bien structurés, faites-nous signe et nous viendrons entamer des démarches pour des reconnaissances au niveau institutionnel, soit avec des organismes au niveau de la France ou de la Suisse, soit avec des Églises sœurs sur place et au niveau du Cameroun». C’est le schéma en ce qui concerne les nouvelles paroisses étrangères de l’Église Presbytérienne Camerounaise, mais aussi pour beaucoup d’autres Églises dans le paysage protestant français: les communautés kimbanguistes, évangéliques camerounaises, congolaises, malgaches, coréennes et bien d’autres… C’est une particularité dans un monde protestant qui ne respecte pas forcément une structure très cadrée et contrôlée pour fonder des communautés.

Pour terminer, on dira que dans leur discours, les communautés presbytériennes camerounaises implantées en Europe pensent d’abord à évangéliser les ressortissants camerounais avant de toucher la société européenne. Mais cela n’empêche pas que ces communautés soient ouvertes aux relations œcuméniques, à l’interculturalisme avec d’autres communautés, institutions ou organismes. À ce stade de mes investigations, je pense qu’un grand travail de structuration, de dialogue et de communication s’avère plus que nécessaire pour aider ces communautés à mieux s’intégrer à la société d’accueil dans laquelle elles se trouvent.

 

Illustration: Adrien Franck Mougoué et Corinne Valasik lors du Jeudi du Défap du 4 avril 2004.

(1) Le bulu (ou boulou) est une langue bantoue parlée par entre 1 et 2 millions de locuteurs, principalement dans la région Sud du Cameroun le long des frontières avec le Gabon et la Guinée Équatoriale (il est apparenté aux langues fang parlées dans ces pays). Il a été codifié par l’Église presbytérienne camerounaise qui en a fait une de ses langues de prédication et d’enseignement.
(2) Le bassa (ou basaá) est une langue bantoue parlé dans la région d’Édéa et de Douala.
(3) Bria et al., Dictionnaire œcuménique de missiologie, Paris/Genève/Yaoundé: Cerf/Labor et Fides/Clé, 2001, p.216.

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