Islam et christianisme: un dialogue honnête - Forum protestant

Islam et christianisme: un dialogue honnête

Tout récemment paru à la fois en français et en anglais sous les titres L’islam à l’épreuve et Islam on Trial (1), le livre de Chawkat Moucarry s’inscrit dans une lignée d’ouvrages produits par cet auteur attachant à plus d’un titre. Compétence et franchise en sont les deux qualités remarquables sur un thème qui intéresse le monde entier.

 

Né dans le dialogue

«Dis-moi d’où tu parles.» C’est par cela que commence l’auteur, né en Syrie, à Alep, d’une famille chrétienne, évidemment en plein contexte musulman. On pourrait dire que sa voie est, sinon tracée, du moins esquissée par son identité même. Arrivé en France au début des années 70, Chawkat, que tout le monde appelle par son deuxième prénom Georges, milite au sein des Groupes Bibliques Universitaires où il fait office de spécialiste du dialogue avec les étudiants musulmans. Il passe une maîtrise de Théologie évangélique à Vaux sur Seine. Puis, désireux de répondre de manière informée aux étudiants qui lui posaient des questions sur l’islam, il entreprend des études d’islamologie qui le conduiront au doctorat en 1994. Ensuite, avec sa femme et leurs enfants, il passe vingt-trois ans en Angleterre où il enseigne diverses disciplines liées à l’islam dans le cadre de All Nations Christian College, puis de World Vision International avec quelques voyages sur des terrains parfois lointains. Après quoi arrive l’âge d’une retraite assez active en France.

Chawkat Moucarry a su s’attirer le respect de très grands théologiens musulmans, comme j’ai pu le constater personnellement lors de visio-conférences et lors d’une récente rencontre, parce qu’il a consenti l’effort nécessaire pour connaître et comprendre en profondeur ceux dont la religion n’est pas la sienne. Sa démarche est double: savoir reconnaître ce qui rapproche l’islam du christianisme, et même du judéo-christianisme dont l’islam, historiquement et doctrinalement, procède; oser expliquer pourquoi les relations amicales, voire fraternelles, ne peuvent aller jusqu’à la communion. Respect et franchise sont les conditions de dialogues fructueux, où l’on apprend à laisser tomber les sécurités faciles et fausses des préjugés et, à partir de là, à faire des pas significatifs l’un vers l’autre, sans sacrifier au mythe de la fusion et du «toutes les religions se valent». Face à un certain christianisme mou et vaguement honteux de lui-même – qui a peut-être le complexe de l’ex-colonisateur –, l’islam a le mérite de nous rappeler la valeur du sacré, de la conviction religieuse forte. Ce n’est pas un hasard si le christianisme et l’islam sont des religions prosélytes et il est tout à fait vrai de dire que les monothéismes, par définition, ne sont pas partageurs. Cela ne les oblige nullement à persécuter les individus et les peuples qui ne sont pas ralliés à leurs doctrines. Or, précisément, l’intérêt du dialogue dont nous parlons ici, c’est qu’il se développe entre des croyants qui ne concèdent rien à leurs pharisiens et extrémistes respectifs. Tuer au nom de Dieu, ce n’est pas défendable.

 

Deux théologies expliquées en relief

Le livre de Chawkat Moucarry se lit aisément. Et son intérêt est double: il constitue un très bon rappel de théologie chrétienne, en plus de nous instruire sur la théologie musulmane. La confrontation avec les cousins, avec nos Samaritains (qu’ils soient Mormons, Témoins de Jéhovah ou autres), est toujours l’occasion de vérifier ce qu’on croit et surtout de vérifier pourquoi on le croit. Souvenons-nous de la parole de sagesse du pharisien Gamaliel au moment de l’émergence de la secte des disciples du Nazaréen: «S’il s’agit d’une décision ou d’une œuvre humaine, elle disparaîtra; mais si cela vient de Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître» (2). De cela, on peut déduire, au passage, que si l’islam perdure depuis presque un millénaire et demi, cela ne peut pas être le simple fait de l’histoire humaine. Et on n’a pas à considérer le dialogue comme une menace pour ses propres croyances: si elles viennent de Dieu, elles résisteront. Évidemment, chaque camp se dit la même chose ! Mais le reste n’est-il pas l’affaire de Dieu ?

 

Le double commandement

Chawkat Moucarry aborde pour commencer la multiplicité des visages de l’islam, démarche d’autant plus nécessaire que celui-ci n’est hélas souvent repérable qu’au travers de la violence verbale ou armée de ses éléments les plus intransigeants, ceux pour qui le dogme et la récitation sont pies, la réflexion et l’intelligence impies.

La deuxième partie, «Islam et christianisme», entre dans les aspects théologiques, ceux qui sont objet de dissensions, de divergences voire de conflits, mais aussi sur lesquels les points de convergence abondent de manière surprenante pour le… profane. Ainsi, sont traités: la question de la falsification de la Bible; la personne et la nature de Jésus-Christ; la question de la Trinité (là, les fausses notions de ce concept sont à rectifier, et il n’est certes pas aisé d’expliquer qu’un Dieu en trois hypostases, ce n’est pas du polythéisme); le sujet du pardon (de la part de Dieu, et à quelles conditions; et entre les humains).

Soulignons que rien n’est traité hors-sol. La question des droits de l’Homme et des droits de Dieu est étudiée avec, évidemment, les enjeux liés à la laïcité et à la liberté de conscience, tout cela sur fond de sacré. C’est peut-être ce qui fait que cette étude, rédigée avec beaucoup de clarté, n’est jamais pesante et qu’elle nous tient en haleine de la première à la dernière ligne. Les enjeux sont considérables; ils engagent nos sociétés et même nos vies personnelles.

Je me suis souvent demandé si, pour l’Occident post-chrétien, l’islam n’était pas l’aiguillon destiné à lui rappeler que l’être humain s’illusionne lorsqu’il prétend être son propre maître et sa propre référence. «Dieu est Dieu, nom de Dieu!», nous lance-t-il à la manière de Maurice Clavel. Inversement, l’Occident a su développer des systèmes et des valeurs qui procèdent de ce que le Christ nous a légué avec une perfection insurpassable: l’amour du prochain. Pour ne prendre que deux exemples: la Sécurité sociale et l’égalité de dignité de l’homme et de la femme sont des fruits qui ne sont contestés que par les intégrismes financiers et religieux. Le dialogue islamo-chrétien peut, à mon sens, rééquilibrer chez les deux partenaires, selon leurs déficiences respectives, ce que Jésus appelait les deux plus grands commandements. Ceci est un point de vue; d’autres sont les bienvenus.

 

Illustration: la mosquée de Ris Orangis (à droite), voisine de l’église baptiste (à gauche, elle même voisine de la synagogue).

(1) Chawkat Moucarry, L’islam en question et Islam on Trial, préface de Mohammad Ali Amir-Moezzi, Langham Global Library, 2022; diffusion Excelsis pour la version française.

(2) Actes 5, 38-39.

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