Les jeunes et le travail : inégalités, difficultés, aspirations
Exacerbée depuis deux ans par une crise sanitaire et économique qui s’installe durablement, la situation des jeunes face à l’emploi n’en finit pas de se dégrader, entre difficulté d’insertion professionnelle, précarisation des emplois et creusement des inégalités. Pourtant, de nouvelles façons de travailler s’affirment chez les jeunes actifs. Marquées par une quête de sens, un éloignement des grandes métropoles et une mutation des formes du travail, elles traduisent un désir de liberté et de bien-être. Une huitième et dernière sélection de textes à lire pour enrichir le débat sur le travail en prévision de notre convention du 11 décembre 2021.
À lire, nos sélections précédentes: Le travail a-t-il un sens?, Maudit travail?, Télétravail pour tous?, Travail automatisé ou travail en miettes?, Travail: les femmes comme les hommes? et Travail: luttes des classes ou lignes de front?
Dans le sillage de la parution en mai 2021 du numéro de Foi&Vie consacré au travail et en attendant notre convention sur le même sujet, le Forum participe avec Regards protestants, Campus protestant et Musée protestant à la réflexion. Habitués à relayer sur Twitter, sur Facebook, dans notre newsletter, des textes et des réflexions qui approfondissent et font avancer le débat, nous en proposons ici un échantillon autour de la question des jeunes et le travail.
La précarité et les inégalités en hausse depuis la crise du Covid-19
Depuis le début des années 2000, les inégalités de niveau de vie s’accentuent et selon une étude de l’Observatoire des inégalités, les 18-29 ans sont les premières victimes de cette évolution ayant pour corolaire faibles salaires, contrats précaires et forts taux de chômage. Au contexte de morosité économique est venu s’ajouter la crise sanitaire, nous précise dans un entretien Anne Brunner, directrice d’étude à l’Observatoire des inégalités. Aujourd’hui, plus d’un jeune sur 10 est en situation de pauvreté en France et, durant la pandémie, ce sont les travailleurs en contrat précaire (CDD, intérim) qui ont majoritairement perdu leur emploi et se sont retrouvés pour une part sans droits au chômage, faute d’avoir pu suffisamment cotiser. Pour ces jeunes, les conséquences sont nombreuses: mal logement, isolement social et impact sur la santé psychique. Monique Dagnaud, directrice de recherches au CNRS, souligne de son côté la perte d’autonomie notoire de ceux qu’elle appelle la «génération des destins brouillés», ces étudiants ou jeunes actifs dont les projets ont été stoppés nets par les restrictions liées à la crise sanitaire.
Louis Maurin évoque quant à lui l’exaspération de la jeunesse face à ces bouleversements et invite dans un point de vue à redéfinir l’identité même du jeune, arguant que les disparités entre les différentes classes sociales ne permettent pas une lecture unilatérale de cette catégorie d’âge. Sans pour autant minimiser la détresse étudiante pendant la crise sanitaire, il alerte sur le quotidien difficile des plus précaires, sans diplômes, concernés par des emplois pénibles et mal rémunérés.
Mais les inégalités en milieu professionnel se fondent aussi sur des critères visant le sexe, l’apparence physique, l’origine ethnique ou encore l’âge des individus. Le rapport de La Défenseure des droits dresse ainsi ce constat alarmant: plus d’un jeune sur trois se dit victime de discriminations dans le cadre d’une recherche d’emploi ou dans sa carrière.
Des réformes pour répondre à la crise
En réponse à cette dégradation du niveau de vie de nombreux jeunes, le gouvernement français prévoit la mise en place de mesures visant à améliorer leur situation financière. A l’automne 2020, l’Observatoire des inégalités se posait la question des raisons du refus du revenu minimum pour les jeunes alors que la fragilité de ces derniers ne cesse de s’affirmer. En effet, alors que le revenu minimum a été mis en place dès 1989, la catégorie des 18-25 ans demeure exclue de cette aide sociale.
Pour contrer cette paupérisation de la jeunesse, Emmanuel Macron lance le contrat engagement jeune le 2 novembre 2021. Le système prévoit ainsi qu’à partir de mars 2022, les jeunes de moins de 26 ans sans formation ni emploi puissent bénéficier, à leur demande, d’accompagnements pour découvrir un métier, se former, trouver un apprentissage ou un emploi. L’allocation associée à ce contrat qui pourra s’élever à 500 euros mensuels est cependant soumise à de nombreuses contraintes et le dispositif ne concernerait en effet que 400000 bénéficiaires. Le frein à ce RSA jeunes: une crainte de l’assistanat et du peu de contrepartie en matière d’emploi.
Lancé à l’été 2020, suite à la première vague de Covid-19, le plan ‘un jeune, une solution’ a quant à lui été prolongé jusqu’à la fin juin 2022. Cette aide comportant une prime de 5000 euros pour les mineurs et de 8000 euros pour les majeurs promeut l’apprentissage auprès des jeunes. De sa mise en place a résulté une hausse de 42% des contrats d’apprentissages en 2020 par rapport à 2019.
Le travail repensé par les jeunes comme par les entreprises
L’apprentissage a le vent en poupe, rapporte Jean-Raymond Masson, car il présenterait un réel avantage dans l’accession rapide à un emploi stable. Jusqu’alors assez mal perçu et dévalorisé par rapport au parcours scolaire classique, l’apprentissage tout comme l’alternance séduisent et apportent une sécurité qui fait défaut à de nombreux secteurs de l’emploi. Pour les jeunes ayant opté pour un cursus universitaire, enchaîner les stages peu ou pas rémunérés et souvent mal encadrés est un passage obligé pour valider un diplôme et entrer dans la vie active.
Si leur statut est quelque peu remis en question, études et diplômes du supérieur n’en demeurent pas moins des atouts précieux sur le marché du travail, avantageant toujours les plus privilégiés, en particulier dans le contexte du Covid. Cependant, ce sésame se doit désormais d’être combiné à des compétences précises et notamment à un certain esprit de débrouillardise pour qu’un candidat soit véritablement attractif aux yeux d’une entreprise.
Parallèlement, on voit poindre Un changement de culture inédit qui voit les entreprises chercher à s’adapter aux plus jeunes candidats. Ana Benabs, journaliste pour France24, propose une description des millennials, ces jeunes nés entre le début des années 1980 et la fin des années 1990 qui à l’instar de leurs cadets de la génération Z participent d’une modification des codes du travail. Plus prompts à défendre leurs droits, cette tranche d’âge recherche un cadre professionnel assurant bien-être et épanouissement.
Dans son article sur les jeunes ayant perdu leur travail à cause du Covid-19, Camille Descroix rapporte que certains jeunes ont connu, précocement, une phase d’interrogation sur leurs choix professionnels et ont ainsi opté pour une reconversion dans un domaine plus proche de leurs véritables aspirations. Cette galerie de portraits d’anciens étudiants de l’INSA de Lyon… après reconversions témoigne par ailleurs d’un phénomène ancré depuis plusieurs années et marqué par un engouement nouveau des jeunes pour les métiers porteurs de sens, loin des bureaux, tournés vers l’humain, la nature, centrés autour d’une activité artisanale ou artistique.
Si les crises sanitaire et économique des deux dernières années ont ainsi profondément chamboulé le monde du travail, exacerbant inégalités et précarité, jeunes et moins jeunes y ont aussi vu l’opportunité de réinventer les codes du travail et de vivre plus en accord avec leurs passions et leurs convictions.
Illustration: ouvrière-tourneuse usinant des pièces d’avion de transport dans l’usine de la compagnie Consolidated Aircraft, à Fort Worth, au Texas (États-Unis).