Vivre la prédication par Internet ? - Forum protestant

Vivre la prédication par Internet ?

Sur Internet, c’est à chacun de mener sa propre recherche, de choisir ses sources, à chacun de faire sa propre synthèse sans qu’il y ait une autorité pour dire qui a raison.

 

Il y a une profonde affinité entre le protestantisme et Internet.

L’imprimerie a rendu possible l’éclosion de la Réforme protestante mais qui a surtout permis une véritable appropriation du texte de la Bible par le plus grand nombre. L’internet accentue encore cette démocratisation de l’information, presque gratuitement et librement. Ce n’est pas sans rappeler ce principe fondamental que Dieu offre tout par grâce.

Sur internet, c’est à chacun de mener sa propre recherche, de choisir ses sources, à chacun de faire sa propre synthèse sans qu’il y ait une autorité pour dire qui a raison. L’internet va même plus loin encore en permettant à quiconque le désire de dire son avis, ce qui  rappelle cet autre principe essentiel de la Réforme qu’est le « sacerdoce universel » : chacun est tout aussi prêtre et prophète que les autres, même si tout le monde n’est pas pasteur, professeur de théologie ou conseiller presbytéral.

Si le culte, la prédication ou l’étude biblique sont en ligne sur internet, ils peuvent être d’une certaine façon vécus à domicile par quiconque le désire, dans son lit ou en faisant le ménage, ou en voyage sur son téléphone, ou sur son lieu de travail pendant la pause du déjeuner. Le protestantisme a cherché dès l’origine à intimement mêler la foi et la vie quotidienne, relativisant le caractère sacré des lieux, des rites et des temps, valorisant la pratique personnelle des Écritures de la prière et du culte familial.

Mais rendre possible de vivre le culte par internet n’est pas sans poser des questions

Est-ce que cela ne va pas à l’encontre de l’idée de communauté, favorisant un individualisme où chacun se mettrait à penser et à faire n’importe quoi ?

Le risque était le même à l’origine de la réforme protestante, en considérant a priori chaque personne, quelle qu’elle soit, comme digne d’être directement en relation avec Dieu, de lire et d’interpréter la Bible elle-même. Les risques étaient pour les individus : tous seraient-ils capables de ce sacerdoce universel ?  Cette liberté ne conduirait-elle pas outre mesure à un vaste n’importe quoi ? Et, en adossant cette liberté sur la grâce de Dieu, les individus ne seraient-ils pas déresponsabilisés ? Et bien non, grâce à la qualité de la sincérité de la recherche de chacun, grâce aussi au fait que la foi et la pratique de la foi sont alors intimement mêlées avec la vie quotidienne du fidèle. Les risques étaient grands également pour la communauté chrétienne : si l’individu est ainsi rendu autonome, si l’essentiel est dans la pratique personnelle, ne va t-il pas déserter les saintes assemblées ? Et bien non, la pratique communautaire est simplement mise à sa place, comme un moyen au service de l’homme, et non une fin en soi.

Ces questions qui se posaient au moment de la réforme protestante se posent actuellement à peu près de la même façon pour les églises et les chrétiens devant les évolutions permises par internet.

1) Est-ce que la possibilité de suivre les prédications par internet coupe les gens de la pratique de l’église, ne faisant plus l’effort de se déplacer pour le rassemblement de la communauté ? D’expérience, il me semble que c’est rarement le cas, et que globalement, offrir la prédication sur le site internet de la paroisse favorise non seulement la diffusion de l’Évangile pour bien des personnes, mais développe assez considérablement l’assistance physique au culte dans la paroisse. Et cela pour bien des raisons.

a) Prenons par exemple un protestant allant régulièrement au culte. Va-t-il déserter l’assemblée des fidèles pour une pratique par internet ? Je n’en connais aucun exemple, ce serait comme si un fervent supporter de son équipe de foot pouvait avoir envie de déserter les stades parce que le match est retransmis à la télé. Par contre, bien des paroissiens me disent tout l’intérêt qu’ils trouvent à avoir le texte et pouvoir réécouter la prédication ensuite pour réfléchir dessus et pouvoir la diffuser auprès d’une personne à qui ils pensent que cela peut faire du bien. Il y a ainsi une prolongation de l’intérêt du culte.

b) Imaginons ensuite un pratiquant occasionnel. Cette faible assiduité peut avoir bien des raisons, une fatigue ou des difficultés de déplacement, soit un manque de motivation, soit parce que le pasteur ou certaines personnes de la paroisse ont été source de déception, ou tout simplement parce que le rythme hebdomadaire ne lui convient pas. La possibilité de suivre le culte, ou au moins la prédication par internet est une façon de garder le contact, d’entretenir sa foi dans l’intervalle et de renouveler l’envie d’aller au culte. Car c’est vrai que la participation physique sera toujours plus forte qu’une participation par internet.

c) Venons-en au chrétien d’une autre confession déçu par son église. Avec un peu d’intelligence et de foi il sent que Dieu est au-delà de cette église et il cherche… Aujourd’hui cette recherche se fait souvent par internet, cet devenu un réflexe de demander à son ami Google. Ce croyant a peut-être entendu parler du protestantisme comme une voie chrétienne plus ouverte et plus libre, en même temps, il a peut-être entendu bien des choses sur les sectes dangereuses plus ou moins confondues avec les fondamentalistes protestants qui refusent de penser l’évolution des espèces, qui militent avec les catholiques les plus durs contre l’interruption volontaire de grossesse et contre l’homosexualité… Et cette tension entre deux images du protestantisme fait souvent hésiter à entrer dans un temple. Une plaquette d’introduction avec de grands principes ressemble à un emballage commercial, suscitant une légitime méfiance. Alors que des prédications qui sont manifestement celles prononcées les dernières semaines et les dernières années ne peuvent être que le reflet de ce qu’est cette église et de ce qu’elle offre réellement à ceux qui le désirent.

d) Mais aujourd’hui, une large majorité de nos voisins n’ont aucune notion de religion. Et pourtant, parmi eux, bien des personnes cherchent, sentent la présence de Dieu, croient en « quelque chose », ou s’intéressent à la Bible, à la théologie. Où et comment cherchent-ils ? Aujourd’hui c’est en grande partie sur internet. Ils cherchent du côté du christianisme, du bouddhisme et de l’islam. Après avoir cherché longtemps tout seul, bien des personnes en arrivent à vouloir se poser dans une communauté. Mais il est bien plus difficile que l’on ne le pense de passer la porte de l’église et d’aller au culte. D’abord parce qu’il n’est déjà pas facile pour une personne venant de l’athéisme de s’imaginer elle-même dire un jour  « je suis chrétien pratiquant », avec tous les stéréotypes qui sont associés à cette idée. Et puis, là encore, comment savoir si cette église que j’ai repérée n’est pas plsu ou moins une secte qui va me manipuler sans que je puisse résister ? Et puis, comment est-ce que se passe un culte ? quand faudra-t-il se lever et s’asseoir, comment chanter, est-ce que l’on va me poser des questions embarrassantes…  ? Face à ces obstacles, une certaine pratique du culte par internet est un sas d’entrée très précieux. Et parce que notre prédication est vraiment le cœur de ce qui nous rassemble, les personnes qui viennent dans l’église par internet se trompent rarement, elles se sentent immédiatement chez elle dans la paroisse, et elles s’intègrent presque toujours comme un poisson dans l’eau.

Une difficulté et une chance pour l’église et ses prédicateurs

Le prédicateur a souvent un peu honte de sa prédication. Même quand nous avons fait de notre mieux, vraiment travaillé le texte dans toutes les langues des hommes et des anges, réfléchi, prié, bouquiné, mis nos tripes… pour finalement accoucher d’une prédication après dix ou vingt heures de travail, nous avons conscience qu’elle n’est pas à la hauteur de l’Evangile du Christ. La mettre en ligne sur le site de la paroisse expose notre prédication aux yeux des gens bienveillants mais aussi aux yeux des (autres) pasteurs et de ceux qui sont assis sur le banc des moqueurs dont parle le Psaume 1er. Et bien tant pis, ou tant mieux. Cela peut participer à notre motivation pour nous investir plus profondément. Nous sommes si sensibles au nombre que nous avons tendance à mieux préparer une prédication qui sera écoutée par dix mille personnes que quand elle sera donnée devant huit personnes. C’est un tort, car de toute façon, ce qui compte c’est individuellement chaque personne touchée, mais si avoir mille lecteurs et auditeurs de plus pour notre prédication nous aiguillonne, tant mieux pour tout le monde.

Comment valoriser cette affinité entre internet et le protestantisme ?

Depuis six ans, nous avons expérimenté à l’Oratoire du Louvre d’offrir par internet tout ce qu’il nous serait possible de partager de ce qu’offre la paroisse sur place. Le visiteur trouve systématiquement sur le site chaque semaine la prédication (le texte, l’enregistrement audio, mais aussi la vidéo), les études bibliques et les conférences, il dispose d’une aide à la lecture de la Bible et à la prière personnelle, un catéchisme d’adulte. Il y trouve une invitation à se poser des questions, à débattre et à entrer en dialogue avec un pasteur par mail. Bien entendu, une telle offre n’est pas nécessairement un défi à relever par toutes les paroisses, cela peut faire partie de la vocation particulière d’une paroisse. Mais quand même, j’aurais tendance à penser que la mission de base d’une paroisse protestante est de diffuser le plus largement possible une prédication, c’est le cœur de son service de Dieu et des humains. J’ai la conviction que notre vocation aujourd’hui est de particulièrement travailler cette prédication, et se donner la peine de l’offrir en ligne hebdomadairement sur le site internet de la paroisse, et pour cela de la rédiger (même si cela demande deux heures de travail de plus) parce que c’est par écrit qu’elle sera prise en compte par Google et proposée au plus grand nombre.

(17 juillet 2013)

Article écrit pour  le n°100 du magazine Lire et dire, Études exégétiques en vue de la prédication

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