Dépasser nos préjugés - Forum protestant

Dépasser nos préjugés

Réagissant au texte « Le manger et le péché » publié en deux volets sur ce site, un collectif de «théologien•nes et laïcs engagé•es confondu•es» rappelle ici la «nécessité de parler d’un sujet de santé publique aussi important en se basant sur des sources et des études scientifiques et sociales précises afin de considérer l’humain dans sa diversité et sa complexité».

 

Philippe Malidor publie un article en deux parties sous l’égide de Forum protestant, sous l’onglet Contributions – Prendre soin – Vivre ensemble.

Le fond de ces deux articles, dont nous avons lu attentivement le premier, est de dénoncer l’obésité comme un fléau, à aborder en Église aussi puisque, nous explique l’auteur, «Dans les paroisses, jamais on n’entend de prédications sur l’abus de nourriture. On a peur de choquer les personnes volumineuses qui, peut-être, souffrent d’un dérèglement hormonal».

Rapidement, l’angle Prendre soin nous échappe. Des phrases telles que

«En réalité, lors des repas en commun, il est très facile de voir, sans même observer, que ces personnes mangent double dose (voire pire), tapent dans la charcuterie, les pâtés en croûte, les fromages, les gâteaux, etc., en évitant soigneusement les crudités, les salades vertes et les fruits. Il ne s’agit donc pas d’infirmité physique mais de choix alimentaires délibérés»

n’ont aucun fondement empirique, sont discriminantes et stigmatisent les personnes grosses, qui feraient le choix délibéré de ne pas manger de salade.

À ce stade de l’article, nous aimerions rappeler, nous qui sommes ministres du culte et donc amenées à prendre soin du vivre ensemble, que de stigmatiser un groupe de personnes lors de nos prédications en chaire ne porte aucun fruit spirituel. Un prédicateur dont le ministère est reconnu par son Église n’apporte pas sa parole seulement mais il est responsable que la Parole dont il est le porteur relève des fruits de l’Esprit. Nous nous étonnons donc que Philippe Malidor semble penser que ce genre de prédications manque.

 

«L’égale humanité de tous•tes»

Venons-en aux personnes. Parmi celles qui ont lu ce texte pour y répondre, plusieurs sont obèses, ex-obèses, maigres sans intention de l’être, amoureuses de personnes dites obèses ou en famille avec. L’auteur semble se rappeler, lui aussi, que les obèses se savent gros•ses et que sa communauté est riche de cette diversité. Mais ça ne l’arrête pas et il poursuit, d’une façon dangereuse car elle se montre étrangère à l’égale humanité de tous•tes mais aussi totalement exempte de connaissances médicales ou diététiques de base, en affirmant:

«Le boulimique se remplit. Et il se remplit au point d’enfler. Et il enfle au point de modifier son anatomie, jusqu’à son estomac qui se distend et réclame toujours plus. Après quoi on le plaint et on lui rembourse partiellement des cures parce qu’il est malade. Celui que naguère on eût qualifié de pécheur est désormais un patient».

Étant donné le choix délibéré de l’auteur de mélanger toutes sortes d’arguments et de niveaux de lecture, nous exprimons fortement notre vigilance et nous rappelons à Regards Protestants la nécessité de parler d’un sujet de santé publique aussi important en se basant sur des sources et des études scientifiques et sociales précises afin de considérer l’humain dans sa diversité et sa complexité, et non sur des approximations, des souvenirs et des impressions qui véhiculent des stéréotypes stériles.

L’auteur semble déplorer l’existence de prédications invitant à venir comme nous sommes devant Dieu et admet même prendre sciemment le risque d’être assimilé à un pharisien. Mais face au danger qu’il perçoit dans l’obésité, qu’il assimile clairement au péché et donc dans son esprit à un manque de modération, de volonté, il se permet ainsi de culpabiliser et stigmatiser des personnes ayant une maladie physique que peut être l’obésité et souhaite les soigner par la répression de leurs envies alimentaires qu’il présume.

 

«Une pensée jugeante»

Nous terminerons en remarquant, théologien•nes et laïcs engagé•es confondu•es, que ce type d’argumentaire reflète une pensée orgueilleuse qui pourrait être elle aussi décriée comme le péché. L’auteur de ce texte pense qu’il est assez bon chrétien et qu’il gère donc avec son Dieu son rapport aux addictions. Il semble persuadé d’être parfait… à ses propres yeux. Et ainsi se permet de donner des conseils à des personnes et sur un sujet qu’il ne maîtrise pas de manière scientifique.

Très clairement, et la mobilisation de plusieurs ministres du culte et croyant·es engagé·es le relève, ce type d’article nous inquiète car il est le reflet complet d’une pensée jugeante, signe d’une société qui stigmatise au lieu de prendre soin, qui divise au lieu de favoriser le vivre ensemble. Une pensée bien éloignée du Christ, qui, justement, nous invite à dépasser nos préjugés pour écouter, aimer et «s’occuper de la poutre dans notre œil plutôt que de la paille dans l’œil du (gros) voisin».

Que fait un texte aussi moraliste, aussi peu sourcé sur la partie médicale qu’il évoque et aussi stigmatisant sur un média protestant supposément marqué par l’amour du prochain – gros•se ou pas ? La question demeure.

 

Signatures :

Frédéric Bouteiller, illustrateur
Dre Joan Charras-Sancho, diacre, chercheuse-associée à l’ILTP
Mathilde Contreras, écrivaine
Rita Cresswell, pasteure
Eloïse Deuker, pasteure
Stéphanie Ferber, pasteure
Amélie Michael, pasteure
Marianne Renaud, pasteure
Nicolas Rocher-Lange, pasteur
Céline Sauvage, pasteure
Sophie Ollier, pasteure
Nadège Peter, paroissienne
Ari Lee, écrivaine

 

Illustration: La parabole de la paille et la poutre (Domenico Fetti, Mantoue vers 1619, Metropolitan Museum of Art, New York).

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