Paul, une dynamique de vie - Forum protestant

Paul, une dynamique de vie

«Pourquoi nous intéresser à Paul aujourd’hui?» Peut-être parce que, à la fois homme d’action et de pensée, comme l’écrit N.T. Wright, Paul est dans une dynamique où s’invente le christianisme et où, loin du toujours répandu malentendu médiéval où l’on «va au ciel au moment de la mort», lui est l’ouvrier d’un mouvement «ciel et terre» qui «arrive dans le monde réel: le monde de l’espace, du temps et de la matière».

Texte publié sur Vivre et espérer.

 

Les grands penseurs du passé nous inspirent encore aujourd’hui. Paul, au départ Saul de Tarse, puis souvent appelé saint Paul ou l’apôtre Paul, fait partie de ces penseurs, bien qu’il ait été aussi un homme d’action, pionnier des premières communautés chrétiennes dans le monde gréco-romain.

Mais pourquoi nous intéresser à Paul aujourd’hui? Dans un contexte où le christianisme institutionnel décline, non sans rapport avec un ordre patriarcal et hiérarchique, on regarde de plus en plus aujourd’hui vers la dynamique du christianisme dans les deux premiers siècles, la période de l’invention du christianisme selon le titre d’un ouvrage collectif consacré à ce thème (1). On y remarque que la référence à Jésus apparaît très tôt après son départ, dès le début des années 50 dans les épitres de Paul, bien avant la rédaction des évangiles. Paul ne crée pas seulement des Églises dans le monde gréco-romain, il se fonde sur la mort et la résurrection de Jésus et l’interprète comme un événement déterminant dans l’histoire du monde. Quelle signification pour nous aujourd’hui? Grand exégète britannique et par ailleurs auteur de nombreux livres, N. T. Wright vient d’écrire une biographie de Paul (2) qui répond à nos questions.

 

Un nouveau monde en gestation

Au départ, N. T. Wright dissipe un malentendu. Dans le passé et jusque dans la jeunesse de l’auteur, beaucoup de chrétiens percevaient le christianisme dans une perspective de salut individuel: être «sauvé» et être «glorifié», pour reprendre les termes de Paul, signifiaient «aller au ciel au moment de la mort». C’était une attente en rapport avec des «questions médiévales»: «Le cadre de la terre et du ciel a été une construction du haut Moyen Âge». Or, «les chrétiens du premier siècle n’attendaient pas que leurs âmes quittent le monde présent matériel». Ce qui était premier pour Paul et les nouveaux chrétiens, c’était «la venue conjuguée du ciel et de la terre dans un grand acte de renouveau cosmique dans lequel les corps humains seraient renouvelés pour prendre leur place dans ce nouveau monde» (p.8). Paul avait une vision nouvelle de l’histoire. Il parlait de l’histoire comme de ce qui arrive dans le monde réel: le monde de l’espace, du temps et de la matière. Il était un juif qui croyait dans la bonté de la création originelle et à l’intention du Créateur de renouveler ce monde. Son évangile de salut portait sur le Messie d’Israël, comme cela avait été promis dans les psaumes. Ce que Dieu avait fait en Jésus et à travers lui, c’était un mouvement «ciel et terre», et non d’offrir un espace extra-terrestre.

 

Le message de Paul

N.T. Wright nous rapporte la vie de Paul dans un univers multiculturel. Mais le message de Paul n’est pas une synthèse philosophique. Il se fonde sur un événement, la mort et la résurrection de Jésus, et il s’enracine dans la culture juive, dans une histoire. Cette histoire est «l’histoire d’Israël comme enfants d’Abraham, Israël choisi par Dieu, choisi dans le monde, mais également Israël choisi pour le monde, Israël, le peuple de la Pâque sauvé de l’esclavage, le peuple avec lequel Dieu a fait alliance, le peuple à travers lequel toutes les nations seront bénies» (p.18). À l’époque, des signes donnent à penser que pour beaucoup de juifs, la Bible n’était pas d’abord un ensemble de règles et de prescriptions, mais un grand récit ancré dans la création et dans l’alliance et avançant dans l’ombre de l’inconnu (p.18). Et cette histoire n’était pas terminée. Elle était accompagnée de promesses et débouchait sur une espérance: un nouvel exode, une nouvelle restauration (p.19). Dans la révélation de Jésus, mort et ressuscité, Paul envisage cette histoire dans une perspective universaliste. Ainsi va-t-il appeler les juifs comme les non-juifs à entrer dans le mouvement de Jésus. Ainsi les épitres nous proposent un message à la dimension du monde entier. N.T. Wright évoque plusieurs textes de la Bible qui inspirent cette approche. Ainsi le psaume 2: «Tu es mon fils. Aujourd’hui je t’ai engendré. Demande-moi et je te donne les nations en héritage, pour domaine, la terre toute entière». Paul croit qu’à travers Jésus, sa mort et sa résurrection, le Dieu Un a vaincu toutes les puissances néfastes exerçant une emprise sur le monde. Et le pardon est accordé à tous. Cela signifie que tous les hommes, et pas seulement les juifs, sont libres pour adorer le Dieu Un: «Il n’y a plus de barrières entre juifs et non juifs» (p.79).

 

Des communautés nouvelles, un nouveau genre de vie

Les nouvelles communautés qui apparaissent rassemblent des juifs et des non-juifs dans un nouveau genre de vie. Elles dépassent et traversent les frontières de «la culture, du genre, de l’ethnie, du milieu social», elles sont contre-culturelles, une réalisation unique à l’époque (p.91). Ce mouvement est «profondément dépendant» de «la présence et de l’inspiration puissante du Saint Esprit», dans le déploiement d’une grande énergie (p.93). Le nouveau genre de vie qui apparaît ici sera, dans le long terme, le point de départ d’un changement des mentalités et d’une révolution sociale et politique, telle que nous la décrit l’historien britannique Tom Holland dans son livre Les chrétiens. Comment ils ont changé le monde (4). «La vision de Paul était celle d’une société dans laquelle chacun travaille pour tous et tous pour chacun» (p.427).

 

Genèse d’une théologie

Cependant, l’apport principal de ce livre ne nous parait pas là. Ce livre n’étudie pas seulement la vie de Paul dans ses différentes étapes, la fondation des communautés et la rédaction des lettres qu’il leur adresse, les épitres. Mais il analyse l’inspiration de ces épitres dans leur apport retentissant. Ce qu’il nous dit, c’est que la pensée de Paul se fonde sur l’événement de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus, qu’elle s’appuie sur le récit biblique en proclamant l’accomplissement du plan divin à long terme (p.119): «Le Créateur du monde a réalisé en Jésus la chose qu’il avait promise, accomplissant le récit ancien qui remonte à Abraham et à David… Les échecs sont maintenant surmontés. La mort du Messie a vaincu les puissances qui asservissaient à la fois les juifs et les gentils et sa résurrection a lancé un nouvel ordre du monde ‘sur terre comme au ciel’». Il y a maintenant un seul peuple, le peuple du Messie (p.130).

Si ce message a été écrit dans un lointain passé, il nous parait qu’il demeure actuel aujourd’hui. Il peut être entendu par ceux qui gardent une mémoire malheureuse d’une religion qui se détournerait du monde et trierait les personnes dans leur destinée. Il peut être entendu par nous tous en quête de boussole dans un monde incertain. À partir de la mort et de la résurrection de Jésus, c’est une dynamique de vie qui s’exprime là. La théologie de l’espérance que nous apporte par ailleurs Jürgen Moltmann (4) s’appuie sur cette dynamique. Elle s’inscrit dans cette perspective «eschatologique». Elle met en valeur la «nouvelle création» qui est en route en Christ. Et comme l’exprime Jürgen Moltmann, c’est une religion tournée vers l’avenir. On retrouve ici la vision de Paul: une dynamique de vie.

 

Illustration: détail de La conversion de saint Paul par le Caravage (vers 1600, collection Odescalchi, Rome).

(1) Roselyne Dupont-Roc et Antoine Guggenheim (éd.), Après Jésus. L’invention du christianisme, Albin Michel, 2020.

(2) Tom Wright, Paul. A biography, Harper One, 2018 (Wright signe ses ouvrages grand public Tom Wright, ses ouvrages moins grand public N.T. Wright).

(3) Jean Hassenforder, ‘Comment l’esprit de l’Évangile a imprégné les mentalités occidentales et quoiqu’on dise, reste actif aujourd’hui’, 17 février 2020.

(4) Jürgen Moltmann est très présent sur ce blog. Le blog L’Esprit qui donne la vie est spécialement dédié à son œuvre théologique.

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