Prisons : « Il faut espérer qu'après ça, les choses bougeront » - Forum protestant

Prisons : « Il faut espérer qu’après ça, les choses bougeront »

Après une instauration du confinement sans préparation le 15 mars, des mesures pour alléger la pression qui prouvent que l’on peut remédier à la surpopulation carcérale. Aumônier national protestant des prisons, Brice Deymié explique ce qu’il sait de « l’épisode » actuel et espère qu’il fera comprendre en haut lieu que « l’enfermement doit être l’exception et non pas l’unique référence en matière pénale ».

 

 

Une annonce brutale

Les dernières fois où on a pu entrer dans les prisons avant le confinement, les détenus nous plaisantaient en disant qu’eux, ils étaient à l’abri … Le virus leur semblait assez lointain et le retournement a été d’autant plus brutal qu’ils ne se sont rendus compte de la situation qu’au dernier moment, quand on leur a annoncé la fin des parloirs. Il y a eu plusieurs débuts de mutineries mais ça n’a pas été aussi violent qu’en Italie, il n’y a pas eu de conséquence grave et la casse a été limitée, sauf à Uzerche (1). Pourtant, de la façon dont on leur a annoncé ça (avec cette brutalité administrative bien française), je m’étonne qu’il n’y ait pas eu plus d’incidents. On aurait dû faire de la pédagogie, on aurait pu préparer les détenus, leur parler en adultes plutôt que leur annoncer la chose brutalement. D’autant qu’on le sentait arriver puisque l’Italie avait supprimé les parloirs 15 jours avant nous. On veut qu’ils deviennent des citoyens responsables et on fait tout pour les infantiliser. Il faudrait plutôt accompagner les gens fraternellement.

 

Un confinement strict et des mesures pour alléger la pression

Aujourd’hui, les détenus ont peur. Au confinement intérieur habituel s’ajoute un confinement extérieur puisque depuis le 15 mars, aucune personne extérieure à la prison ne peut plus y entrer. L’absence de parloir est quelque chose de particulièrement douloureux à vivre. Pas seulement parce qu’ils ne peuvent plus voir leurs proches mais aussi parce que beaucoup de choses entrent habituellement par les parloirs (dont de la drogue, du cannabis …). Il n’y a plus d’ateliers, plus de travail. Les seules activités qui restent, ce sont les promenades quand une certaine distance peut être garantie entre les détenus, et la télévision qui est gratuite pour la durée du confinement. Mais la télévision, ce n’est pas l’idéal comme activité, surtout en ce moment où c’est très anxiogène.

La gratuité de la télévision fait partie des mesures destinées à alléger la pression, avec les 40 euros d’aide aux détenus les plus démunis et les 40 euros de crédit téléphonique (2). Les opérateurs téléphoniques privés auraient pu donner la gratuité pendant le confinement car les détenus paient plus cher que les particuliers à l’extérieur. Sur 190 établissements pénitentiaires, 77 ont des téléphones fixes en cellule, soit 3 000 cellules et quelque (30 à 40% du total) qui sont équipées. Quand il n’y a pas de téléphone dans la cellule, il faut utiliser les cabines téléphoniques qui sont dans les coursives et on ne donc peut appeler que pendant le temps de déplacement, soit 15 minutes de conversation au plus, ce qui est assez court. Beaucoup de personnes ont aussi été libérées (3) : encore 5 000 libérations et on arrivera presque à un niveau normal d’occupation sans surpopulation carcérale. Des gens m’ont dit : « Ils libèrent des prisonniers, c’est inquiétant ». Mais ces prisonniers allaient de toute façon être libérés 3 mois plus tard … Il y a une conception bizarre de l’emprisonnement : comme s’il s’agissait de stocks définitifs de détenus alors que ce sont des flux de tant de gens qui entrent et de tant de gens qui sortent. Les stocks, ce sont ceux qui sont là un jour donné. On pense que les prisonniers le sont pour toujours alors qu’on côtoie tous les jours au café des gens qui l’ont été.

Quand il y a des cas de coronavirus chez les détenus, l’administration dit qu’ils sont consignés seuls dans une cellule mais on n’a pas d’information ni d’exemple de première main (4). La promiscuité est surtout importante en maison d’arrêt. Dans les pays du nord de l’Europe, ça se passe bien car les prisonniers sont en cellules individuelles. Dans les pays du sud, où ce n’est pas du tout le cas, c’est dramatique comme par exemple en Turquie. Et en Afrique, je n’ose pas imaginer comment ça va se passer.

 

Des aumôniers qui bricolent pour garder le contact

Le réseau des aumôniers est très malheureux. Au départ, certains ont essayé par tous les moyens de revenir en prison et on a dû les dissuader d’y aller pour ne pas transmettre le virus. Aujourd’hui, on essaye de rester en contact avec les détenus, mais c’est difficile. On envoie des choses mais on reçoit peu en retour. Cela dépend des arrangements locaux et donc du bon vouloir de chaque directeur : s’il accepte le courrier groupé, le numéro communiqué aux prisonniers (mais c’est payant et peut-être sur écoute). Ça reste très artisanal. On a demandé la création d’un numéro vert spécial prisons au niveau national pour que les détenus puissent échanger avec nous mais le ministère ne voulait pas donner le droit de diffuser le numéro tant qu’il n’avait pas la garantie que l’écoutant était un aumônier agréé. Ça a pris un certain temps, il y a eu des aller-retours et on a finalement garanti qu’il s’agirait d’aumôniers agréés en échange de l’assurance que les appels ne soient ni écoutés ni enregistrés. Le numéro est créé et sera diffusé cette semaine. Il a fallu un mois et c’est un peu long mais il y a énormément de volontaires. C’est la seule façon de rester en contact car nous sommes des artisans du face à face. Pas comme d’autres services qui vont peut-être souffrir d’avoir fonctionné à distance pendant la crise … Nous, notre travail est totalement artisanal, il faut qu’on soit là : on ne pourra pas nous remplacer par des tablettes.

 

Et après ?

La fin du confinement est prévue le 24 mai et on nous a dit que ce ne serait pas modifié, même si le confinement du reste de la population était prolongé. Il y aura un retour des parloirs, j’imagine que ce sera progressif et avec moins de personnes à la fois. Pour nous aussi, ce sera très progressif, on espère revenir dès le 24 mai mais ce n’est pas certain : peut-être que ce sera seulement deux jours par semaine au début. Si on peut y aller au moins une fois par semaine, ce sera déjà mieux qu’aujourd’hui.

Il faut espérer qu’après ça, les choses bougeront. Il y a une réunion prévue avec le collectif pour écrire un texte commun qui encouragera le ministère à prendre acte de la situation et à assurer un déconfinement réel. J’ose espérer que sera prise en compte l’absolue nécessité de ne pas multiplier les détentions provisoires. L’enfermement doit être l’exception et non pas l’unique référence en matière pénale. On va y arriver … et cet épisode dramatique va nous aider, il ne faut pas baisser les bras. Il faut garder l’énergie pour maintenir la pression sur le ministère car il ne faudrait pas qu’on reparte dans une inflation carcérale à cause du manque de volonté politique, qu’on applique cette politique frileuse qui consiste à libérer moins de prisonniers par crainte de l’opinion publique.

 

Illustration : des détenus sur le toit du centre de détention d’Uzerche le 22 mars.

(1) Voir l’article d’Isabelle Rio sur le site de France 3 Nouvelle Aquitaine (Confinement : bilan de la violente mutinerie à la prison d’Uzerche) qui en rend compte le 23 mars et indique que « deux bâtiments sont totalement détruits ».

(2) Voir le communiqué du ministère de la Justice détaillant ces mesures le 19 mars.

(3) Au 13 avril, il y avait 62 650 détenus incarcérés dans les prisons françaises, soit 9 750 de moins (13%) que les 72 400 incarcérés au 1er mars (source OIP). Selon le communiqué du ministère le 9 avril (en réaction à la décision du Conseil d’État de rejeter les recours contre les mesures prises à la mi-mars), « Cette baisse résulte, pour près de la moitié, de la réduction de l’activité des juridictions pénales. Le confinement entraîne une baisse importante de la délinquance de voie publique et un ralentissement des enquêtes, donc une réduction de l’activité des parquets, des juges d’instruction et de toute la chaine pénale. Le nombre d’incarcérations a donc baissé très fortement. Nous enregistrons environ 70 nouvelles incarcérations en moyenne depuis le 16 mars contre 250 habituellement, alors que la moyenne des personnes libérées en fin de peines n’a pas changé. L’autre moitié est liée à une augmentation des sorties de détention consécutives aux mesures mises en œuvre par les parquets et les juges d’application des peines depuis le début du confinement, et aux dispositifs de libération anticipée des détenus en fin de peine mis en place dans le cadre de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19. Seuls les détenus qui devaient déjà être libérés d’ici la fin du mois de mai sont concernés par ce dispositif. Ces mesures ne s’appliquent pas aux détenus condamnés pour les infractions les plus graves telles que les crimes, des faits de nature terroriste ou les auteurs de violences intra familiales. »

(4) Selon le dernier bilan de l’Administration pénitentiaire au 14 avril (source OIP), 76 détenus et 204 agents pénitentiaires avaient été testés positifs au Covid-19, 433 détenus et 465 personnels pénitentiaires présentaient des symptômes sans avoir été testés.

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