Crises locales ou effondrement global ? - Forum protestant

Crises locales ou effondrement global ?

À l’occasion d’un webinaire sur la collapsologie – ce courant de pensée préoccupé de l’effondrement possible de notre civilisation – Frédéric de Coninck présente son nouvel ouvrage publié aux éditions Mennonites: Crises locales ou effondrement global? Chrétiens dans un monde lézardé.

Lire la notice sur l’ouvrage sur le site des Éditions Mennonites.

 

Ce sont les éditions Mennonites qui m’ont suggéré d’écrire ce dossier sur la question de l’effondrement. Cela m’a intéressé car ce qui me frappe dans ces questions autour de l’environnement, c’est ce contraste assez fort entre les faits, assez longuement recoupés, vérifiés par de nombreuses équipes de recherche éventuellement concurrentes (donc un énorme travail scientifique) et la faible croyance que cela entraîne dans l’opinion. Il est vrai que cette faible croyance est un phénomène connu en sciences sociales: il est plus difficile de croire une chose qui entraîne potentiellement trop de remise en question. Si on prenait au sérieux tout ce qui a été recoupé et vérifié, cela nous remettrait beaucoup en question: on hésite donc à y croire.

Sur les questions liées à l’environnement, on ramène tout à une question d’optimisme ou de pessimisme. Du côté du pessimiste, on trouve les théories de l’effondrement et ceux qui prévoient qu’il y aura un effondrement complet de notre civilisation. À grands traits, oui, c’est une projection possible mais, cette fois-ci, ce n’est évidemment pas prouvé. Le fait qu’il y ait des pessimistes qui manient ainsi l’hyperbole peut laisser à penser qu’après tout, et à l’inverse, tout ne serait pas si grave, alors qu’il y a des choses qui sont bel et bien avérées et d’autres qui ne le sont peut-être pas tout à fait mais qui demeurent extrêmement vraisemblables. Parmi ces faits avérés: le climat change, et il change déjà. Et ce n’est pas une question de modèle. Car oui, on fait travailler en partie des modèles mais ici nous parlons de mesures, de ballons-sondes qui se promènent dans le ciel et qui évaluent les températures ainsi que les densités de dioxyde de carbone et des autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Il faut savoir que ce ne sont pas les météorologues qui ont inventé l’effet de serre. Il s’agit d’un phénomène physique connu depuis la fin du 19e siècle. Ce n’est pas quelque chose d’extraordinaire, c’est avéré. On peut le mettre en doute mais c’est avéré! Ce qui est avéré aussi c’est la consommation exagérée des ressources naturelles. Peut-être trouvera-t-on une voie pour consommer moins de ressources naturelles mais il est certain qu’on ne peut pas continuer au rythme actuel.

Un autre aspect dont nous sommes maintenant de plus en plus conscients c’est la multiplication des zoonoses. Les zoonoses ce sont les maladies transmises de l’animal à l’homme. Ce n’est pas un phénomène nouveau. Autrefois, déjà, lorsque des animaux comme la vache ont été domestiqués, ceux-ci nous ont communiqué toute une série de maladies assez graves, voire très graves, le temps que nous soyons immunisés. Aujourd’hui cela s’accélère parce qu’on se rapproche de plus en plus de l’habitat d’espèces sauvages. Le sida, le virus Ebola, puis le Covid sont autant de zoonoses. Quel que soit l’élément déclencheur, c’est toujours un virus présent dans un animal. L’OMS estime que chaque année apparaissent cinq nouvelles maladies parmi lesquelles on va trouver trois zoonoses dont la plupart, heureusement, sont bégnines.

Ce sont là des évolutions physiques, biologiques, mais il existe également des évolutions sociales. On s’est aperçu que cela était lié à notre mode de développement. Il existe une véritable coupure sociale, avec une infime minorité seulement qui s’enrichit. De plus, on observe aujourd’hui dans des pays comme la France une espèce de trou au milieu de l’espace social du fait de la disparition des emplois d’ouvriers qualifiés ou d’employés qualifiés. Cela signifie qu’il y a une légitimité politique qui s’effrite et c’est à cause de cela que les politiques autoritaires gagnent de l’importance un peu partout. Tout cela est traité dans le premier chapitre du dossier.

Certains se disent que l’innovation technique va nous aider à sortir de cette situation. Ce que j’explique, c’est que c’est très peu vraisemblable. Ce qu’on constate en effet aujourd’hui c’est que le progrès technique apporte une partie des solutions mais que celles-ci ne sont pas suffisantes. C’est ce que j’évoque quand je dis: «On n’est pas sur la bonne trajectoire». C’est un peu plus technique que cela donc je vais m’arrêter là mais il faut avoir à l’idée que l’innovation technique peut apporter une partie de la solution mais pas toute la solution. J’évoque des choses qui me paraissent raisonnablement sûres mais, de mon point de vue, un chrétien ne devrait pas avoir peur de la vérité. Et justement, pour moi, cette question du tribunal de l’opinion fait problème. Il ne s’agit pas de rester béats devant ce que l’un ou l’autre affirme. On peut vérifier, s’assurer par soi-même.

 

Accepter ou non d’être prophète

Dans le chapitre 2, j’essaie ensuite de déterminer si tout cela ne nous renvoie pas à des situations analogues – bien qu’évidemment différentes – dans la Bible. Je pense qu’on peut y trouver un écho du côté de l’Ancien Testament avec l’exemple des prophètes. Ces derniers ne prédisaient pas le futur en détail, ce n’était pas cela leur point. Ils étaient là simplement pour avertir des désastres inévitables qui attendaient le peuple d’Israël s’il continuait dans la direction où il était parti. Inévitables, mais quand? Ça, ils ne le disaient pas. Ces critiques concernaient des manières de faire, des manières de vivre ensemble, c’était des critiques sur le type de société que vivait Israël, sur la richesse, sur la violence, avec l’idée que la perte de foi entraîne des conséquences sociales et que certains états de fait sociaux entrainent de la perte de foi. J’évoque dans le chapitre 2 l’existence de deux attitudes: accepter ou non d’être prophète. Si nous l’acceptons nous sommes un peu dans la position de Jérémie qui, même s’il n’a pas été écouté, reste un prophète. Et puis il y a l’inverse, Jonas qui lui ne voulait pas être prophète. Il finit par être écouté mais il faut remarquer que quand il refuse de prophétiser, Jonas entraîne le chaos. Les éléments se déchaînent, ce qui était pour les anciens le signe que les forces du mal se déchaînaient. Nous avons la responsabilité nous-mêmes de prophétiser collectivement ou pas. Si nous ne le faisons pas, comme Jonas, nous pouvons déchaîner le chaos. Dans le Nouveau Testament, il y a les textes apocalyptiques qui, bien souvent, évoquent la Fin. Ce que je cherche à montrer c’est que ces textes apocalyptiques nous rendent attentifs aussi à des fins, des cycles, des petites fins qui préfigurent la grande Fin. Pour moi, il est clair qu’actuellement quelque chose est en train de finir. Un effondrement, peut-être pas, mais il est certain qu’on ne pourra pas continuer à vivre comme on vit aujourd’hui.

 

Un enrichissement qui nous empoisonne

Mon troisième chapitre interroge: est-ce que tout cela nous renvoie à des questions spirituelles ou bien est-ce que ce sont juste des questions matérielles? J’ai été frappé par le fait que l’Évangile nous questionne énormément – et même beaucoup plus qu’on ne l’imagine – sur l’attrait des richesses. Lorsqu’on fait la liste de tous les passages qui nous rendent attentifs à l’attrait des richesses, c’est vertigineux! Or, le constat lancinant posé par les crises environnementales c’est qu’elles nous renvoient à notre attachement à une croissance, un enrichissement qui pourtant nous empoisonne. Cela signifie donc peut-être aussi que, collectivement, nous n’avons pas les bonnes manières de considérer ce que c’est qu’une société bonne, ce que c’est que collectivement l’amour du prochain. Je pense que les critères de richesses quantitatives sont surévalués et qu’on ne donne pas assez d’importance à la qualité de la vie. Souvent, face à des questions compliquées, on se dit que la violence et les rapports de force paraissent des solutions correctes mais je pense que ce n’est pas la voie de l’Évangile. On a aussi tendance depuis une cinquantaine d’années à laminer progressivement les relations de proximité et à les transformer en des relations marchandes. Tout cela entraîne des questions matérielles mais qui ont des retentissements spirituels. J’ai cité, par exemple, la simplicité dont on parle dans l’Évangile, dans le Sermon sur la montagne: «Si ton œil est simple». J’ai parlé des béatitudes, ces dernières, déjà à l’époque, montrent bien que le bonheur, le vrai bonheur, n’est peut-être pas celui qui parait le plus évident. Dans le Sermon sur la montagne il est également question de la maison sur le roc. Il est expliqué que si on écoute l’Évangile, qu’on en tire les conséquences et qu’on le met en pratique, alors, même si tout s’effondre, on sera une maison sur le roc. En revanche, si l’on écoute l’Évangile et qu’on n’en tire pas les conséquences, qu’on ne met pas en pratique, on ne sera qu’une maison sur le sable.

Je vais terminer ce bref survol en disant qu’on pourrait espérer que les Églises, les communautés de foi, soient les porteuses d’une nouvelle manière de vivre ensemble, de vivre avec la nature, de vivre dans la simplicité. Il en existe déjà. Il y a d’ailleurs une Église qui est une Église verte et qui est connectée avec nous ce soir. Il en existe mais, globalement et collectivement, je crois que nous sommes trop timides. Il y a finalement, je pense, un peu trop d’insouciance, dans le sens où on ne prend pas vraiment la mesure du danger que l’on court. Un peu trop de timidité, un peu trop de passivité alors que la foi, pour moi, est une forme de hardiesse.

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