Le vieillissement de l’Église, une bonne nouvelle ? (1)
Dans cette première partie de la table ronde (animée par Stéphane Lavignotte) ouvrant la convention Vieillir: un défi pour la société et pour l’Église, Nicolas Cochand se demande d’abord ce que l’on entend par vieillissement de l’Église puis constate que c’est plus la société que l’Église qui vieillit et que celle-ci doit d’abord s’adapter aux nouveaux modes de participation à l’Église qui ne sont pas nécessairement liés à l’âge.
Interventions prononcées pendant la 9e convention du Forum protestant le 22 novembre 2022 au Foyer de l’âme (Paris).
Visionner l’ensemble des interventions et débats de la 9e convention (cette première partie de la première table ronde va de 0h05 à 0h22).
Stéphane Lavignotte : Cette première table ronde sur le vieillissement dans l’Église correspond à une thématique développée dans le numéro (et Cahier du Christianisme social) de Foi&Vie intitulé Place au vieux !. On est partis d’une boutade: dans les milieux d’Église, on entend régulièrement dire qu’il n’y a plus de jeunes et que nos Églises vieillissent… mais depuis le temps qu’elles vieillissent, elles devraient être mortes depuis longtemps ! Cette table ronde est donc à la fois pour se poser cette question-là et puis interroger cette idée que les Églises vieillissent.
Trois invités aujourd’hui pour échanger sur ce sujet: Nicolas Cochand qui est professeur de théologie pratique à l’Institut Protestant de Théologie de Paris, Dominique Hernandez qui est la pasteure du Foyer de l’âme, et puis Edith Tartar-Godet qui est psychologue et psychosociologue. Edith Tartar-Godet a a publié dans Foi&Vie un article autour de cette question d’Église et vieillissement et on la remercie car il a été très difficile de trouver des gens qui voulaient bien écrire sur ce thème !… Merci aussi aux intervenants de s’être collés à ce questionnement. Chacun va d’abord parler pendant un quart d’heure, ce qui nous laissera après une demi-heure d’échanges pour que les intervenants réagissent à ce qu’ont dit les autres intervenants et puis que le public puisse aussi réagir et poser des questions. Je donne d’abord la parole à Nicolas Cochand qui va plutôt porter un regard sociologique sur cette question.
Nicolas Cochand: «Il n’y a pas d’âge pour se rapprocher de la vie ecclésiale»
Nicolas Cochand: Chaque année, l’Église est plus âgée d’un an, et c’est une bonne nouvelle. Elle indique que l’Évangile reste une réalité d’aujourd’hui pour les personnes qui l’écoutent et s’efforcent d’accorder leur vie à cette expérience et à ce message ou cette rencontre. L’Église est une institution qui est appelée à durer et qui est donc aussi marquée par des signes parfois de vieillissement et d’usure de l’institution.
De quoi parle-t-on lorsqu’on pose le thème du vieillissement de l’Église ? Qu’est-ce qu’il y a dans l’affirmation qui est sous-entendue, à savoir que les Églises vieillissent ?
Le titre de notre table ronde est Le vieillissement de l’Église, une bonne nouvelle ? et je vais d’abord interroger l’interrogation puisque le point d’interrogation porte sur une bonne nouvelle mais pas sur le vieillissement de l’Église. Je vais donc interroger l’idée qui est là-dessous puisque sous la formule de vieillissement de l’Église, il y a une affirmation : l’Église vieillit.
De quoi parle-t-on ?
Lorsqu’on dit que l’Église ou les Églises vieillissent, est-ce qu’on veut dire par là que leurs membres vieillissent ?
Est-ce qu’on veut dire que la majorité des membres sont des vieux (ce qui semble être sous-jacent derrière les l’idée de «Où sont les jeunes, on ne voit plus que des vieux») ?
Est-ce qu’on veut plutôt dire que le discours, la manière de faire, de vivre, de célébrer par exemple, vieillit ? Et veut-on dire aussi par là que les Églises sont faites pour les vieux ? Derrière cette idée que l’Église vieillit, il y a une autre affirmation: c’est qu’il devrait y avoir plus de jeunes.
Finalement, est-ce qu’il s’agit d’un état de fait ou d’un jugement de valeur ? Autrement dit, si véritablement (ce qui reste à démontrer) les Églises vieillissent, faut-il s’en attrister et faut-il s’en inquiéter ?
Ce qui m’amène immédiatement à me demander s’il n’y aurait pas derrière ces idées de «Il devrait y avoir plus de jeunes», «Il y a trop de vieux»… un écart entre l’Église telle qu’on l’observe, telle qu’on la vit et puis l’Église idéalisée, peut-être même fantasmée ?
Voilà le type de questions qui vont revenir dans ma présentation et dans la discussion.
Un fait social…
Il faut donc interroger l’affirmation qu’il y a derrière la formule vieillissement de l’Église: elle est probablement vraie et fausse à la fois; il convient d’aller au-delà d’une perception intuitive qui semble prendre la forme d’une évidence. On dit régulièrement «Les églises se vident» et effectivement, il ne devrait plus y avoir personne depuis longtemps… Il y a une affirmation mais sur quoi repose-t-elle et sur quel type de faits ? Le vieillissement est un fait social, nous aborderons donc d’abord la question sous l’angle sociologique.
Il y a une observation qui est à la base: nous vivons plus longtemps. La proportion des retraités dans la société est en croissance et va continuer d’augmenter. Ma génération (celle du baby-boom) va partir massivement à la retraite dans les prochaines années et il est donc naturel qu’il y ait des personnées âgées en plus grand nombre dans la société comme dans l’Église. L’idée d’un vieillissement de l’Église reflète d’abord l’état de la société en Europe. La France est un des rares pays d’Europe à ne pas avoir eu de déficit démographique durable, contrairement à l’Allemagne ou à l’Italie où il y a depuis très longtemps beaucoup moins de naissances. Mais c’est en train de changer: il y a moins de naissances en France donc de facto, la société vieillit dans son ensemble et les Églises vont vieillir. Il en va autrement dans beaucoup d’autres régions du monde.
C’est toutefois accentué par un autre facteur sociologique: historiquement (c’est à dire depuis la fin du 19e siècle), le protestantisme qu’on appelle parfois historique, luthérien-réformé, compte moins de membres des classes populaires. Les classes sociales dans lesquelles se recrutent majoritairement ces protestants (notamment à Paris) sont des classes sociales qui vivent plus longtemps que les classes populaires. Dans les classes populaires, on meurt plus jeune, il y a une inégalité sociale du vieillissement.
… et ses conséquences
Autre aspect: ce sont les vieux qui financent l’Église. Seront-ils remplacés quand ils mourront ? En réalité, il semble que la courbe d’âge des donateurs n’évolue pas beaucoup. Cela correspond aussi à une réalité socio-économique aujourd’hui: les personnes âgées (globalement) ont plus de moyens que les jeunes. Ce qui change en revanche, c’est le nombre de donateurs nominaux (je parle de l’Église dont je suis ministre en tant qu’enseignant et dont fait partie ce temple: l’Église protestante unie de France): il diminue régulièrement. Est-ce le fait du vieillissement ? Oui et non…
L’attachement à la religion et à l’Église semble plus important chez les personnes âgées et moins important chez les jeunes générations. C’est ce que nous disent les enquêtes sociologiques. Toute la question est de savoir si cela indique une pente inexorable ou si le rapport va rester le même: les jeunes d’aujourd’hui (qui seront les vieux de demain) garderont-ils le même désintérêt ou augmentera-t-il avec l’âge ? Sans doute un peu des deux.
Certaines Églises semblent attirer majoritairement des jeunes. Mais on peut retourner la question: dans ces Églises où il y a beaucoup de jeunes, où sont les vieux ?
L’Église est désormais un choix personnel
Je parle de la question de l’appartenance parce qu’elle est à mon avis la question déterminante. Aujourd’hui, il n’y a pas de pression sociale qui engage à appartenir à une Église: c’est un choix personnel, à un rythme variable avec des périodes plus intenses et des périodes où l’on s’engage moins, où l’on prend distance. Dans la trajectoire de la plupart des gens d’aujourd’hui, il y a des phases où l’on accorde de la place et de l’importance à un engagement dans la vie de l’Église et d’autres périodes où d’autres types d’engagement deviennent prioritaires.
On est membre d’une Église par choix, même si on est enfant, petit-enfant de personnes qui ont été et qui sont engagées. Cela a des conséquences considérables pour les paroisses et Églises locales (j’avais fait une fois cette enquête de manière très informelle): la plupart des membres actifs actuels ne sont pas les enfants des membres actifs d’il y a 30 ou 60 ans. Il y a bien sûr des exceptions, mais majoritairement ce n’est pas le cas. Cela est dû aux mobilités personnelles: affectives, professionnelles, spirituelles. C’est par choix qu’on est là.
Pour le dire autrement: les communautés locales qui sont restées sur le mode du renouvellement par tradition familiale – les responsabilités étant progressivement confiées par les anciens aux plus jeunes – sont menacées de disparition. Les responsables vieillissent et la relève n’arrive pas.
Accueillir les arrivants… ou revenants
Le fait d’avoir des trajectoires individuelles différenciées est à prendre en compte dans la durée: durant leur vie, les personnes se rapprochent et s’éloignent successivement de la vie de l’Église. L’enjeu désormais pour les communautés locales n’est pas de fidéliser les enfants des membres (même s’il est utile et bon de le faire), mais d’être en mesure d’accueillir ces personnes qui arrivent ou qui reviennent de toutes sortes d’ailleurs, souvent sur la pointe des pieds. Il en va d’un désir et d’une capacité d’accueil de personnes de provenances diverses.
Les communautés locales qui parviennent à faire cette transition peuvent observer un renouvellement de leurs membres, qui peut coïncider avec un rajeunissement mais pas nécessairement: il n’y a pas d’âge pour se rapprocher de la vie ecclésiale. On m’a parlé aujourd’hui d’une Église locale qui voit arriver de nouveaux membres mais qui sont des âgés parce qu’elle est située dans le département de France où la moyenne d’âge est la plus élevée.
Ce mouvement de retour ou d’accueil n’est pas réservé à un type spécifique de piété ou d’orientation théologique. On l’observe aussi bien dans des paroisses dites libérales que dans des paroisses dites plus évangéliques.
Enfin, j’aimerais interroger le vieillissement dans une perspective d’histoire des mentalités. Pendant longtemps, l’âge donnait autorité et incitait au respect de la part des plus jeunes. Aujourd’hui, vieillissement vaut perte de valeur. La nouveauté, la jeunesse sont valorisées. Mais la nouveauté toujours renouvelée de l’Évangile est-elle nécessairement en corrélation avec l’âge des membres de l’Église ?
Stéphane Lavignotte : Merci d’interroger la question et de bien montrer qu’elle se pose dans une société qui évolue dans sa composition en termes d’âge. Mais comme tu l’as bien montré, qu’elle est aussi percutée par les évolutions du rapport au croire, aux institutions, du moment de leur vie où les gens s’investissent dans les associations et donc aussi dans les Églises.
(Lire la suite: l’intervention d’Édith Tartar-Goddet)
Illustration: Nicolas Cochand, Dominique Hernandez et Stéphane Lavignotte au début de la table ronde.