Retraites: quelques leçons pour un mouvement social - Forum protestant

Retraites: quelques leçons pour un mouvement social

«Résurgence du mouvement syndical», «unité» dont il a su faire preuve, «retour au premier plan de la question du travail» et constat que «rien n’est véritablement réglé»: «Le système était déjà inégalitaire, il va le rester». Pour Jean-Louis Malys, ancien secrétaire national de la CFDT (interrogé par Frédérick Casadesus), tel est le bilan des trois mois de bras de fer entre les syndicats et le Président qui a, selon lui, ouvert un «boulevard aux extrémistes».

Chronique publiée sur le Blog de Frédérick Casadesus.

 

L’heure de la retraite a-t-elle sonné pour le mouvement social? Emmanuel Macron l’espère. Le Président de la République a voulu tourner la page de la crise en présentant, lundi soir, trois chantiers prioritaires: élaborer un nouveau pacte de la vie au travail, rénover l’ordre républicain, soutenir un élan collectif en faveur du progrès. Nous saurons bientôt si cette intervention a convaincu. Les syndicats ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne participeraient à aucune discussion avant le 1er mai. Pour Jean-Louis Malys, ancien secrétaire national de la CFDT, la colère et la déception ne doivent empêcher de regarder vers l’avenir.

«Je formulerais quatre observations, dit-il en préambule. Tout d’abord, nous avons constaté la résurgence du mouvement syndical comme une composante essentielle de la vie démocratique. Ce n’était pas évident, nombre de gens considérant que les syndicats avaient fait leur temps. Ce sont bien les syndicats qui ont su imprimer leurs revendications, de façon massive et coordonnée, dans le calme.»

Pour en percevoir la mesure, on rappellera que le taux de syndicalisation des salariés français se situe aux alentours de 10% depuis vingt ans – un pourcentage inférieur de deux points dans le secteur privé. L’augmentation du nombre d’adhérents, ponctuellement affichée, ne saurait pour l’instant valoir pour un renversement de tendance même si la légitimité syndicale en France repose sur les élections professionnelles. Cette situation ne les a pas entraînés dans une radicalité que certains pouvaient redouter – ou désirer.

«Le deuxième élément, peut-être lié au premier, c’est l’unité dont ont su faire preuve les centrales et les structures confédérales, analyse Jean-Louis Malys. Depuis le début du mois de janvier, sans masquer leurs divergences, les responsables syndicaux se sont entendus sur des principes, des objectifs et les moyens de les mettre en œuvre. Alors que les partis de droite et de gauche se divisaient – des députés de La France Insoumise donnant parfois un spectacle inadmissible en séance plénière – le mouvement social a su se montrer à la hauteur des enjeux. Même ceux qui ne partagent pas ses slogans l’ont reconnu.»

Le troisième point distingué par notre interlocuteur est le retour, au premier plan, de la question du travail. Quelques mois après la fin des confinements, dans une société toujours vulnérable, c’est bien ce thème qui est apparu fondamental.

«Bien souvent, le dossier des retraites a l’air technique, déclare Jean-Louis Malys. Mais dès qu’on gratte un peu, on se rend compte que derrière ce côté rébarbatif, il y a la vie quotidienne ou professionnelle, la santé de millions de nos concitoyens qui sont en jeu.»

Voilà qui conduit notre interlocuteur à considérer, quatrième point de son argumentaire, que rien n’est véritablement réglé. «Vœu pieux d’un militant», pensera-t-on. Mais Jean-Louis Malys envisage la chose autrement:

«Le système était déjà inégalitaire pour les femmes et les salariés ayant des carrières modestes, il va le rester; l’emploi des seniors va demeurer, là aussi, un problème majeur, la plupart des entreprises préférant se débarrasser de leurs aînés. Hormis dans les pays scandinaves, où l’accompagnement des seniors est remarquable, on note que les mesures d’âges se traduisent par une augmentation du nombre de personnes de plus de soixante ans en situation de précarité».

 

Jeu mortifère

Dans un tel contexte, Jean-Louis Malys déplore l’attitude du chef de l’État. Le Président de la République a tenu sa place et remporté, nul ne peut le contester, une victoire politique. Mais à quel prix?

«Refusant la main tendue, Emmanuel Macron a méprisé les salariés de ce pays, regrette Jean-Louis Malys. En comparant les manifestants aux partisans de Donald Trump ou Jair Bolsonaro, il a montré qu’il ne comprenait rien au mouvement social actuel. Agissant de la sorte, il a ouvert un boulevard aux extrémistes.»

Nombre de commentateurs partagent ce point de vue. Qui ne rencontre aujourd’hui, dans la vie sociale, amicale ou familiale, des gens qui déclarent: «La prochaine fois, moi, je n’irai pas voter pour empêcher Marine Le Pen de l’emporter»? Jean-Louis Malys, lui, refuse de se laisser piéger par ce jeu mortifère:

«Je suis porteur d’un virus qui s’appelle l’optimisme. A priori, je fais toujours confiance aux gens, aux êtres humains. J’essaie toujours de voir ce qui peut permettre de progresser».

En ces heures graves, l’auteur de ces lignes se rappelle Antoine Rufenacht (1939-2020), gaulliste, protestant, qui fut quinze ans durant maire du Havre et plusieurs fois député de Seine-Maritime. Bien avant 2017, cet homme d’expérience avait déclaré dans un sourire: «Pour être président de la République, il faut avoir souffert, être couturé de partout, sinon…». Paroles d’évangile?

 

Illustration: Laurent Berger et Philippe Martinez en tête de la manifestation contre la réforme des retraites du 19 janvier 2023 (photo Roland Godefroy, CC BY-SA 4.0).

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