La situation des femmes dans l’Histoire
Aperçu de l’historiographie de la condition féminine à travers les époques et le traitement des sources. Ou comment les femmes, de tous âges et de toutes conditions, sont progressivement réapparues au sein du récit historique, à mesure des avancées sociales et de la réappropriation de leur histoire par les femmes elles-mêmes.
Intervention prononcée lors de la journée du Christianisme social Égalité femmes hommes: réalité ou utopie ? du 22 octobre 2022.
1. Un problème de sources
On rencontre en Histoire un même problème pour tout ce qui concerne les femmes: il existe très peu de sources directement exploitables et leur domaine a longtemps suscité peu d’intérêt de la part des historiens eux-mêmes. Très peu de textes racontent et décrivent spécifiquement les différents aspects de la vie des femmes: ils sont considérés comme banals et sans importance dans beaucoup de sociétés. Si quelques allusions y sont faites, parfois, c’est au détour d’un texte portant sur l’histoire des hommes (homme aux deux sens français du terme: êtres humains et mâles).
Au début du 20e siècle, historiens, anthropologues ou encore ethnologues commencent à réfléchir à la question des femmes, mais au départ toujours de façon succincte. Ce n’est que depuis le milieu du 20e siècle que le questionnement se fait plus précis, plus insistant. Des traces de leur histoire, auparavant négligées, refont surface. Ces traces indirectes dépendent de la possibilité de ces indices à rester accessibles et cela est souvent moins lié à l’ancienneté des traces qu’au hasard des trouvailles. L’Histoire n’est pas linéaire, elle comporte des évolutions rapides, de longues stagnations et aussi des retours en arrière (par exemple, après l’instauration du Code Napoléon, le 19e siècle est resté largement aveugle au destin des femmes).
Parmi les traces exploitables, on recense notamment celles mises au jour par l’archéologie, une discipline s’appuyant sur des techniques scientifiques toujours plus pointues et où les femmes, de mieux en mieux représentées, ont davantage le souci de la vie passée des populations féminines. Pour les périodes très anciennes, on dispose de beaucoup de corps – sauf quand il y a eu incinération – ou de fragments de corps dont on sait de mieux en mieux déterminer le sexe et l’âge approximatif. On pense notamment au fragment d’os qui a permis la découverte de l’homme de Denisova et qui provenait en fait de la phalange d’une très jeune fille! Dans les sépultures de certaines époques, les personnalités prestigieuses étaient entourées de nombreux objets. Ainsi la princesse de Vix à Châtillon sur Seine, enterrée avec notamment le plus grand vase grec en bronze connu (1m60 de hauteur!). À d’autres périodes de l’Histoire, les tombes – de femmes aussi bien que d’hommes – se font plus modestes et s’accompagnent de petits objets rituels à travers lesquels on peut deviner, parfois, des aspects de leur vie sociale passée.
L’archéologie s’intéresse également de plus en plus aux traces d’habitat. Longtemps ignorés ou négligés, ces vestiges peuvent livrer de nombreux indices sur la vie domestique et sur la place qu’y tenaient les femmes (c’est le cas du site de Pompéi, par exemple).
Un autre type d’indices, qui apparaît surtout à partir du Moyen Âge: les actes notariés et les registres paroissiaux. Ils proviennent essentiellement d’Europe et peuvent être vieux de plusieurs siècles ou seulement de quelques dizaines d’années. Ceux qui nous parviennent ont réchappé aux incendies, aux inondations, au saccage des armées d’occupation ou encore aux guerres civiles et aux révolutions… Un des premiers exemples d’exploitation de ces sources a été l’enquête dirigée par Pierre Goubert sur les registres du 17e siècle dans les campagnes du Bassin parisien. On y découvre, sur plusieurs centaines ou milliers d’individus, les structures familiales de ces lieux et leur évolution selon l’âge des personnes. On apprend que, de leurs 10 ans au début de leur vingtaine, la plupart des hommes et des femmes sont placés par leurs parents dans de riches exploitations où ils accumulent si possible un pécule en vue de s’établir et de fonder une famille. Surprise! Les femmes comme les hommes ne se marient que passé 25 ans. Les épouses sont même souvent plus âgées que leurs maris! Autre fait notable: la fréquence de la mortalité en couches et les remariages rapides des hommes, qui ne peuvent faire face seuls aux très nombreuses tâches qu’exigent une exploitation.
Beaucoup d’autres sciences auxiliaires de l’Histoire ont ainsi offert des points de vue divers sur la façon de vivre des femmes selon une époque et une région données. Pourtant, malgré des progrès incontestables, ces indices ne composent qu’un puzzle partiel, toujours à compléter. Si les traces laissées par les femmes sont assez clairsemées, pleines de lacunes et rarement laissées volontairement, il n’en est pas moins vrai que, depuis quelques courtes décennies, l’intérêt pour leur sort est devenu central. Des chercheurs ( et surtout des chercheuses) de plus en plus nombreux se sont lancés dans ces enquêtes en y trouvant de vrais motifs d’étonnement, voire des résolutions d’énigmes. Le point de départ de ces investigations est souvent la découverte inattendue de lots d’archives qu’on n’aurait pas imaginé interroger de façon rigoureuse quelques dizaines d’années auparavant. Fréquemment, c’est aussi à l’occasion de recherches généalogiques privées effectuées par des non-spécialistes dont l’intérêt est surtout sentimental que ces progrès ont pu être réalisés. Ce peut être aussi à la faveur de l’intérêt grandissant pour un tout petit pays ou pour un petit groupe humain dont on se sent particulièrement proche (recherches sur les patrimoines, etc.). Cela se traduit au départ par des monographies qui, rassemblées et retravaillées par des universitaires ou dans le cadre d’un sujet de thèse, étoffent le matériel de base pour explorer des pans entiers et nouveaux de l’Histoire.
2. Et les femmes, donc, dans tout ça ?
Au sein de ces toutes petites monographies, elles sont assez souvent présentes mais de manière un peu dispersée. Elles sont beaucoup moins présentes dans les travaux de recherche plus globaux car le côté répétitif de nombreuses notes faites à leur sujet en dilue l’intérêt une fois les notes de synthèse rédigées.
En revanche, certaines recherches se focalisant spécifiquement sur des sujets liés aux femmes et à leur rôle dans un milieu social défini apportent parfois un savoir nouveau.
Apportons quelques précisions à propos des sujets sur lesquels historiens et historiennes s’accordent aujourd’hui.
Tout d’abord, les modèles sociaux que nous connaissons le mieux sont ceux des sociétés d’Europe et du Proche-Orient, depuis la fin du Néolithique et depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui. Mais ces modèles sociaux sont connus canton par canton et ne concernent que ceux que l’Europe a exportés depuis les cinq derniers siècles, selon deux modalités principales.
Premièrement, il y a ceux qui sont connus et documentés par analyse directe et travail de recherche récent, indépendamment des traditions colportées de génération en génération.
Ensuite, il y a ceux qui nous sont parvenus comme des modèles intellectuels et idéaux élaborés par des sages issus du passé (Platon et Aristote pour la Grèce du 5e siècle, les règlements ecclésiastiques pour l’Église du Moyen Âge). Pendant longtemps, ces descriptions idéalisées ont largement été prises à la lettre, parce que consacrées par leur caractère écrit et émanant de poids lourds de la pensée et de la philosophie. Or, ces textes de référence ont presque tous été rédigés et transcrits par des hommes et ils ont tous minimisé, voire complètement effacé, tout ce qui concerne les femmes. En général, ils justifient cette discrimination par des considérations perçues à l’époque de leur rédaction comme des évidences: faiblesse physique mais aussi psychique des femmes, simples vases à recevoir la semence des mâles…
D’autre part, depuis un demi-siècle environ, bien d’autres modèles sociaux ont été étudiés et font apparaître d’autres façons de considérer les femmes, en général, ou dans leur appartenance à des milieux particuliers. De même que, jusqu’au début du 19e siècle (voire du 20e siècle), la majeure partie de la population (80%) est constituée de paysans, la majorité des femmes sont des paysannes, ce qui est encore le cas dans beaucoup de pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique du Sud. Or, ces paysannes sont très différentes des femmes des milieux aristocratiques et aisés, celles dont les modèles idéaux nous parlent. La plupart du temps, on observe un partage des tâches entre les hommes et les femmes des milieux paysans: les tâches les plus valorisées sont en général dévolues aux hommes (activités requérant l’aide de chevaux) mais celles qui sont réservées aux femmes sont loin de demander moins de forces physiques (chercher l’eau et le bois à des kilomètres à pied).
3. Une évolution dans les rapports entre hommes et femmes ?
L’évolution est rarement linéaire. Elle dépend de circonstances diverses qui peuvent être climatiques, sociales ou encore événementielles.
Climatiques, d’abord car certains climats favorisent la domination de ceux qui sont plus forts physiquement, donc des mâles: la sécheresse suscite des nomades qui, comme Abel, suivent leurs troupeaux. D’autres climats favorisent la plus grande dignité ou considération de ceux qui savent, qui œuvrent à la paix, à l’émerveillement devant la beauté ou la fertilité de la nature, et ce sont souvent les femmes, particulièrement les femmes anciennes dépositaires de la sagesse transmise de générations en générations, qui peuvent alors avoir la prééminence. Ce n’est pas le cas le plus fréquent!
Les circonstances sociales jouent aussi un rôle d’importance. La démographie concentre la majorité de la population dans les zones faciles à irriguer ou à cultiver, par exemple celles qui permettent l’implantation de villes et donc l’éducation, la culture intellectuelle et artistique, à condition qu’on n’interdise pas l’accès de ces valeurs à certaines parties de la population (dont les femmes, les esclaves) à cause souvent de traditions antérieures qui les infériorisent.
Enfin, les circonstances évènementielles influent également sur l’évolution dans les rapports entre hommes et femmes. Les conséquences de périodes catastrophiques (longues guerres, terribles épidémies, etc.) laissent une population exsangue, longue à retrouver – ne serait-ce que partiellement – un certain équilibre démographique (ainsi le Nouveau Monde après les Conquistadors ou encore l’Allemagne après la Guerre de Trente ans) et provoquent donc de sévères retours en arrière.
Dans de nombreuses cultures, les femmes ne comptent que quand elles ont mis au monde des fils qui pourront honorer leurs ancêtres et donc leur lignée. Plus une femme a d’enfants, plus il y a de chances que certains survivent (et donc la famille avec). Souvent, quand elle est mariée, une femme n’appartient plus à sa famille d’origine: elle est entièrement dédiée à celle de son mari.
Jusqu’à récemment (début du 20e siècle) et encore aujourd’hui dans bien des sociétés vivant avec des normes sanitaires rudimentaires, la mortalité des femmes en couches est très importante, et avec elle le nombre de veufs (qui sont bien plus nombreux que les veuves!). Il y a donc peu de femmes âgées, ménopausées, dont on ne saurait quoi faire (des sages? Des sorcières?).
4. Évolutions récentes
Dans un nombre croissant de pays et particulièrement depuis 1945, deux phénomènes ont principalement transformé la place des femmes dans la société.
Il y a, en premier lieu, les progrès de la médecine. Médecine sociale, d’abord, avec les vaccinations et le suivi médical des femmes pendant leurs grossesses et leurs maternités qui ont beaucoup réduit la mortalité en couches. Ainsi, beaucoup moins d’enfants sont orphelins de mère. Médecine curative, aussi, avec la guérison rendue possible de nombreuses maladies. La contraception et l’IVG permettent quant à elles de limiter la taille des familles et donc la charge pesant sur les mères. Toutes ces évolutions ont permis une croissance de l’espérance de vie (à la naissance et surtout après l’adolescence) des femmes, qui aujourd’hui dépasse celle des hommes.
Les progrès dans l’accès à l’éducation (scolaire, universitaire) sont aussi à noter: selon les pays, la scolarité des filles est de plus en plus longue et tend à devenir obligatoire (sauf chez les Talibans!). Bien sûr, cette scolarisation coûte cher aux États et aux familles; mais elle apporte une valorisation croissante de la moitié féminine de la population. La surprise a été de constater la meilleure réussite des filles, quand les conditions d’égalité d’accès aux connaissances et à la réflexion sont réunies. Cela garantit une plus grande richesse pour les générations montantes… et donc pour les États.
Globalement, on constate une évolution favorable aux femmes (grâce à des mouvements tels que #MeToo, par exemple) sauf dans certains pays (ou régions) accrochés à la stricte séparation des sexes avec hiérarchisation (Iran, Afghanistan, Arabie…) et qui considèrent les LGBT+ comme des malades fauteurs de péchés graves contre la Création.
Pourtant, nous sommes toujours menacés d’une évolution inverse. En cas de conflits, l’humiliation et la dégradation des femmes de l’ennemi a toujours été une arme de guerre. La menace est peut-être moindre, qui sait, quand les femmes ont appris à se battre, à défendre leur dignité propre, celle de leurs enfants… et de leur peuple entier!
Illustration: Les différents âges de la femme, chromolithographie, 1900 (domaine public)