"Le protestantisme a précarisé le christianisme mais il l'a aussi rendu apte à se réformer sans cesse" (2) - Forum protestant

« Le protestantisme a précarisé le christianisme mais il l’a aussi rendu apte à se réformer sans cesse » (2)

«En tant que protestant, je suis anticlérical par nature car le protestantisme (…) est structurellement pluraliste» Dans la deuxième partie de cet entretien-bilan sur son activité de sociologue des religions, Jean-Paul Willaime revient sur le pastorat et ses difficultés, la théologie («chantier qui n’en finit pas de l’être») et la relation entre sa «conscience de protestant» et sa «conscience de sociologue forcément critique», productrice d’un «désenchantement»… très actuel et protestant.

Deuxième et dernier volet de l’entretien publié dans Foi&Vie 2023/3 (dossier Quels protestantismes au 21e siècle ?). Lire le premier volet.

 

«La perte d’autorité des Églises rejaillit sur les pasteurs»

Votre grand œuvre de début de carrière fut le travail de fond sur les pasteurs. Aujourd’hui que  la féminisation semble une évidence dans la plupart des Églises protestantes et qu’on assiste également à une spécialisation croissante des ministères, comment voyez-vous les pasteures et pasteurs des années 2020 par rapport à votre terrain d’enquête des années 1970 ? Cette fonction, dont vous avez souligné l’aspect problématique en protestantisme, vous semble-t-il aujourd’hui un avantage ou un désavantage concurrentiel par rapport aux autres formes de religion ? 

D’un point de vue sociologique, les professionnels du religieux, c’est à dire toutes les personnes qui, d’une façon ou d’une autre, ont lié leur condition matérielle d’existence au fait chrétien, jouent un rôle essentiel. Même dans des Églises qui, comme les Églises protestantes, insistent sur le sacerdoce universel des baptisés, même dans une conjoncture où, comme je viens de le souligner, tous les chrétiens deviennent des professants, le rôle des professionnels reste important. Même si les pasteurs sont des permanents d’organisations militantes qui agissent constamment avec les bénévoles que sont les laïcs, même si les pasteurs ne seraient rien s’ils n’étaient pas reconnus et portés, y compris financièrement, par les militants de base que sont toutes les personnes engagées dans les Églises, ils sont une composante essentielle du protestantisme. D’ailleurs, celui-ci est souvent socialement perçu à travers ses professionnels. L’intérêt qu’on lui accorde et l’autorité qu’on lui reconnaît dépendent en grande partie de la qualité de ses pasteurs.

Si globalement une institution (par exemple l’école) est reconnue et évaluée à travers la qualité de ses agents (pour l’école ses professeurs), ceci est d’autant plus vrai et important dans une conjoncture d’affaiblissement des institutions, de leur perte d’autorité. Dans un régime fort d’institutionnalité, les institutions portent les fonctions et ses professionnels bénéficient de l’autorité reconnue à l’institution dans laquelle ils exercent ces fonctions. Par contre, lorsque les institutions sont affaiblies et ont perdu beaucoup de leur prestige, les personnes portent plus les fonctions que les fonctions les personnes. Autrement dit, la perte d’autorité des Églises rejaillit sur les pasteurs : ceux-ci doivent plus payer de leur personne pour asseoir leur rôle et se faire reconnaître. Mais cette situation favorise aussi des innovations, voire des réinventions dans la façon d’être pasteur. Le pastorat est ce que j‘appelle un métier vocationnel qui associe des compétences (des savoirs et des savoir-faire) et une authentique motivation spirituelle.

Sept dimensions de ce métier vocationnel me paraissent essentielles : les dimensions théologique, liturgique, spirituelle, communicative, associative, caritative. Le/la pasteur(e) est en effet à la fois:

1) quelqu’un qui interprète la foi chrétienne, autrement dit un théologien ou une théologienne,

2) un officiant conduisant le culte,

3) un spirituel qui a une vie religieuse personnelle,

4) un communicateur apologète du christianisme,

5) un acteur associatif partie prenante de nombreuses relations sociales et de groupes communautaires à travers lesquelles se vit au quotidien le christianisme,

6) un acteur de l’entraide sociale,

7) un accompagnateur personnel de jeunes et d’adultes en recherches, quelquefois, en détresses.

Exercer aujourd’hui le pastorat nécessite selon moi une solide formation non seulement théologique et religieuse mais aussi une formation permettant d’avoir une intelligence du monde contemporain et de situer son agir professionnel dans le cadre d’une République laïque et d’une société désenchantée. Une formation qui devrait inclure, à l’heure de la révolution numérique, divers apprentissages en matière de communication.

 

«Autant de théologies que de théologiens !»

Vous avez toujours insisté sur la nécessité de ne pas étudier sociologiquement les phénomènes religieux en les déconnectant des théologies et des systèmes spirituels qui y sont liés. Apparemment plus séduit par la théologie de Karl Barth que par celle de Jean Calvin, comment voyez-vous la théologie protestante au 21e siècle, après un 20e siècle qui n’a pas manqué de grandes figures ? Le protestantisme est-il dans un creux théologique ou la théologie passe-t-elle, se fait-elle désormais par d’autres canaux ?

Par rapport aux décennies d’après-guerre – en gros des années 1950 aux années 1970 – qui ont été des années d’intenses productions et débats théologiques dominées par le barthisme et ses différentes réceptions, nous sommes actuellement dans une période de basses eaux théologiques. Il y a certes toutes sortes de réflexions et d’approches théologiques mais aucune d’elles ne s’impose véritablement.  Est-ce la fin des grandes synthèses théologiques, de ce que l’on appelait les dogmatiques ? Sans doute. Il y a aussi à l’heure actuelle des tendances anti-intellectualistes hostiles au travail théologique. Au nom de la primauté accordée à l’expérience religieuse (il faut qu’on l’éprouve) ou bien à l’urgence militante (il faut que cela serve), l’authenticité d’un vécu et/ou l’efficacité de l’action dévaloriseraient le travail théologique, le considéreraient comme de la pure spéculation. La priorité serait donnée à la revitalisation de la piété (la prière, la louange) et à la promotion d’actions fécondes en œuvres diverses. Autrement dit, on privilégierait  un christianisme pratique, de nouvelles versions de Life and Work (selon le nom donné à une des composantes à l’origine du COE), et déconsidérerait l’élaboration doctrinale (Faith and Order, le nom donné à l’autre composante du COE), la mise en forme théologique au défi des sciences humaines et de la confrontation avec la philosophie contemporaine.

Les tendances anti-intellectualistes peuvent d’autant plus s’affirmer que l’élaboration d’un discours théologique est particulièrement difficile dans les conditions socio-religieuses actuelles ; qui plus est, un tel travail n’intéresse pas grand monde… Et pourtant, l’avenir du christianisme ne dépend pas seulement du nombre de chrétiens, de la reproduction d’un corps social, il dépend aussi de la capacité à faire vivre un corpus de textes, un monde de figures et de signes faisant sens. Le lieu privilégié où se nouent ce corps social et ce corpus de textes est le culte, cette célébration collective régulière à travers laquelle se forge particulièrement le sentiment d’appartenir à une même communauté de sens. L’avenir du christianisme dépend de sa capacité à convaincre que la Bible est toujours une ressource vivante de sens, une ressource qui permet de dire la condition humaine en référence à la figure de Dieu fait homme en Jésus-Christ. Et de le dire de façon intelligible pour notre temps.

La situation théologique actuelle n’est pas un champ de ruines, je dirais plutôt qu’elle est un chantier qui n’en finit pas de l’être. La production théologique actuelle est en effet disséminée, extrêmement diversifiée et riche de nombreux essais. On pourrait presque dire qu’il y a autant de théologies que de théologiens ! Dans une conjoncture socio-religieuse complexe et une société radicalement désenchantée, dans ce que j’ai appelé l’ultramodernité contemporaine, le temps n’est plus – ou pas encore ? – aux grandes synthèses, le temps est plus celui de la théologie en travail (work in progress). Une théologie en travail sensible aux interrogations actuelles dans les domaines de l’écologie, de la bioéthique, des migrations, de la justice sociale et de la fraternité universelle. L’humanité est aujourd’hui confrontée à des questions fondamentales qui ne peuvent qu’activer la réflexion théologique.

Ces questions soulèvent aussi des interrogations radicales sur certains aspects du christianisme que l’on rencontre aussi sous différentes formes dans d’autres religions: quid, par exemple, de l’universalité du salut ? Peut-on encore croire que certains,  promis à la damnation éternelle, iront en enfer ? Est-ce compatible avec la proclamation d’un Dieu d’amour universel et d’une grâce offerte à tous ? Très vieille question, direz-vous à juste titre. En fait, aujourd’hui, si certains pasteurs n’hésitent pas à menacer des feux de l’enfer les incroyants et mal-croyants, nombre de prédications présupposent que, comme le chante Michel Polnareff, «nous irons tous au paradis» ! Personnellement, je crois à l’enfer, pas de la part de Dieu mais de la part des hommes ! Quant à la question de l’universel, c’est aujourd’hui celle du pluriversel, le fait qu’il y a plusieurs voies d’accès à l’universel, que la civilisation occidentale n’est pas la seule. Ce qui implique la nécessité de repenser le christianisme face à la pluralité des civilisations et des religions. Dans les domaines de l’écologie,  de la bioéthique, de la révolution numérique, de l’intelligence artificielle, ce sont aussi des questions fondamentales qui se trouvent posées. Et ces interrogations convergent toutes, en définitive, sur la question de savoir ce qu’est l’être humain, l’humanité de cet être vivant qui sait qu’il va mourir et qui, depuis des millénaires, accompagne la mort de rites funéraires.

 

«Une importante crise de la transmission»

Pour finir, vous avez dans votre livre d’entretiens des paroles très éclairantes sur la liberté et disons l’autonomie qu’un sociologue, c’est à dire dans le fond un chercheur et un scientifique, peut tirer de sa foi, d’autant plus (et cela peut sembler paradoxal dans ce pays) si son champ d’étude y est lié. Pourriez-vous résumer ici ce que votre foi chrétienne protestante a pu représenter comme aide mais aussi comme handicap à différents moments de votre carrière ?

Trop souvent l’on considère que l’absence d’affiliation religieuse est un meilleur gage d’objectivité que le fait d’être affilié à une religion. Il est vrai qu’à travers des approches sociologiques, l’on peut défendre des «intérêts religieux» comme s’était plu à le souligner Pierre Bourdieu (qui pensait que c’était toujours le cas), à l’occasion d’un colloque de l’Association française de sociologie religieuse. Un certain type de sociologie, dite pastorale, fut explicitement au service d’Églises cherchant à mieux connaître les attentes socio-religieuses des populations. En sociologie des religions comme dans d’autres domaines d’investigation sociologique, les chercheurs sont plus ou moins personnellement impliqués dans leur objet et cela peut nuire à l’objectivité de l’étude. Mais cela n’est pas plus le cas en sociologie des religions que dans d’autres domaines de la sociologie.

Ma conscience de sociologue forcément critique et ma conscience de protestant ne firent pas toujours bon ménage. À travers ma famille et les mouvements de jeunesse (UCJG et scoutisme unioniste), j’ai reçu une éducation protestante classique qui incluait une dimension anti-catholique ordinaire si je puis dire. Des saillies anti-protestantes que je captais ici ou là de la part de catholiques vinrent quelquefois réactiver la dimension anti-catholique de mon protestantisme. Mais deux facteurs importants me firent évoluer. Le facteur humain tout d’abord, tout simplement le fait d’avoir pu discuter authentiquement  avec des catholiques, y compris avec quelques prêtres et théologiens. Plusieurs d’entre eux devinrent des amis. Le deuxième facteur est directement lié à la sociologie puisque j’ai beaucoup appris en fréquentant des collègues qui travaillaient sociologiquement sur le catholicisme, en lisant et discutant leurs travaux. Un des résultats les plus significatifs de ces fréquentations fut la découverte d’une diversité catholique encore plus grande que celle que j’imaginais. Relations humaines et œcuménisme scientifique contribuèrent à chasser les préjugés et stéréotypes réciproques que l‘on pouvait avoir.

La pratique de la sociologie et une de ses règles d’or, à savoir décrire et analyser les réalités religieuses telles qu’elles sont et non telles qu’on voudrait qu’elles soient, produisent du désenchantement. Les constats que je faisais en sociologie ont plus d’une fois heurté ma conscience religieuse. Attaché personnellement à l’ERF/ÉPUdF, j’aurais aimé constater plus de vitalité dans cette Église mais je devais reconnaître que la dynamique était du côté des Églises évangéliques, Églises que j’ai aussi appris à mieux connaître. À certaines occasions, j‘ai déploré que le protestantisme ne soit pas à la hauteur, à d’autres j’ai constaté qu’il l’avait été.

Mais le constat qui continue à particulièrement m’interpeller est celui de la déculturation du christianisme, le fait que ses figures, ses textes, son vocabulaire, ses récits, ses rites et pratiques sont devenus incompréhensibles à nos contemporains. Une importante crise de la transmission affecte les différentes expressions, tant catholique que protestantes, du christianisme et l’on peut légitimement s’interroger sur son avenir démographique en Europe. En France, j’estime que l’on ne réfléchit pas assez aux conséquences sociales, politiques et civilisationnelles du fort affaiblissement de la socialisation chrétienne. On pourrait le faire en se demandant quels sont, dans notre société, les canaux qui socialisent à l’universel, c’est à dire qui contribuent à faire prendre conscience qu’au-delà de nos différences de langues, de coutumes, de capacités, de sensibilités politiques, de religions … nous appartenons à une commune humanité et partageons les mêmes droits et devoirs.

L’école le fait assurément et son rôle est essentiel pour ouvrir l’espace mental de chacun aux dimensions du monde. La crise écologique qui nous rappelle que nous avons un bien commun à sauvegarder (la planète terre) est un puissant facteur de sensibilisation à l’universel. À des degrés fort divers et tout en contribuant à d’autres socialisations dont certaines sont malvenues, la famille, les activités sportives, les associations culturelles, les médias, les réseaux sociaux, les loisirs, les voyages, les expériences internationales… constituent des vecteurs de sensibilisation à l’universel. Diverses traditions religieuses aussi et il est à mon sens important de le reconnaître.

On souligne volontiers tous les méfaits des religions et certains estiment que ces méfaits disqualifiant à jamais les religions, les sociétés se porteraient mieux s’il n’y avait pas de religions. Devrait-on pour autant taire les bienfaits des religions pour les individus et les sociétés ? il ne s’agit pas d’exempter les religions de quoi que ce soit, il s’agit de reconnaître que certains de leurs apports sont bénéfiques pour la société. Ainsi en va-t-il des contributions chrétiennes à la sensibilisation à l’universel et à la socialisation aux valeurs au premier rang desquelles je place la fraternité. De la trilogie républicaine Liberté, Egalité, Fraternité, c’est en effet celle que l’État a le plus de mal à mettre en œuvre car la décréter par le haut reste une vaine incantation si elle n’est pas construite quotidiennement par le bas, portée et pratiquée par des personnes convaincues de sa valeur. Or le christianisme est incontestablement une importante ressource convictionnelle incubatrice de fraternité et d’ouverture à l’universel. Dans ce domaine, d’autres religions, ainsi que des conceptions séculières, par exemple le communisme, constituent aussi des ressources convictionnelles. Aussi bien le président François Hollande à propos des attentats terroristes de 2015-2017 que le président Emmanuel Macron en 2022 à propos de la pandémie ont publiquement reconnu le rôle positif des religions face à ces événements et exprimé leur reconnaissance à ce sujet aux autorités religieuses.

 

«Parce que Dieu, aucun maître !»

Le 22 septembre 2017, s’adressant aux protestants à l’occasion du 500e anniversaire de la Réformation, le président Macron déclarait: «Nous avons besoin que vous restiez la vigie de la République, son avant-garde dans les combats philosophiques, moraux, politiques qui sont ceux de notre temps» (1). Neutralité laïque positive quand les groupes religieux confortent la République, y compris en l’interpellant, neutralité laïque négative quand ces mêmes  groupes contredisent ses valeurs fondamentales et mettent en danger le vivre ensemble (loi de 2021 dite contre le séparatisme). Face à des discours incitant à la haine ou soutenant des actions terroristes, la République estime – et je le comprends – qu’elle est en droit de fermer un lieu de culte et de suspendre l’auteur de tels discours.  Mais face à des discours promouvant la fraternité universelle et incitant à l’altruisme, face à des expressions religieuses contribuant à la paix sociale et au vivre ensemble, face à des socialisations formant au respect des valeurs de la République, peut-on rester drapé dans une neutralité d’indifférence au prétexte qu’il s’agit de contributions religieuses ?

Un radicalisme laïque qui aboutirait à une excommunication sociale de la religion fragiliserait la démocratie. Autant d’exemples positifs et négatifs qui montrent que la neutralité laïque vis à vis des contenus véhiculés par les groupes religieux n’est pas, ne peut pas être, une totale indifférence. De facto, même si cela n’est pas reconnu au niveau des discours, c’est dans la pratique ce que j’ai appelé «une laïcité de reconnaissance et de dialogue» qui domine. Avec Philippe Portier, j’estime que

«entre la sectarisation communautaire des identités religieuses et un espace public qui ne serait universel que par abstention des identités, il y a place, dans le respect des règles de la République, pour une reconnaissance citoyenne et laïque des religions dans la sphère publique» (2).

Mon ancrage personnel dans la foi chrétienne et plus particulièrement mon identité de chrétien protestant m’ont aidé à me tenir à distance des modes de pensée dominants, à garder une vigilance critique. À l’époque où les approches marxistes ou marxisantes dominaient les sciences sociales des religions comme à l’époque où les disciples de Pierre Bourdieu avaient tendance à considérer que seules les approches bourdivines constituaient la vraie sociologie, je m’étais retrouvé hérétique face à ces dogmatismes. «Un seul est votre maître, vous êtes tous frères» (Matthieu 23,8): j’aime ce verset biblique qui rappelle le «Tu n’adoreras pas d’autres dieux que moi» des dix commandements (Exode 20). Si les anarchistes disent «Ni Dieu, ni Maître», moi je dis: «Parce que Dieu, aucun maître !».

En tant que protestant, je suis anticlérical par nature car le protestantisme, c’est la récusation des pouvoirs ecclésiastiques au nom du sacerdoce universel. Le protestantisme est structurellement pluraliste en particulier, pas seulement, dans les Églises luthéro-réformées. Mais cela n’empêche pas certains pasteurs de considérer que seule leur façon de penser l’Évangile est vraie et authentique. Ils estiment qu’il n’y a pas de salut hors de la façon dont ils comprennent l’Évangile. L’étude du livre d’Édith Tatar-Goddet Quand la toute-puissance humaine s’invite dans l’Église (3) qui analyse les mécanismes d’abus de pouvoir dans les Églises protestantes devrait faire partie de la formation des futurs pasteurs.

Je termine avec une citation du pasteur Marc Boegner (1881-1970) qu’il reprenait du pasteur Tommy Fallot (1844-1904), le fondateur du Christianisme social : «L’Église sera catholique ou ne sera pas, le chrétien sera protestant ou ne sera pas» (4). En soulignant  la forte dimension institutionnelle du catholicisme et la non moins forte dimension individuelle du protestantisme, cette formule a une certaine pertinence sociologique. Boegner, qui avait une vision internationale et œcuménique du christianisme, ne se privait pas de critiquer à l’occasion certaines étroitesses d’un protestantisme français qu’il jugeait trop individualiste et provincial. Lui qui était considéré comme le pape des protestants français, lui qui avait assuré de nombreuses présidences protestantes, en particulier celles de la FPF et de l’ERF, il osa se demander publiquement si n’était pas venu «le temps de refermer la parenthèse de la Réforme» ! Il avait le sens de l’Église universelle (catholique donc mais pas dans le sens du système ecclésiastique catholique-romain) et savait la valeur de l’engagement d’hommes et de femmes profondément consacrés, de manière très diverse, au service chrétien. Un des atouts forts du protestantisme, ce sont les protestant(e)s eux-mêmes, ces personnalités aux profils riches et variés qui conjuguent conviction, compétence et engagement.

 

Né en 1947, Jean-Paul Willaime a été successivement professeur de sociologie des religions à la faculté de théologie protestante de Strasbourg et directeur d’études (Histoire et sociologie des protestantismes) à l’École pratique des hautes études (EPHE). Il a aussi été directeur du GSRL (Groupe Sociétés Religions Laïcités, EPHE/CNRS) de 2002 à 2008 et de l’IESR (aujourd’hui IREL) de 2005 à 2010, ainsi que président de la Société internationale de sociologie des religions de 2007 à 2011. Cet entretien (dont la première partie, «Un laboratoire permanent de réinvention du religieux»,  a été publiée dans le numéro 2021/5 de Foi&Vie et en deux volets sur notre site: 1 et 2) a été réalisé par écrit, les questions ayant été rédigées par Frédéric Rognon et Jean de Saint Blanquat.

 

Illustration: la salle des Assemblées de Dieu à Lavelanet (Ariège).

(1) Voir ma contribution intitulée Les protestants en France, une minorité active, dans Dominique Reynié (dir.), Le XXIe siècle du christianisme, Cerf, p.113.

(2) Voir Philippe Portier et Jean-Paul Willaime,  Le christianisme et la modernité européenne, dans Le XXIe siècle du christianisme, op.cit., p.111.

(3) Olivétan (Comment faire …), 2020.

(4) Voir, à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Marc Boegner (1881-1970), les études réunies dans la Revue d’histoire du protestantisme 5/4 (octobre-novembre-décembre 2020).

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