Vers un eugénisme éthique ? La problématique de la recherche sur l’embryon - Forum protestant

Vers un eugénisme éthique ? La problématique de la recherche sur l’embryon

« Nous vivons dans un monde où les moyens sont de plus en plus perfectionnés et les fins de plus en plus incertaines. » Cette inquiétude d’Einstein exprime la responsabilité éthique des chercheurs et de la société, interpellés par une découverte. Il nous faut réfléchir au souhaitable et au non-souhaitable, au possible et au non-acceptable.

 

Au terme d’une année de travail de notre groupe de réflexion (1) sur le thème de L’évolution et le progrès, un des chercheurs du centre de procréation médicalement assistée (PMA) nous a soumis cette question : « Peut-on envisager un eugénisme éthique ? » Cette réflexion personnelle, en tant que médecin protestant, sera reprise avec le service intéressé. « Nous vivons dans un monde où les moyens sont de plus en plus perfectionnés, et les fins de plus en plus incertaines … » Cette inquiétude d’Einstein exprime tout à la fois la responsabilité éthique des équipes de chercheurs, mais aussi de la société, interpellées par une découverte, un savoir nouveau : il nous faut réfléchir au souhaitable et au non-souhaitable, au possible et au non-acceptable. Or la société n’est pas monolithique, y compris au sein des divers courants philosophiques ou religieux, et le débat se heurte vite à des positions assez tranchées, la tradition d’une part, pouvant donner une définition assez figée de la nature et de l’homme, entravant toute évolution ou changement ; la modernité d’autre part, moins hostile au progrès, cherchant une norme collective, argumentée, évolutive, mais pouvant évoquer une éthique de type utilitariste … Il nous faut donc analyser les enjeux technologiques, éthiques et spirituels pour tenter une réponse à cette question.

I. LES DONNÉES ET ENJEUX TECHNOLOGIQUES

1. Ce que le diagnostic pré-implantatoire (DPI) permet actuellement

– La fécondation est une rencontre qui peut « se passer bien ». Une relation fusionnelle entre deux gamètes (ovule et spermatozoïde), vite méconnaissables et appelés successivement embryon, fœtus et finalement enfant, fille ou garçon, et dont le capital génétique s’est constitué au hasard de cette rencontre.

– La PMA, une entremetteuse, quand la rencontre est en difficulté, par le truchement de la fécondation in vitro (FIV) : le « bébé éprouvette » y est biologiquement conçu, parfois de gré ou de force avec l’ICSI (injection du spermatozoïde dans l’ovule). Les embryons transférés au plus tard dans les trois jours (selon la législation française) sont préalablement examinés pour s’assurer de leur « bonne qualité », essentiellement morphologique, car la législation française encadre très strictement le dépistage d’un nombre restreint d’anomalies chromosomiques à ce stade embryonnaire.

– Le DPI (diagnostic pré-implantatoire) permet de réimplanter dans l’utérus des embryons indemnes de la maladie génétique potentiellement transmise par l’un des parents transmetteurs. Ce « tri » réduit le risque de fausse couche spontanée (FCS), d’interruption médicale de grossesse (IMG) qui est envisagée plus tard, en cas de diagnostic prénatal (DPN) d’anomalies embryonnaires très graves, ou encore la naissance d’un enfant atteint. Le DPI permet ainsi une connaissance génétique (partielle) de l’embryon, jusqu’alors développé en grand secret dans le sein maternel.

2. Ce que la technologie rend aussi possible

– La reproduction sexuée obéit à la règle de la méïose, qui sépare une cellule germinale (féminine 46XX ou masculine 46XY) en deux cellules identiques : globule polaire et futur ovule (23X) seul capable d’être fécondé par un spermatozoïde (pourvu de 23 chromosomes : soit 23X soit 23Y, donc porteur du déterminant sexuel, masculin ou féminin), le capital chromosomique final « normal » étant 46XX pour une fille, et 46XY pour un garçon.

– On sait maintenant examiner chez l’animal le capital chromosomique, voire génique du « globule polaire » (23X), qui n’est pas « utilisable », éjecté après la division de « méïose ». Ce « globule polaire », reflet de l’ovocyte en maturation, peut révéler les anomalies chromosomiques (aneuploïdies) d’origine féminine, les plus fréquentes chez l’animal. Détectées chez la femme avant toute tentative de fécondation, elles pourraient éviter des échecs prévisibles (de transplantation, de FCS, d’IMG).

– Après la fécondation in vitro (dont l’observation est possible sous l’œil inquisiteur du microscope), un deuxième globule polaire est immédiatement éjecté, cette fois à l’identique de l’embryon, donc considéré comme un embryon. La recherche n’est pas autorisée en France, et pourtant l’analyse de ces « double d’embryon » serait plus fiable, (donc plus « rentable).

– Par ailleurs, on sait que jusqu’à J+8 de la vie embryonnaire, on peut constater un mosaïcisme, des anomalies, mais aussi une correction spontanée. Le « tri » avant J+3 actuellement imposé par la loi est probablement trop « sélectif » : il élimine des embryons qui auraient de toute façon subi une sélection naturelle, mais aussi des embryons porteurs d’anomalies mitotiques instables, qui auraient pu « avoir leur chance » de devenir fœtus normal, de ce fait privant aussi le couple demandeur d’une chance de fécondité.

– Les échecs de la PMA pourraient à l’avenir être encore réduits, avec un DPI un peu plus tardif (J+5 à 8) ou une étude du deuxième globule polaire.

II. LES ENJEUX ÉTHIQUES

La PMA a relégué la souffrance et la résignation derrière l’espoir de fécondité, mais a introduit aussi le « droit à l’enfant », si possible parfait. Quelles réflexions et questions posent ces techniques ? Quelle possible dérive eugéniste et quelles utilisations moins défendables pourraient être faites de cette offre technologique ? Un tri estimé « moral », et validé par la loi actuelle, supprime-t-il l’idée d’un tri supplémentaire, s’il répondait à son tour à des critères respectables ? La recherche aboutit à la connaissance de plus en plus fine de l’être humain avant même sa naissance, source d’une in-quiétude « éthique ». Faudrait-il pour autant revenir à un certain obscurantisme nourri de loi naturelle ? La question serait plutôt de l’ordre de la perplexité et du doute (que faire de cette connaissance ?) et de la visée bonne (comment faire pour bien faire ?)

1. Le DPI interpelle les parents et les équipes de PMA

– Deux êtres intrinsèquement vulnérables : dans le couple, chacun apporte son histoire, son éducation, sa culture. Chacun fait référence à des valeurs, est confronté à l’inattendu, l’imprévu de cette rencontre. L’enfant vient bousculer cette dynamique, il existe avant même d’être conçu : désiré, fantasmé, parfait si possible. La découverte ou la connaissance d’une anomalie chez un membre de la famille ou un enfant déjà né rompt un équilibre, remet en question le soi et la confiance en l’autre, voire le désir d’enfant. L’attente peut être déçue, le diagnostic très précoce d’anomalies chromosomiques introduit du doute, accentue la vulnérabilité de chaque individu, et fragilise le couple.

– L’embryon, en tant qu’enfant à venir, en tant que projet de personne humaine, a une dignité également en devenir : sujet « de droit » (au respect de sa vie, de son intégrité), et non pur objet d’un désir, encore moins « objet de droit ». Il ne peut pas non plus être « objet de recherche », quand bien même cette recherche lui serait bénéfique.

– Pour la plupart des parents, le temps de la gestation est un « dialogue intime avec l’enfant à naître ». Pour les couples en PMA, il se double d’un dialogue « extériorisé » avec toute une équipe médicale : les parents doivent anticiper avec le DPI la possibilité d’une maladie génétique. Le fait d’appréhender ce que cette vie pourrait être pose un problème parfois insoluble : il prend une acuité douloureuse quand il aboutit à une décision vitale. Cette promesse, cet embryon encore à l’état de quelques cellules, va-t-il être défendu, dans le sens où sa fragilité sera protégée, et ce coûte que coûte ? Ou au contraire « défendu », dans le sens où les parents vont se résoudre à un refus ? Un même respect, un même amour peut se comprendre dans l’une ou l’une ou l’autre décision.

2. Faut-il incriminer la recherche elle-même ? Va-t-elle trop loin ?

– Quelle loi dans quel pays totalitaire pourrait empêcher l’homme de réfléchir, penser, découvrir, comprendre ? Il faut donc déplacer la question de la recherche vers celle de son objectif et de son application : domaine de la réflexion, du débat, du doute, qui doit permettre de critiquer l’arrivée d’une nouvelle technologie, de discerner des repères acceptables de manière consensuelle afin de fixer des limites (en ce sens, le moratoire pose une limite temporaire), prendre des décisions responsables car elles engagent le présent et l’avenir de l’homme. Mais ce qui est vrai de la recherche fondamentale ou de la recherche sur la personne, une fois obtenu son consentement « éclairé », est-il transposable à la recherche sur l’embryon ? En France, la loi ne permet qu’une recherche très encadrée sur les embryons congelés ne faisant plus « l’objet » d’un projet parental.

– Plusieurs types de questions se posent : où mettre le curseur, la limite, le choix, et sur quels critères ? Les recherches sur les cellules germinales et embryonnaires sont destinées au diagnostic anténatal, préimplantatoire. Le problème ici est bien loin d’un tri de convenance, permettant le choix du sexe ou la couleur des yeux. Il s’agit de détecter des anomalies chromosomiques, voire géniques, susceptibles de provoquer malformations ou maladies incurables. Est-ce une forme d’eugénisme ? Peut-il être éthique ?

– Cette « diagnose » est le résultat d’une technologie de plus en plus performante, intrusive, avec des effets ambigus : tout à la fois « bonne » puisqu’elle permet le choix d’embryon supposé indemne, donc de prévenir des échecs de transplantation d’embryon, mais tout autant douloureuse, fragilisante, pour les parents, qui peuvent redouter la naissance d’un enfant très handicapé, connaître de nouveaux échecs de PMA. Effet « diabolique » aussi, car ce tri embryonnaire, permettant l’élimination d’un certain nombre d’anomalies (en France actuellement, ce tri est très restreint et codifié) pourrait donner pouvoir aux parents et au corps médical d’un choix véritablement eugénique, si les critères du tri n’étaient plus ceux d’une pathologie grave.

– La connaissance est-elle plus « périlleuse » que la méconnaissance ? Qu’est-ce qui change dans le fait de ne plus découvrir son enfant à la naissance mais d’en connaître déjà beaucoup avant, du fait du DPI ou du DPN ? L’avenir (l’à venir) de l’enfant est anticipé, mais de manière souvent incertaine (en ce qui concerne la gravité, le pronostic vital, social, handicap…). Le pronostic de cet enfant est-il ou non modifié par le fait de connaître le diagnostic avant, du fait du regard porté sur lui avant même sa naissance ? La forte attente du couple d’avoir enfin un enfant est-elle oblitérée par la recherche de l’enfant non atteint, sinon parfait ? Comment s’articulent culpabilité ou soulagement d’un couple porteur d’une anomalie génétique, quand il renonce à une réimplantation ? La responsabilité de ces futurs parents est précocement engagée. C’est dans le « savoir » que nous devenons vulnérables, patients comme soignants !

– Quelle finalité, que faire de cette connaissance ? Ce DPI, en détectant des anomalies chromosomiques ou génomiques, nous confronte à « l’intelligence », au possible choix de donner ou refuser la vie à un être humain encore à l’état d’une cellule prometteuse ou de quelques cellules embryonnaires. Bien entendu, comment nier l’espoir d’un monde meilleur, avec moins de maladies, de souffrances, de handicaps. Mais sur quels critères envisager d’élargir ce tri ? Améliorer l’être humain ? Répondre à un désir des parents ? Leur permettre un choix qui leur convient ? Sur quels critères éliminer ce qui est jugé « mauvais », et pour qui ? Le futur enfant ? Sa fratrie et ses parents ? La société qui va assumer la charge notamment financière d’un handicap ? Sur quels critères donc penser la vie « bonne », avec cette promesse-là d’enfant, dans notre société si normative ?
– Au risque d’une éthique utilitariste, quelles lois ou institutions peuvent être « justes » pour l’individu comme pour la société ? Faut-il à tout prix laisser naître un enfant très handicapé, par respect pour sa vie embryonnaire, ou peut-on décider que sa vie ne sera pas bonne, pour lui comme pour la société ? Et si on refuse toute recherche, tout « tri » qui permettrait d’éviter ce drame, si on accepte délibérément la possible naissance d’un enfant lourdement handicapé, quels moyens mettre en œuvre pour lui permettre une vie digne d’être vécue ? Au détriment ou au bénéfice de qui ?

III. ENJEUX SPIRITUELS

– « Pourquoi as- tu fait cela ? » Les textes de la Genèse expriment de manière très « poétique » ce dilemme : aux premiers temps, au jardin d’Eden, l’homme était « in-nocent », il ne connaissait ni sa fragilité, ni sa limite…poussé par le serpent, son irrésistible curiosité l’entraîne vers de nouvelles expériences… goûter le « fruit défendu », si « désirable puisqu’il pouvait donner l’intelligence », la capacité de choisir ! En perdant cette « in- nocence », l’Homme se trouve confronté à l’interdit et la tentation de l’enfreindre, il se trouve confronter au choix et au renoncement…il a perdu sa sérénité et acquis une « in- quiétude » : il a « eu peur parce qu’il était nu ». L’homme éthique prend conscience de sa nudité, de sa vulnérabilité, et perçoit sa responsabilité : assumer et répondre de son acte envers un être possible, en situation de fragilité absolue.

– Comment soumettre la création à la bonté de Dieu et non à la fascination, la convoitise et le désir humain de domination ? Comment éviter le déni de sa finitude qui entraînerait l’humain dans une quête de perfection narcissique… bien éloignée de la fécondité promise et espérée. La liberté se situe peut-être dans cette tension acceptée entre puissance de la connaissance et conscience de sa fragilité, permettant de protester pour l’homme en réponse à la volonté de Dieu : « tu aimeras ton prochain comme toi- même ».

TENTATIVE de CONCLUSION

La PMA tente de trouver une solution à l’infécondité des couples, souffrance dont les causes sont souvent « tabou ». Mais au nom de quelles valeurs choisir ou renoncer à la recherche puis à l’implantation d’un embryon ? La volonté de connaître et comprendre est une démarche inhérente à l’Homme ; mais elle met aussi en évidence sa vulnérabilité, elle lui impose aussi de définir ce qui fait son humanité, qui ne peut être ramenée ici à la promesse biologique de quelques cellules… Le regard porté sur cet être à venir, notre amour et notre respect, peuvent aussi bien justifier notre capacité d’accueil que de renoncement. Mais encore faut- il y mettre une parole de réflexion et de discernement, pour tenter de dire ce qui parait préférable, ce qui semble « juste et bon ».

 

(1) L’espace local de réflexion éthique du centre hospitalier Poissy-Saint-Germain-en-Laye.

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