Un chrétien doit créer des emplois - Forum protestant

Un chrétien doit créer des emplois

Après un âge d’or de l’entrepreneuriat protestant dans la deuxième moitié du 19e et au début du 20siècle, la présence des protestants dans la création d’entreprises en France s’est fortement réduite. En rupture avec un message ambiant d’accommodement avec le chômage destructeur et de solutions purement intellectuelles et politiques, j’en appelle à un réveil entrepreneurial protestant pour que les classes privilégiées protestantes redeviennent un vecteur de prise de risque et de création d’emplois.

 

L’emploi est-il la question fondamentale ? Eh bien, pour les 5 millions de sans emploi et un nombre probablement aussi important d’emplois partiels, donc insuffisants à nourrir une famille, la réponse est oui. Ça n’est d’ailleurs pas une réponse mais un cri. Un cri que l’on entend dans les files de Pôle emploi (même si l’organisation a appris à ne recevoir ses clients qu’en petits groupes), un cri silencieux dans les familles déstructurées par le chômage, parfois soumises à la tyrannie des trafics multiples, un cri désespéré de ceux qui dès 20 ans savent qu’ils alterneront périodes de semi-esclavage précaire et longs mois de minima sociaux, un cri étouffé chez tous les seniors de plus de 50 ans, mis au rebut après une longue carrière. Il n’est pas possible pour un chrétien de se poser la question de façon simplement académique et intellectuelle. Alors qu’il y a entre un et deux millions d’enfants pauvres ou enfants de pauvres en France, gloser sur la surconsommation est au mieux un contresens, au pire une obscénité.

Il ne s’agit pas de nier les excès néfastes de la société de consommation, ni de critiquer les démarches et efforts de simplicité et sobriété volontaires, mais on ne résoudra pas le chômage de masse en ne changeant d’iPhone qu’une fois tous les deux ans. S’il est vrai que la hausse de la consommation (et de la pollution qui l’accompagne) ne se traduit pas toujours par une hausse de l’emploi, il est encore plus vrai qu’une baisse absolue de la consommation se traduit toujours par une baisse de l’emploi. Et comme l’emploi est actuellement mal partagé, cette baisse de l’emploi, au lieu de créer du temps libre pour des classes employées, crée de nouveaux chômeurs.

 

Ce sont les entrepreneurs qui créent l’emploi durable

Alors d’où vient l’emploi ? Qui le crée ? Comment se génère-t-il ? « La dérégulation ! », crient les responsables du Medef, dont les entreprises n’ont plus créé d’emplois depuis quelques décades. « L’État ! », disent les ministres et politiciens de tous bords, qui n’ont pas d’autres leviers ni d’expérience professionnelle d’ailleurs, encouragés par les foules désespérées qui ont abandonné tout espoir de s’en sortir sans assistance. « La simplification ! », prétendent les intellectuels engagés, qui ne prennent pas trop de risque à montrer du doigt des tartes à la crème bureaucratiques et des moulins à vent politiques. « Les énergies nouvelles ! », proclament les écolos qui oublient que les cellules photovoltaïques ne poussent pas dans les champs avec des engrais bio. La seule réponse qu’on n’entende pas (ou trop peu) est celle qui compte : les entrepreneurs !

Parce qu’ils n’ont pas (à tort sans doute) de temps pour le débat et la polémique, parce qu’ils sont trop occupés à survivre, croître et embaucher, parce qu’ils préfèrent faire que parler, créer que discuter, parce que le concept de 35 heures leur est un peu étranger … ils ont tort, c’est sûr. Mais l’entrepreneur est rarement moutonnier et se regroupe peu pour se faire entendre. Du coup, son discours n’est pas audible ou-bien il est détourné et manipulé. Sans cet élément, toutes les autres solutions sont vouées à un échec plus ou moins rapide ; on peut critiquer leurs motivations, contester leurs qualités, mais localement, ce sont les entrepreneurs qui créent l’emploi durable. Qu’ils le fassent pour s’enrichir, par passion technique ou pour changer le monde, peu importe pour celui qui sort de la misère.

 

Interpellons les protestants

Interpeller les candidats pour nous faire entendre ? Ils n’y connaissent, n’y peuvent rien … Interpellons plutôt les protestants puisque nous en sommes ; tous ceux qui vivent confortablement de la fortune faite par l’ancêtre qui avait monté une filature dans le village ou qui commerçait avec la Suisse et l’Angleterre. Tous ceux-là qui ont quitté le village abandonné au chômage de masse pour se réfugier dans les villes où ils sont dans la haute fonction publique, cadres sup dans des grosses boites qui licencient pour maintenir les profits, enseignants et intellectuels donneur de leçons. Sortez de cette Babylone de confort ! Prenez des risques comme les valeureux ancêtres. Non, pas vos ancêtres camisards ou pasteurs, mais les industriels, les marchands, les banquiers, les inventeurs, les négociants qui ont créé des produits ou les ont financé, leur ont donné un débouché, les paysans qui ont essayé de nouvelles méthodes ou cultures, les artisans qui ont amélioré des processus de fabrication.

Ils ont créé de la richesse, ont donné du travail aux moins dégourdis du village, ont permis l’émergence d’une culture de travail et d’industrie qui a duré plus d’un siècle. Eux qui avaient la passion de la réussite, ils ont fabriqué des tissus, des vélos, des lampes, des meubles, des savons, des voitures, des chapeaux, de la porcelaine ou des machines pour embellir et faciliter la vie, soulager le quotidien et créer de nouvelles activités. « Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne ! », nous recommandait Guizot. Mais en même temps, « Améliorez la condition matérielle et morale de la France », nous demandait-il. Créez des emplois pour ceux qui en ont besoin, donnez votre fortune à ceux qui ne peuvent s’en sortir seuls et contribuez à éduquer tous les enfants.

Interpeller les candidats ? Cessons de faire semblant de croire que les politiques ont la solution, et qu’elle est globale mondiale et universelle. Est-ce de la naïveté ou une bonne excuse pour ne pas prendre notre part de responsabilité ? Redevenons protestants et glorifions Dieu dans notre quotidien passionné et créatif, et faisons fructifier tous nos talents dans une activité « profitable au commun et qui peut servir à nos prochains » comme disait Calvin. Car à « quiconque il aura été beaucoup donné, il sera beaucoup redemandé » (Luc 12, 48).

 

(Illustration : carte postale représentant les usines Schlumberger à Guebwiller, Alsace)

 

Commentaires

 

Suzette Sandoz  (22 octobre 2015)

Magnifique texte, bravo et merci !

 

René Gillot (7 novembre 2015)

Enfin et depuis longtemps un vrai texte protestant où l’on sent le souffle du Christianisme Social, loin du galimatias d’intellos christo-nombrilo-gauchistes avec lequel on nous casse les oreilles !!!

 

Sommer (8 novembre 2015)

Je suis protestant et artisan, je reconnais dans votre texte ce qui m’a motivé à devenir entrepreneur alors que je n’y étais pas destiné par ma lignée ou ma fortune. Bravo !

 

ClajEre (11 novembre 2015)

Éric Peyrard, êtes-vous ou avez-vous été patron ? Tous les patrons protestants ne sont pas héritiers d’une fortune ou d’un patrimoine professionnel, tous les patrons protestants ne se prennent pas des salaires mirobolants. Bien-sûr qu’ils aimeraient pouvoir créer des nouveaux emplois mais si c’était si simple, ça se saurait !

 

Éric Peyrard (en réponse à ClajEre, 11 novembre 2015)

Merci pour votre commentaire, mais j’ai peur que vous n’ayez pas bien lu le texte ; je vous propose de le relire calmement et vous verrez qu’il ne parle ni de salaires mirobolants ni de patrons ayant hérité, bien au contraire. Votre irritation vient sans doute d’une incompréhension.

En revanche, je suis un peu inquiet de votre conclusion : si vous ne pensez pas que les patrons (j’aime mieux dire les entrepreneurs) ont la solution au problème de l’emploi alors qui ?

Quant à votre question : je ne sais pas si j’ai été patron mais j’ai dirigé et fait croître des entreprises … en embauchant … Je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’elle soit pertinente : si seuls les patrons pouvaient avoir une opinion sur les patrons, le dialogue disparaîtrait.

Continuons donc le dialogue dans la bienveillance, l’ouverture la raison et la fraternité.

 

Franck (11 novembre 2015)

« Un cri que l’on entend dans les files de Pôle emploi (même si l’organisation a appris à ne recevoir ses clients qu’en petits groupes) »

Je travaille comme conseiller chez Pôle Emploi. Cette affirmation est fausse. Je reçois en majorité les demandeurs d’emploi (on ne parle plus de clients depuis quelques années) en entretien individuel (45 minutes). D’autre part, les groupes ont aussi leur utilité et notamment les clubs (seniors, cadres, etc.), en particulier pour rompre l’isolement dont beaucoup souffrent mais pas seulement.

 

Éric Peyrard (en réponse à Franck, 11 novembre 2015)

Merci Franck pour cette précision ; tout à fait d’accord avec vous sur l’utilité des groupes d’ailleurs.

 

Pep’s café (13 novembre 2015)

Bonjour Éric Peyrard,

je vous remercie de nous faire partager ce texte passionné et créatif, lequel nous invite à faire fructifier tous nos talents dans une activité « profitable au commun et qui peut servir à nos prochains ». Cependant, certaines de vos affirmations m’interpellent, notamment : « Gloser sur la surconsommation est au mieux un contresens, au pire une obscénité. Il ne s’agit pas de nier les excès néfastes de la société de consommation, ni de critiquer les démarches et efforts de simplicité et sobriété volontaires, mais on ne résoudra pas le chômage de masse en ne changeant d’iPhone qu’une fois tous les deux ans. » Mais pourquoi vouloir changer d’Iphone tous les ans ? Pourquoi créer des besoins inutiles ? Et ajouter de nouveaux déchets à la pollution actuelle ?

D’autre part, que pensez-vous de ces pistes ?

  • Relocaliser, afin de récupérer les activités productives locales et les réinstaller dans leurs territoires.
  • Restructurer et assurer une reconversion écologique (agriculture, énergie, transport …), mettre en place une production respectueuse de l’environnement destinée à satisfaire des besoins réels (et non fictifs ou provoqués), lutter contre le gaspillage et l’obsolescence programmée(dont vous ne parlez pas, mais cf ce qu’en dit Eric Jaffrain), ce qui aurait un impact positif sur la réduction de déchets et la consommation des ressources naturelles (qui ne sont pas inépuisables), tout en procurant le même niveau de bien-être (voire supérieur, puisque libérant du souci de changer continuellement d’appareil).
  • La réduction du temps de travail. Car considérons l’absurdité d’une situation : d’un côté des millions de chômeurs, avec 0 heure de temps de travail, et de l’autre des millions de personnes travaillant jusqu’à 15 heures/jour, et même les dimanches, négligeant leur conjoint et leur famille. Or, sauf erreur, ce sont les heures supplémentaires défiscalisées qui ont été destructrices d’emplois. Et aujourd’hui, paradoxalement, plus on travaille, moins on gagne, du fait d’une concurrence impitoyable. Sans parler du travailleur précaire, soumis à l’arbitraire. En travaillant moins, peut-être pourrait-on tous travailler, gagner plus et, surtout, vivre mieux ?

La Bible, qui nous met en garde contre la cupidité et l’avidité (Col 3, 5, Eph 5, 3, 1 Thes 4, 6), parle pourtant d’un temps pour travailler selon ses besoins et d’un temps pour s’arrêter (cf Ex 16). Certains n’avaient pas trop et d’autres n’avaient pas moins (verset 18). Francis Schaeffer, dans le chapitre 6 de La pollution et la mort de l’homme (BLF, 2015, pp. 83 à 85), estime que l’homme doit accepter de s’auto-limiter, c’est à dire de « ne pas faire tout ce qu’il peut ». Loin de perdre, ce choix éthique, inspiré par une vision biblique, lui permettra au contraire d’« obtenir davantage » sur le long terme et de façon durable. « Un homme ne doit pas être traité en objet de consommation, destiné à rapporter le plus de bénéfices possibles » (op. cit. p. 85)

En vous remerciant par avance pour votre lecture attentive.

Bien à vous,

Pep’s café (blogueur évangélique)

PS : je ne pense pas que la solution puisse être unique (que politique, ou seulement entrepreneuriale, comme si cela pouvait être la seule mesure de toute chose …) mais comme un ensemble d’éléments complémentaires, fonctionnant de manière inter-dépendante, vu que tout est lié (économique, social, sociétal, environnement …). Elle (cet ensemble de solutions) ne saurait non plus être pragmatique, mais plutôt reposer sur un fondement plus solide.

À cet effet, une vision biblique juste, sage et véritable du monde, de la création, et même anthropologique, me paraît être essentielle.

 

Éric Peyrard (en réponse à Pep’s café,  14 novembre 2015)

Merci de votre contribution Pep’s ; bien d’accord avec vous que la solution n’est pas unique ; j’ai choisi de me concentrer sur ce que je sais faire et de parler à ceux qui peuvent m’entendre. Pour être efficace, il me semble que la Bible nous demande de bien utiliser nos charismes ; je suis convaincu qu’il nous faut sortir de l’incantation, des gémissements et de l’indignation sur ce que font ou ne font pas nos concitoyens pour passer à un mode plus actif où chacun fait ce qu’il peut et un peu plus. Sans nier l’importance d’une action collective politique aussi, mais pas exclusivement.

Tout à fait d’accord avec vous aussi sur la sobriété volontaire, la problématique de l’obsolescence programmée, de la reconversion écologique, etc. Mais comment faire pour que ça ne soit pas juste un catalogue de bonnes idées pour les autres ?

 

Pep’s café (28 mars 2017)

Bonjour !

Je vous réponds un peu tardivement et m’en excuse. Mais « mieux vaut tard que jamais », dit-on.
Vous concluez, en demandant : « Mais comment faire pour que ça ne soit pas juste un catalogue de bonnes idées pour les autres ? »

Ah ça !

Les solutions sont multiples (vous en avez peut-être trouvé quelques unes depuis), mais si la volonté est déjà là, autant politique que citoyenne, c’est un premier pas. La question est : le veut-on ?

Toutes « ces bonnes idées », comme vous dites, comme l’usage – responsable – de nos charismes – ne devraient avoir qu’un seul objectif : le bien commun et non les intérêts particuliers (cf 1 Cor 12, 7).

Sinon, sur La Pollution et la mort de l’homme, voici ma critique du livre.

Bien à vous,

Pep’s café (blogueur évangélique)

 

Sylvie Lambert (12 juin 2016)

Bonjour,

je viens, par hasard, mais le hasard n existe pas (c’est Dieu qui voyage incognito), de vous voir dans l’émission Présence Protestante. J’ai vu la fin de l’émission et surtout retenu la phrase « Un chrétien doit créer des emplois » ainsi que le mot charisme que vous avez utilisé.

J avoue que vous entendre parler de nos charismes à mettre au service des autres et du travail m’a interpellé, positivement. Comme je suis quelqu’un qui aime apprendre des autres et approfondir ce qui m’interpelle, pourriez-vous me dire si vous avez écrit un livre sur le sujet ? Si oui, merci de me faire savoir où je peux le trouver.

Dans l’attente de vous lire,

bon dimanche

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