Aux actes ! - Forum protestant

Rencontre avec Valérie Rodriguez, secrétaire générale de la Mission populaire évangélique de France. Un échange avec Jean-Luc Gadreau sur Solaé autour des fraternités et de leurs piliers fondateurs – social, spirituel et politique – faisant la part belle aux notions d’accueil et du prendre soin.

Écouter l’émission Solaé Le rendez-vous protestant (7 janvier 2024, présentée par Jean-Luc Gadreau et réalisée par Delphine Lemer).

 

Douze fraternités, trois piliers

Jean-Luc Gadreau: J’ai le plaisir de recevoir Valérie Rodriguez, nouvelle secrétaire générale de la Mission populaire évangélique de France. Valérie, peut-être que le plus simple et logique serait de commencer par présenter la Miss’Pop, comme on l’évoque généralement?

Valérie Rodriguez: La Miss’pop – Mission populaire évangélique de France, donc – est une association qui a vu le jour en 1871 grâce au pasteur écossais Robert Whitaker McAll qui s’est préoccupé du sort des ouvriers à Paris, et plus précisément à Belleville, au lendemain de la Commune de Paris. C’est une association s’inscrivant dans un mouvement qu’on appelle le christianisme social et la Mission populaire anime aujourd’hui douze fraternités: cinq en région parisienne – trois à Paris, une à Montreuil, une à Trappes – et d’autres à Lyon, Marseille, Nantes, Saint-Nazaire…

Jean-Luc Gadreau: L’aspect historique de la Mission populaire a d’ailleurs été évoqué dans l’émission du 17 octobre 2021, à l’occasion de l’Assemblée du Désert. Aujourd’hui, en quoi consistent véritablement ces fraternités?

Valérie Rodriguez: On les appelle des lieux de vie et leur action s’appuie sur trois piliers. Un pilier social, d’abord, avec des activités qui peuvent être assez classiques: accueil, domiciliation, accompagnement social, soutien scolaire pour les enfants, actions de parentalité, cours de français pour les adultes migrants, etc. Il y a tellement de choses! Il y a même une émission radio à la fraternité de Trappes.

Jean-Luc Gadreau: Ah, très bien!…

Valérie Rodriguez: Mais ce pilier social se nourrit des deux autres piliers – ce qui pour nous est particulièrement important sinon il s’agirait d’un centre social classique – et en premier lieu d’un pilier spirituel.

Jean-Luc Gadreau: Oui, c’est une œuvre protestante.

Valérie Rodriguez: Tout à fait. Le pilier spirituel peut se vivre de manières différentes: par des cultes dans certaines fraternités, par des études bibliques, des éléments reposant sur notre fondement protestant mais aussi, plus largement, parce qu’on considère que les personnes accueillies n’ont pas uniquement des besoins matériels. Ce sont des gens exactement comme nous, qui aspirent à des réflexions sur le sens de la vie, et c’est aussi notre rôle d’accompagner cette réflexion-là.

Jean-Luc Gadreau: Et cela sous la forme d’aumônerie ?

Valérie Rodriguez: Pas forcément. Cela peut être des réflexions autour d’une thématique. Un exemple concret: en cours de français avec des adultes nous avons travaillé sur le thème de la beauté avec comme support de grandes photos symbolisant diverses formes de beauté. Il y avait notamment des choses assez matérielles, une superbe voiture, un hôtel de luxe avec piscine, et nous avons été étonnés de constater qu’un grand nombre de personnes dans le groupe a choisi ces photos-là pour parler de la beauté. Ce constat est alors devenu support à des réflexions. Pour nous, il est important de nourrir cette dimension-là dans la vie des personnes qu’on accueille.

Le troisième pilier, enfin, est un pilier politique. Politique d’abord au sens pragmatique du terme puisqu’accueillir des personnes sans papiers (c’est le cas dans beaucoup de fraternités) ou des personnes sans domicile est éminemment politique, mais pas seulement de cette manière-là. Notre credo, c’est l’accueil inconditionnel mais également l’interpellation des pouvoirs publics sur des thématiques qui nous sont chères. Et là, avec la loi asile et immigration, nous allons hélas avoir de quoi faire.

 

«Accueillir et être accueillis»

Jean-Luc Gadreau: Comment avez-vous rejoint la Mission?

Valérie Rodriguez: Je viens d’une famille protestante et j’ai été élevée dans un protestantisme assez classique. J’ai toujours travaillé dans le milieu associatif: pour le CCFD-Terre Solidaire, l’ADI et différentes associations, puis, arrivée dans la ville pour des raisons familiales, j’ai été bénévole à la fraternité de Trappes. J’y donnais des cours de français pour les adultes et étais dans le conseil d’administration. Le directeur de l’époque, sur le départ, m’a demandé si, moi qui travaillais dans le social, ça ne m’intéresserait pas de prendre la direction de la fraternité. Je n’y avais jamais pensé mais me suis dit pourquoi pas: c’est un nouveau défi. De plus, cela correspondait à des valeurs que je portais.

À l’époque, je travaillais dans un Centre social municipal et j’étais justement un peu gênée par le fait de ne pas réellement pouvoir parler de spiritualité ni de foi. C’était un peu la laïcité mal comprise et mal digérée, c’est-à-dire la laïcité neutralité absolue, et cela me manquait un peu. Je me suis dit que dans ce lieu-là j’aurais la possibilité d’évoquer ces sujets, ce qui a vraiment été le cas. J’ai eu des échanges très riches avec des personnes de confession musulmane, notamment, car nous accueillons à Trappes 90% de personnes d’origine musulmane (ce qui n’est pas le cas de toutes les fraternités). J’ai donc rejoint l’association à ce moment-là et suis restée 10 ans à ce poste passionnant à bien des égards. Aujourd’hui je suis secrétaire générale du mouvement depuis septembre 2023, avec d’autres fonctions évidemment.

Jean-Luc Gadreau: Dans l’émission du 31 décembre 2023, nous avons abordé le thème de l’hospitalité à travers un dialogue entre la philosophe Gabrielle Halpern et le pasteur Vincent Miéville et, en parcourant la confession de foi de la Mission populaire, on peut lire: «Nous savons que nos portes doivent rester ouvertes à l’étranger, au pauvre, au sans-abri et aucune puissance n’a le droit de les fermer». On est dans l’hospitalité inconditionnelle, l’accueil inconditionnel – vous le disiez précédemment. C’est véritablement un socle de l’action de la Miss’Pop.

Valérie Rodriguez: Oui, ccela se pratique dans toutes les fraternités et dans les deux sens, c’est-à-dire qu’on accueille mais qu’on est aussi accueillis. Quand je suis allée à la fraternité de Saint-Nazaire, la semaine dernière, il y avait beaucoup de monde car c’était l’heure du Soli’Dej, le petit-déjeuner solidaire, et dans la cuisine officiaient non pas de vieux bénévoles protestants de 80 ans mais deux jeunes femmes syriennes arrivées en France il y a à peine 11 mois et qui étaient déjà bénévoles dans la cuisine du foyer à Saint-Nazaire. C’est aussi une spécificité de la Miss’pop que d’accueillir et d’être accueillis, de bousculer et de se laisser bousculer. Cette réciprocité dans les échanges et dans le partage est une chose très importante pour nous.

 

«Montre-moi comment ta foi peut exister sans actes»

Jean-Luc Gadreau: Je vous ai demandé si un texte biblique pouvait accompagner notre échange, faisant écho à vos responsabilités à l’action de la Miss’Pop et pouvant aussi parler à chacun, nous rejoindre, nous bousculer peut-être, et vous m’avez proposé de nous rendre dans le Nouveau Testament avec Jacques 2, 14-18:

«Mes frères et sœurs, à quoi cela sert-il de dire « J’ai la foi » si on ne le prouve pas par ses actes? Cette foi peut-elle nous sauver? Supposez qu’un frère ou une sœur n’ait pas de quoi se vêtir ni de quoi manger chaque jour: à quoi cela sert-il que vous leur disiez « Allez en paix, portez-vous bien, habillez-vous chaudement et mangez à votre faim » si vous ne leur donnez pas ce qui est nécessaire pour vivre? Il en est ainsi de la foi: si elle ne se manifeste pas par des actes elle n’est qu’une chose morte. On dira peut-être: « Toi tu as la foi mais moi j’ai les actes ». Montre-moi comment ta foi peut exister sans actes et moi je te prouverai ma foi par mes actes

Jean-Luc Gadreau: Dans ce texte, c’est le sens même de la foi qui est questionné.

Valérie Rodriguez: Pour moi, la foi ne peut pas simplement être croire en Dieu, aller au culte ou à la messe le dimanche matin et lire la Bible de temps en temps. Dans ce texte, effectivement – ce que je trouve assez fort –, l’un ne va pas sans l’autre. Cela ne veut pas dire qu’on peut se passer de la foi mais qu’on ne peut pas faire l’impasse sur les œuvres. Or c’est parfois un peu la tendance de chaque humain de s’en contenter en pensant: «Tout va bien, j’ai la foi». Ce texte nous interpelle et, pour moi, il est précieux de se laisser interpeller par des textes bibliques. C’est en tout cas un texte qui me parle et qui fonde une partie de mon engagement.

Jean-Luc Gadreau: Ce passage a néanmoins suscité de nombreuses controverses et tensions, notamment entre catholiques et protestants, autour du rapport entre foi et œuvres ainsi que sur la notion de salut. Car pour les protestants, les œuvres témoignent de la foi mais ne sont pas un enjeu du salut. Comment réagissez-vous sur ce sujet?

Valérie Rodriguez: C’est précisément parce que ce n’est pas un enjeu du salut que c’est intéressant. Puisque ce n’est pas par ces œuvres-là que l’on gagnera notre salut, puisqu’elles ne constituent pas un moyen de gagner le ciel, eh bien on les fait gratuitement ! Et je pense que c’est d’autant plus gratifiant de se dire qu’on n’a rien à y gagner si ce n’est dans la richesse des relations qu’on va bâtir avec les gens.

Jean-Luc Gadreau: Ce n’est pas une obligation mais ça doit devenir quelque chose de naturel, c’est cela?

Valérie Rodriguez: Oui. Et c’est aussi une bonne manière d’exercer sa liberté de chrétien que de se dire qu’il n’y a pas d’enjeu mais qu’on agit quand même car c’est aussi cela, le sens de sa foi.

Jean-Luc Gadreau: Récemment, les temps de rencontre dans Solaé ont beaucoup tourné autour de cette notion de traduction de la foi par les actes. C’est, je pense, une chose qui est liée intrinsèquement à la foi protestante.

Valérie Rodriguez: Oui, je le pense aussi. C’est une chose qui nous nourrit aussi en tant que chrétiens. Je trouve que la relation avec l’autre, ce partage, cet accueil inconditionnel, nourrissent à la fois nos réflexions, notre intellect, et nous permettent de nous laisser bousculer parfois par les réflexions de ceux qui ne sont pas de la même confession. Cet été, nous avons partagé avec la fraternité de Trappes un séjour d’une semaine de vacances avec des familles, et la majorité était de confession musulmane. Un jour, nous avons commencé à discuter de la question de la prière. C’était assez intéressant car, nous, en tant que protestantes, avons interpellé les dames en disant que cette prière obligatoire, cinq fois par jour, nous posait question puisque de notre côté nous pouvions prier quand nous le voulions. Elles nous ont répondu, assez justement: «Mais, vous priez ? Et vous priez tous les jours ?». Or oui, peut-être qu’on ne prie pas tous les jours, effectivement… C’était une manière de nous faire réagir qui m’a interrogée et je me suis demandé si moi j’étais fidèle dans ma vie de prière, ce qui n’était pas forcément le cas, contrairement à elles. C’est important de se laisser interpeller par des personnes ne pratiquant pas la même religion et qui ont une vision de la foi très différente de la nôtre.

 

«Accueillir la personne comme elle est et accompagner le besoin qu’elle a au moment où elle franchit le seuil de la porte»

Jean-Luc Gadreau: Vous parliez de se nourrir mutuellement. Il y a un dicton qui dit: «Ventre affamé n’a pas d’oreilles». En pensant à une autre œuvre protestante, l’Armée du Salut, qui a choisi pour devise «Soupe, savon et salut», on peut dire de cette philosophie qu’il s’agit de subvenir en priorité aux besoins vitaux tels que nourriture, vêtements, logement, hygiène et santé en général, avant même une annonce quelconque de l’Évangile (peut-être même que cette annonce débute d’abord par ces besoins-là). Est-ce que c’est votre manière d’agir? C’est un peu ce que reflètent les trois piliers soutenant l’œuvre de la Mission populaire.

Valérie Rodriguez: Il n’y a pas de hiérarchie dans les piliers; tous trois (social, politique, spirituel) se nourrissent les uns, les autres. L’idée est d’accueillir la personne comme elle est et d’accompagner le besoin qu’elle a au moment où elle franchit le seuil de la porte. Si c’est un besoin matériel, on ne lui dira évidemment pas, comme dans le texte de Jacques, «Écoute, rentre chez toi, c’est bien» alors qu’elle n’a pas de toit. Il s’agit donc de répondre aux besoins exprimés par la personne sans pour autant oublier qu’elle est un fils ou une fille de Dieu et qu’elle a aussi des besoins immatériels, spirituels, autres que soupe et savon. Comme le dit très bien la devise de l’Armée du salut, il y a également le salut, dans son acception large, c’est-à-dire la notion de spiritualité, de foi, le besoin de sens dans l’existence.

 

«Prendre soin, c’est révolutionnaire»

Jean-Luc Gadreau: Je profite de ces propos pour mentionner le texte biblique retenu par le Conseil de la Fédération protestante de France pour 2024: les paroles de l’apôtre Paul dans sa Première lettre aux Corinthiens, chapitre 12, concernant le corps, sa diversité et les liens entre les membres quels qu’ils soient. La Fédération protestante de France les résume ainsi en en faisant une sorte de mot d’ordre pour cette année: «Prenez soin les uns des autres». Notre chroniqueur, Vincent Smetana, a d’ailleurs souhaité développer sur ce sujet. Vincent, que vous évoque cette expression?

Vincent Smetana: Si je tente de faire simple, prendre soin consiste à s’occuper de la vie. Le soin, ce sont toutes ces attentions que l’on dispense à l’autre lorsqu’il ne peut pas ou plus assurer ses besoins vitaux. Prendre soin, c’est chérir ou choyer, accueillir quelqu’un sous son aile. Je sais bien, j’ai bien remarqué que ni vous ni moi ni personne dans ce studio n’avons des ailes, littéralement. C’est une image, je dis ça pour que nous puissions imaginer que prendre soin c’est se rendre infiniment disponible à l’autre, c’est être vigile, être le gardien de phare des tempêtes de l’autre.

Jean-Luc Gadreau: «Être le gardien de phare des tempêtes de quelqu’un», c’est aussi une image, je suppose?

Vincent Smetana: Non, c’est une métaphore, ce n’est pas pareil!… Par exemple, si je dis «L’être humain vit à chaque instant l’élan naturel et spontané de prendre soin de ses semblables, accueillir, entourer, parrainer, câliner, choyer ses semblables», ça n’est pas une image. Vous voyez ?…

Jean-Luc Gadreau: Donc résumons sans que je ne m’égare: dire «L’être humain est un être fondamentalement bon, tendre, attentif, altruiste et respectueux», c’est une métaphore ?

Vincent Smetana: Eh non, concentrez-vous !… Même si je truffe tout cela de synonymes, si je dis «L’être humain a une tendance naturelle à prendre soin de ses semblables», c’est une fable. Prendre soin n’est pas inné. Prendre soin, ce n’est ni une lettre qui passe crème dans la boîte avant le soir, ni «une mouche à miel pinçant sa guitare». Dire que prendre soin est évident et intuitif, c’est comme dire qu’un éléphant se sent comme un poisson dans l’eau dans un magasin de porcelaine. Vous voyez ?…

Jean-Luc Gadreau: Attendez, Vincent !… Associer prendre soin à carte postale, mouche à miel, poisson, crème, éléphant, porcelaine… c’est imagé ?

Vincent Smetana: Hélas, non, Jean-Luc: c’est cynique, ou désespéré, ou réaliste, peut-être. Parce que la vérité c’est que nous avons tout à apprendre du prendre soin et si nous l’apprenions, le monde serait tout autre. Prendre soin, c’est révolutionnaire, alors que ce n’est pas si compliqué.

Où est-ce que ça se joue ? Quelque part entre vulnérabilité est possibilité, c’est là que se joue l’éthique du soin, là où chacun peut agir, là où chacune, chacun, nous sentons ce désir de prendre soin dans le secret de notre conscience, guidés par nos valeurs, nos doutes. Chacune, chacun, nous sommes parfaitement capables de redonner sens au soin, redonner confiance ou présence à celle où celui qui vit l’insupportable. Un monde sans le prendre soin, c’est comme une frite sans mayonnaise, un violon sans son archet, une bière sans mousse, une guitare sans son ampli, une truite sans son étang, car le soin est une dynamique relationnelle qui procède du souci, du tourment pour l’autre.

L’étymologie de cet intransitif étonnant traduit d’ailleurs le sens double et global, matériel et spirituel du soin. Le mot soin possède deux racines: l’une vient du latin médiéval songne qui signifie nécessité, besoin, et l’autre racine vient du latin tardif sonium qui signifie souci, chagrin. Le verbe soigner signifiait fournir quelque chose à quelqu’un, fréquenter des marchés pour se procurer des marchandises mais aussi s’occuper de tenir propre l’enfant, par exemple. L’acte de soigner se référait donc au corps dans ses aspects matériels, basiques ou contraignants et en même temps le soin revêtait un sens psychologique puisqu’il désignait le souci, la préoccupation, l’inquiétude pour le corps et ses besoins. Ce n’est qu’au 17e siècle que s’est tracée l’ébauche de cette idée du bien-être, cette idée simple et si belle de l’attention qu’on donne à l’autre, quelque chose qu’on fait mais vraiment, sans simplement se contenter de penser à l’autre. Jésus, par exemple, quand une femme ou un homme complètement dézingué par les tourments de son existence, affaibli, famélique, pâle, angoissé vient le trouver, qu’est-ce qu’il répond ?… Eh bien, il se frotte la barbe et…

Jean-Luc Gadreau: Vincent, comment savez-vous que Jésus avait une barbe ? Ça n’est écrit nulle part !

Vincent Smetana: Je sais, Jean-Luc, c’est une image !… Dire: «Jésus se frotte la barbe», ça signifie dans l’imaginaire collectif qu’il réfléchit. C’est une image et une métaphore de la sagesse incarnée. Bon, Jésus, que fait-il ? Il réfléchit un instant en tournant ses yeux vers le ciel en haut à droite – ce qui est une image pour dire qu’il cherche l’inspiration – puis répond: «Oui, très bien, je vais penser à toi, tu peux retourner à tes affaires» ?… Non ! Il pose un geste tout autre, bouleversant et révolutionnaire: il prend soin. Ce geste-là, en rupture avec le dualisme d’une certaine philosophie grecque, se tient donc à l’origine d’une culture du soin qui prend en charge l’homme dans sa globalité, corps et âme. Le geste de prendre soin se préoccupant du vivant, ne le traitant pas comme un objet ou un rebut mais s’appuyant sur son potentiel de réponse autonome, sa responsabilité, sa valeur, son identité. Alors disons ceci: apprendre à prendre soin, c’est s’approcher d’un point où une culture à la chance de s’épanouir en civilisation. C’est chaud, quand même, hein ?… Et ce n’est pas une métaphore !

Jean-Luc Gadreau: C’est une image, alors?

Vincent Smetana: Eh non! C’est une promesse, une perspective, un possible horizon, disons.

Jean-Luc Gadreau: Vincent Audiard… Non, Smetana! Mais c’est une référence certaine en parlant de métaphore et de ce genre de choses. Merci en tout cas pour ce bel apport dans notre discussion du jour. Valérie, cette réflexion autour du prendre soin proposée par Vincent vous fait peut-être à réagir?

Valérie Rodriguez: Il y a beaucoup de choses qui ont résonné. Le mot promesse. «Le prendre soin, c’est une promesse», c’est intéressant. Et, encore une fois, ce prendre soin est réciproque. Dans les fraternités de la Mission populaire, je me suis rendue compte que par moments je prenais soin et par moment on prenait soin de moi, qu’il s’agisse des bénévoles ou des personnes accueillies qui parfois m’attendent devant la porte de la Miss’pop avec des gâteaux, du café, un petit-déjeuner complet… On arrive à passer des moments, comme ça, à prendre soin les uns des autres. Et puis, cette expression est jolie et porteuse de sens dans les fraternités de la Mission populaire !

 

Transcription réalisée par Pauline Dorémus.

 

Illustration : Paris, Salle du Faubourg Saint-Antoine (Source: S.H.P.F.).

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