Amour et colère par temps de fêtes
Les chrétiens entre Pâques et Pentecôte, les musulmans en Ramadan: «pour les deux communautés, il est question d’amour, entre Dieu et les hommes». Mais comment parler de cet amour à celles et ceux «qui souffrent de l’absence d’un père ou au contraire de sa violence, de la maltraitance de leurs parents ou de leur famille?»… Plus que parler, peut-être faut-il surtout montrer que «cet amour se donne sans condition et sans attendre de retour».
Texte publié sur Blog pop: ‘Pâques, Ramadan, Pentecôte : amour et fraternité’.
Les chrétiens vivent actuellement un temps entre Pâques et la Pentecôte, qui est un cheminement nouveau avec le Christ ressuscité. Les chrétiens suivent les pas des disciples du Christ, eux qui apeurés et se cachant de peur d’être inquiétés pour leur proximité avec Jésus mort sur la croix, vont retrouver celui-ci au milieu d’eux et qui va les conduire jusqu’à l’onction du feu de l’Esprit saint au jour de la Pentecôte. L’Esprit, don pour chacun, afin qu’ils puissent se donner librement au service de leurs frères. Dans ce temps de Pâques à Pentecôte, chaque chrétien chemine et se prépare à recevoir l’Esprit, ce don de Dieu pour répandre sa Parole d’amour à tous les hommes.
Pour les musulmans, c’est le temps du Ramadan, qui est lui aussi un temps primordial pour les croyants, un des cinq piliers de l’islam. Ce temps de jeûne du ramadan et la fête qui le termine marquent le début de la révélation du Coran au prophète Mahomet, la parole de Dieu révélée aux hommes. Ce jeûne est un temps de prières et de pardon des péchés. Pour les musulmans, il est une période de recueillement au cours de laquelle, chacun a le devoir de prier, de réfléchir sur la place de la foi dans sa vie et sur la façon de développer ses qualités humaines au service de ses frères, dont la patience, la compassion, l’humilité et l’aumône.
Dans ces temps de fêtes et de célébrations pour les deux communautés, il est question d’amour, entre Dieu et les hommes.
Se retrouver: difficile quand on le peut, encore plus difficile quand on ne le peut pas
«Il est le Tout pardon, le Tout amour» (le Coran, S85)
«Dieu est amour» (la Bible, 1 Jean 4,8)
Ces temps de fête sont habituellement des occasions de se retrouver, de partager, de prier, de croire et de vivre sa foi avec les autres, mais aussi et surtout un temps consacré à Dieu, ce Père qui aime tous les enfants qui le reconnaissent. C’est un temps pour resserrer les liens fraternels des enfants du Père et ainsi de faire famille avec nos proches et nos communautés.
Dans les temps difficiles, avec les restrictions que nous subissons pour éviter de propager le virus, ces notions de famille, de communauté et de fratrie, nous font cruellement défaut. En effet:
Qui a pu fêter Pâques en famille?
Qui peut se retrouver en famille, pour la rupture du jeûne au coucher du soleil?
Qui a vu enfants, petits-enfants ou parents pour ces repas de fête qui les réunissent habituellement?
Qui a réussi à avoir le cœur en joie pour fêter en communauté ces temps spirituels parmi les plus importantes pour les croyants des deux communautés?
Nous avons parfois des difficultés à nous retrouver, en temps ordinaire, parce que dans nos vies surbookées, nous ne trouvions plus le temps de prioriser ces temps de fêtes qui nous permettaient de retrouver nos proches, nos familles et nos fratries au sens propre, comme nos familles de frères en communauté. Et là, comme par hasard, parce que nous en sommes privés, nous en ressentons tellement l’absence…
Mais une chose est certaine: Dieu, le Père Créateur, nous aime, nous tous ses enfants! Il nous aime comme un père et son amour nous est donné, pour que nous nous aimions tous, comme s’aiment et s’entraident des frères. Pour que nous prenions soin les uns des autres et plus particulièrement de ceux de nos frères qui en ont le plus besoin.
«Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés» (la Bible, Jean 13,34)
«Entraidez-vous dans l’accomplissement des bonnes œuvres et de la piété» (le Coran S5/2)
Amour du Père?
Mais que signifie amour, Père et fraternité pour ceux qui souffrent de l’absence d’un père ou au contraire de sa violence, de la maltraitance de leurs parents ou de leur famille?
Les personnes cabossées de la vie et celles en rupture avec leur famille, que nous accueillons souvent dans nos fraternités, nous confient les récits de leurs parcours chargés de souvenirs de souffrance. Elles savent que dans nos fraternités de la Mission populaire, elles trouveront un espace d’écoute où elles peuvent déposer un peu de ce fardeau de vie malmenée, auprès de personnes à qui elles accordent leur confiance et dont elles savent l’écoute sans jugement.
Comment parler alors avec eux de l’amour du Père quand pour celui à qui on s’adresse, son père n’est synonyme que de souvenirs de punitions et de violence?
Comment parler de l’amour du Père avec cette femme pour qui le sien est si difficile à aimer parce qu’il l’a mise à la porte le jour de ses 18 ans, le premier soir où elle s’est autorisée à rentrer après l’heure convenue?
Comment parler de l’amour du Père avec celle qui confie que sa première rencontre à l’âge de 16 ans avec le sien (qui lui était jusqu’alors inconnu) s’est terminée par un viol?
Comment parler d’amour du Père quand celui de cet homme l’a traité de raté, de bon à rien qui ne réussira jamais rien dans sa vie et que cela a contribué à sa descente dans l’enfer de l’alcool et la drogue?
Comment parler d’amour du Père à cet homme qui a été battu par son père parce qu’il refusait la répudiation de son épouse qui ne lui avait pas encore donné d’héritier après 6 ans de mariage?
Comment parler de l’amour du Père à celle qui aimait pourtant ses parents et les respectait jusqu’au jour où ceux-ci ont organisé son mariage forcé avec un homme qui avait deux fois son âge et qui ont cautionné son viol au nom de pratiques coutumières?
Et même, comment parler de l’amour du Père à un homme dont les mots cruels du sien ont détruit une partie de sa vie?
Paroles de colère
Un homme expliquait dans une émission à la télé qu’il avait tout pour être heureux, comme on dit: la notoriété, la réussite professionnelle, la richesse, la famille parfaite… Et qu’il avait pourtant plongé dans une profonde dépression, le conduisant à séjourner à plusieurs reprises en hôpital psychiatrique. De thérapie en analyses, il avait fini par mettre le doigt sur une des causes de sa dégringolade.
Il se souvenait d’une violente altercation avec son père lorsqu’il était jeune, allant jusqu’à la bagarre et par-dessus tout le submergeaient les paroles ravageuses de son père, le traitant d’incapable, de bon à rien, de raté qui ne fera rien de bon de sa vie. Des paroles de colère dites dans l’emportement ou réellement pensées et dans ce cas encore plus dévastatrices? Peu importe: elles ont été prononcées par un père à son fils, ces paroles horribles pour un jeune qui se cherche. Cet homme devenu adulte ne parvenait pas être heureux, malgré sa réussite sociale visible et reconnue. À chaque moment de réussite, quelque chose en lui l’empêchait d’être heureux et il se disait toujours que cette réussite était éphémère, qu’elle ne durerait pas et qu’un jour prochain, tout allait s’écrouler. C’est lui seul qui s’était écroulé, parce qu’il ne pouvait pas réussir, son père lui-même ne lui avait-il pas dit qu’il était un raté? Avec le temps et les soins, cet homme avait réussit à renouer avec son père, à entendre son pardon, à lui pardonner aussi et à retrouver un sens et un avenir à sa vie.
Combien d’entre nous ont été humiliés, blessés parfois par des mots semblables, marqués par un échec qui laisse à penser que ces paroles ravageuses étaient fondées? Mais qui de nous n’a jamais commis d’erreur ou échoué dans un projet, même minime?
Comme si de l’amour du père dépendait notre réussite.
Comme si un père ne pouvait pas aimer son enfant tel qu’il est.
Comme-ci pour plaire au père, il nous fallait être parfait.
Même dans nos cultures, à l’école, dans nos communautés religieuses, on retrouve parfois les mêmes pensées. Combien d’entre nous ont entendu un parent dire à un enfant venant fièrement annoncer les résultats d’un examen, d’une compétition ou autre devoir qui lui a valu une bonne note, une récompense ou juste un simple compliment: «Tu aurais pu encore faire plus ou mieux» ou même «Il ne faut jamais se contenter de ce que l’on a ou de ce que l’on est. Il faut toujours viser plus haut et mieux»?
Est-ce que le Père divin attend des hommes qu’ils soient parfaits? Est-il un père dur, qui juge et qui corrige, voire qui humilie ? Ou est-il un père qui encourage, qui rassure, qui instruit et qui accompagne ses enfants? Dans la Torah, la Bible ou le Coran, Dieu peut être les deux. Mais, je veux croire que le bon père est celui qui aime son enfant et qui est aimé de lui. Qu’il est ce guide qui l’aide dans ses choix et qui est à ses côtés dans toutes les épreuves de sa vie. L’amour de Dieu est celui d’un Père qui partage son Esprit avec tous ces enfants qui ont soif de fraternité, d’amour et qui ainsi découvre quel est le chemin à suivre avec leurs frères et sœurs.
L’amour est-il réservé qu’aux seuls croyants?
Dans nos fraternités se côtoyant des chrétiens, des musulmans, d’autres religions et aussi des athées. Pour autant, peu importe ce qui a conduit les uns et les autres vers nos frats. Ceux qui y ont trouvé leur place, ceux qui ont plaisir à partager, le font tous avec amour: amour de Dieu, amour des hommes, amour de la justice, amour de l’humanité, peu importe, du moment que cet amour se donne sans condition et sans attendre de retour. C’est cet amour qui conduit à plus d’égalité, de justice, de partage fraternel inconditionnel, de service de tous auprès de tous et plus particulièrement des plus fragiles, des plus vulnérables.
Cet amour n’attend ni remboursement, ni reconnaissance parce qu’aimer son frère, c’est être capable de laisser agir en nous ce qu’il y a de meilleur, que nous pensions que cela nous est donné par l’Esprit de Dieu ou pas, l’important est que l’amour nous permet de nous améliorer pour tenter de faire le bien, dans ce monde terrestre qui en a bien besoin.
C’est cet amour fraternel qui nous fait partager les fêtes de chacun et ainsi manger le pain du Ramadan offert par une grand-mère musulmane autant que les œufs de Pâques en chocolat apportés par ce couple de chrétiens aux enfants de la frat, ou découvrir tous ensemble les messages dans les gâteaux du nouvel an chinois organisé par une bénévole.
Et pour terminer, si j’avais une prière à adresser au Père, je lui dirais:
Père aide nous à être chaque jour des frères, des enfants qui partagent tout l’amour donné par toi.
Fais que nous puissions croire, sans chercher les preuves de ton existence, juste parce que tu fais battre en nos cœurs, ton amour.
Juste parce que tu as partagé avec nous ton Esprit et que depuis, nous avons confiance en ta force qui soutient nos pas.
Véronique Mégnin est bénévole à la Frat’Aire, fraternité du Pays de Montbéliard.
Illustration: détail du Retour du fils prodigue (Rembrandt, vers 1668, Musée de l’Ermitage, Saint-Petersbourg).