Le Covid: la grippe de l’intelligence - Forum protestant

Le Covid: la grippe de l’intelligence

«Les uns me trouvent trop complice du gouvernement, les autres me prennent pour un kamikaze.» Il est difficile en ce moment de garder une position «de bon sens» entre les «complotistes» et les «ultra-sécuritaires» tant les «incohérences», les «paniques» et les «hostilités» dominent. Il est surtout difficile, selon Philippe Malidor, d’éviter que celles-ci n’«abîment notre vie spirituelle» et «nous rendent insensibles à tout sauf à une chose: notre survie individuelle» au lieu de faire profiter nos sociétés de «l’intelligence que Dieu aura renouvelée, oxygénée en nous».

 

«Aujourd’hui, tout le monde a peur de tout le monde.»
Laurence Muller-Bronn, sénatrice

Le Covid s’installe dans la durée. Pire: il fait semblant de s’en aller, puis il revient, sous d’autres formes. Nos gouvernements prennent des mesures divergentes entre eux, changent de doctrine perpétuellement, serrent l’étau puis le redesserrent, ont des attitudes publiques incohérentes (masque sur un podium isolé, pas de masque en conversation rapprochée, etc.), promulguent des mesures souvent absurdes, donnent l’impression d’errer tout en s’affichant très sûrs d’eux, musellent leurs parlements, censurent les voix dissonantes même diplômées. Dans ces conditions, comment penser et agir en chrétien bien inspiré?…

 

Les tensions montent

Étant personnellement pris entre les complotistes qui vont jusqu’à parler de «soi-disant pandémie» (comme la sénatrice citée en exergue, par ailleurs très intéressante) et les ultra-sécuritaires qui imposent leur panique à leur entourage jusqu’à l’étouffement psychologique et même physique, je me trouve dans une situation très inconfortable. D’autant plus inconfortable que je n’ai pas de certitudes bétonnées sur le Covid et sur ce qu’il convient de faire pour l’enrayer. Les uns me trouvent trop complice du gouvernement, les autres me prennent pour un kamikaze. J’essaye de diversifier mes sources d’information, j’observe ce qui se passe, je m’efforce de comprendre, je tente surtout de faire preuve de bon sens. Or, celui-ci n’est pas la chose la mieux partagée. J’en donnerai quelques exemples flagrants.

Récemment, je me suis fait tancer dans une réunion parce que, dans une pièce bien ventilée par un bon feu de bois, à trois mètres de distance des autres, je n’avais pas jugé utile de porter le masque. Quelques autres, qui avaient imité ma «désinvolture» lors d’une précédente réunion dans le même lieu, n’ont pas osé me soutenir, et nous avons subi le diktat de la personne qui, depuis deux ans, nous tyrannise par sa frayeur personnelle. Elle jouit d’une excellente santé, et elle n’a d’ailleurs pas (encore) été frappée par le Covid malgré des failles importantes dans ses gestes-barrière, dont certaines figurent dans la liste énumérée ci-dessous.

J’observe, disais-je. Après cette réunion, j’ai photographié mon écran de télévision. J’avais remarqué que, dans les débats vespéraux, les mesures de précaution avaient beaucoup varié et étaient devenues très cool. J’ai photographié ma télé sur trois chaînes différentes, dont deux sont de service public (j’aurais pu en sélectionner d’autres, notamment ces émissions-poubelles où on se postillonne copieusement avec un niveau d’échanges même pas digne d’un comptoir de bistrot). Le cas de France Info est intéressant. Au début, il y avait les masques (que, d’ailleurs, une certaine journaliste enlevait pour parler, ce qui est absurde). Puis pas de masques mais des séparations en plexiglas. Aujourd’hui, il n’y a ni masque, ni plexiglas, ni distanciation entre les invités! On a même vu Gabriel Attal intervenir mi-décembre sans masque sur France Info malgré les propos alarmistes du gouvernement sur le variant Omicron. Des épidémiologistes ont préconisé une distanciation d’au moins un mètre entre les gens. À la télé, ce serait plutôt 50 cm sans masque. Mais où sont les clusters télévisuels?…

 

Oublier d’être chrétien

Toutes ces incohérences donnent à réfléchir sur la véracité de ce qu’on annonce (simple recrudescence? explosion des cas? contaminations bénignes ou mortelles, et dans quelles proportions? etc.). Or, ces incohérences, ces paniques et les hostilités qui montent dans nos sociétés commencent à atteindre nos Églises de l’intérieur. Elles abîment notre vie spirituelle. Elles nous rendent insensibles à tout sauf à une chose: notre survie individuelle. Rappelons tout de même que le Covid a causé 0,06% de morts, contre 51% pour la Peste noire de 1347-1351 (1). Tout le monde a oublié (un exemple entre mille) que Zurich fut frappée par la peste en 1519, ce qui n’empêcha pas le Réformateur Zwingli de continuer à s’occuper de ses ouailles, d’attraper lui-même la peste… et d’en réchapper. Voilà de quoi remettre en perspective ce Covid qui, certes, n’est pas une grippette mais dont les ravages bien réels sont cependant sans commune mesure avec ce que le monde a connu de multiples fois.

Ça, c’est un préambule pour attirer notre attention sur ceci: on ne peut pas admirer François d’Assise avec son baiser au lépreux, s’apitoyer sur le sort des lépreux dans la Bible, célébrer l’attitude de Jésus par rapport à ces réprouvés (qui, eux, étaient très contagieux!) et aller jusqu’à traiter nos propres frères et sœurs non-vaccinés comme des lépreux ou des pestiférés même quand ils viennent masqués et risquent leur vie davantage que la nôtre. Ces mêmes non-vaccinés ont pourtant le droit d’aller faire leurs courses dans les supermarchés (dont l’air est autrement plus saturé que celui de nos temples) mais à l’église, ils n’auraient pas le droit de rester déjeuner pour participer à un après-midi catéchétique (2) sans devoir présenter leur pass sanitaire à un membre de la communauté! «Ausweis, bitte! Tu es une menace pour le groupe.» Se faire le policier de ses frères et sœurs, soit par crainte des autorités, soit par frayeur personnelle, ce n’est pas acceptable, surtout quand la communauté est réduite à une vingtaine de personnes, en attendant pire. Dans beaucoup d’Églises, la participation aux réunions s’est beaucoup réduite et, à ce train-là, cela va s’aggraver. Nous aurons cru sauver nos corps, mais nous serons… morts spirituellement.

Je comprends beaucoup mieux maintenant cet étrange proverbe de l’Ecclésiaste (7,16): «Ne sois pas juste à l’excès…». Qu’on applique les gestes-barrière préconisés par le gouvernement, j’en conviens. Mais on peut les adapter au contexte, on a le droit (ou on le prend) d’être intelligent. Vous vous souvenez de cette ahurissante jauge de 30 personnes par lieu de culte (qu’il s’agisse d’une cathédrale ou d’une petite salle évangélique) imposée l’an dernier par notre gouvernement, sans que personne n’ait pu (ou voulu…) retrouver qui avait pondu une mesure aussi imbécile. À l’époque (3), j’avais soutenu nos amis catholiques qui s’étaient insurgés et qui avaient fait rapporter cette décision injustifiable. On peut se demander ce que sont notre espérance et notre spiritualité si nous sommes plus sécuritaires que nos autorités. Nous devons prendre soin les uns des autres, certes; les précautions sont un acte chrétien, certes; mais le risque zéro est illusoire et nous pousse à des comportements choquants et même irréfléchis.

On devient disciplinaire en matière sanitaire là où on a cessé de l’être en matière spirituelle. Dans la tradition chrétienne, et même réformée, on devrait pouvoir refuser la Sainte Cène à quelqu’un sur qui on est assez renseigné pour savoir que sa vie est en grave incohérence avec sa foi. Nous connaissons de tels cas. Mais qui de nous oserait le faire? D’abord, il faudrait agir à coup sûr; ensuite, nous sommes tous pécheurs. Mais le moins que l’on puisse dire est que ceux qui ont la charge du culte (j’en fais partie) n’ont plus guère de courage à cet égard. Personnellement quand j’officie, je contourne la difficulté en rappelant (selon notre liturgie) que la communion doit se prendre dans la foi au Christ; à chacun de s’examiner devant Dieu (4).

Aussi – et je fais là une proposition concrète –, pourquoi ne procéderait-on pas de même pour le Covid: demander aux personnes non-vaccinées de se placer devant Dieu et de prendre de grandes précautions par rapport aux autres; renvoyer chacun à sa responsabilité personnelle sachant

1) que le risque réel est assez minime;

2) qu’il faut tenir compte du contexte (taille de la ville, de la communauté, des locaux, etc.).

 

Festival d’absurdités

L’effort devrait aussi porter sur la cohérence de nos précautions physiques. Je ne prétends pas qu’elle soit atteignable absolument, mais il faudrait remédier à ce que, depuis bientôt deux ans, j’ai systématiquement constaté en matière de comportements absurdes dans toutes (je dis bien: toutes) les réunions auxquelles j’ai participé:

masques enlevés à la fin de la réunion proprement dite, au moment où tout le monde se lève et se relâche, et discussions à visages rapprochés, ce qui réduit à néant les heures d’efforts précédents;

masques enlevés au moment de l’éventuelle collation finale (évidemment) et sans la moindre distanciation;

masques enlevés ou tirés pour parler ou chanter;

masques gardés quand on est assis et silencieux, et enlevés quand on parle derrière un rang de personnes qu’on arrose de ses postillons alors que ce serait exactement le contraire qu’il faudrait plutôt faire.

Malgré cela, il est presque amusant (en tous cas réjouissant) de constater que les rencontres où ont été faites ces observations n’ont suscité aucun malade. Dans la communauté à laquelle je pense, nous avons eu trois malades du Covid; le premier l’a attrapé à l’hôpital (sans commentaire…); la deuxième dans son métier d’infirmière; la troisième par son mari médecin. Ces personnes (dont une de 82 ans) ont très bien surmonté l’épreuve et n’ont contaminé personne. Les précautions, même mauvaises, que nous avons prises, ont fonctionné. Le feront-elles toujours? Ce n’est pas certain. Mais ce qu’on peut conclure de ces expériences, c’est:

1) qu’il est aberrant de s’infliger des gestes-barrière si on ne le fait pas de manière rationnelle;

2) que cette épidémie bien réelle n’est cependant pas aussi épouvantable qu’on le dit.

Évidemment, les autorités, qui sont responsables des populations (et qui ont peur des procès) sont dans leur rôle en jouant la sécurité. Mais les autorités de nos Églises locales doivent être à la fois respectueuses des autorités civiles tout en ne s’interdisant pas un peu d’humanité et de souplesse.

 

Pour une intelligence renouvelée

D’ailleurs, une vérité covidienne en France n’est pas la même en Autriche, en Allemagne, en Angleterre ni au-delà des Pyrénées: cela devrait nous pousser à prendre un peu de hauteur et de recul. Ce n’est pas l’Élysée qui est le Chemin, la Vérité et la Vie (cf. Jean 14,6). Quand nous faisons Église, nous professons que nous avons un Seigneur, que nos vies et celles des autres sont dans sa main. On fait ce qui est raisonnable, et ensuite, à la grâce de Dieu.

Il faut prendre garde à ne pas réquisitionner les textes bibliques pour défendre une cause. Il y en a toutefois deux qui me hantent. D’une part, Romains 14, qui traite des cas de conscience et des rigidités légalistes qui peuvent faire chuter un frère ou une sœur. Compromettre la communion fraternelle avec telle personne qui ne veut pas se faire vacciner (et même si nous trouvons ses raisons mauvaises), c’est grave. Je m’empresse de dire que ce texte peut inciter, inversement, des chrétiens non-vaccinés à se faire piquer par égards pour les autres. Relisons ce texte et plaçons-nous chacun devant Dieu afin de nous mettre à son écoute et de repérer ce qu’il attend de nous.

Mais il y a surtout ce magnifique verset de Romains 12,2:

«Ne vous conformez pas à ce monde-ci, mais soyez transfigurés par le renouvellement de vos intelligences, pour discerner quelle est la volonté de Dieu: ce qui est bon, agréé et parfait.»

Ce texte est un pur joyau. Le verbe grec pour se conformer pourrait se traduire par se mettre dans le même schéma, et l’expression pourrait se rendre ainsi: «Ne vous modelez pas sur l’air du temps». Ensuite, si Paul parle de renouvellement de l’intelligence, c’est que celle-ci a une fâcheuse tendance à se schématiser, à tourner en boucle sur ses acquis, ou à se scléroser sur ses peurs. La panique abolit tout jugement, les foules sont stupides et dangereuses; parfois, il y a plus de morts provoqués par un piétinement que par l’incendie que l’on voulait fuir. Combien de dommages collatéraux au Covid? Combien de femmes massacrées dans le huis clos des appartements, d’enfants déscolarisés, de jeunes psychiatrisés, de chefs d’entreprise suicidés, de vieillards morts de chagrin, d’Églises en perdition? Respectons le gouvernement, mais n’en faisons pas l’oracle souverain de la vérité ultime. C’est la volonté de Dieu que nous avons à discerner, ce qui, en retour, pourrait nous amener, nous chrétiens, à faire bénéficier la société et même ses gouvernants de l’intelligence que Dieu aura renouvelée, oxygénée en nous.

Je suis bien conscient du côté subversif de ces propos. Depuis quelques années, on a vu comment certains manient bombes et mitraillettes en se croyant inspirés d’en-haut. Il ne s’agit pas de s’opposer aux autorités, qui font ce qu’elles peuvent, mais de travailler avec elles (ce qui se fait quand même un peu, que ce soit dans le catholicisme, dans le protestantisme, dans le judaïsme et dans l’islam républicain). Sur le Covid, les croyants ont des éléments constructifs à apporter. Et ce que dit l’apôtre Paul, c’est que la foi peut rendre intelligent…

 

Illustration: débat (sans masques) sur le Covid dans ‘Les Informés’ sur France Info.

(1) Claire Jenik, Les pandémies les plus meurtrières au fil du temps, Statista, 16 novembre 2021.

(2) Cultuel, donc pass non obligatoire…

(3) Philippe Malidor, Curée contre les cathos, 17 novembre 2020.

(4) Cf. 1 Corinthiens 11,27-29, certes dans un contexte très différent du nôtre. Le verset 30 ne manque pas de piquant dans la période que nous vivons…

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