Comment nous reconnecter au vivant - Forum protestant

Comment nous reconnecter au vivant

«Qu’est-ce que le ‘vivant’ et la ‘nature’ pour moi? Quels ont été nos rapports jusqu’à maintenant? Et qu’est-ce que cela m’apporte d’y prêter une attention nouvelle?» Pour Jean Hassenforder (qui en rend compte ici), l’enquête d’Anne-Sophie Novel «est une ressource majeure» pour apprendre «la biodiversité concrètement».

Texte publié sur Vivre et espérer.

 

Nous savons que l’humanité est menacée par l’oppression qu’elle exerce sur la nature et par les conséquences qui en résultent: le dérèglement climatique et le recul de la biodiversité. Nous en sommes troublés, inquiets, angoissés. Mais, dans notre société urbaine, n’avons-nous pas perdu également notre connection avec le vivant, avec la nature? Loin de la symbiose avec la nature qui s’établit, de fait, dans les sociétés rurales d’autrefois, ne sommes-nous pas aujourd’hui devenus prisonniers d’une vie qui tourne sur elle-même sans ce contact réel avec le vivant sauvage, c’est-à-dire ce qui ne nous est pas soumis? C’est ainsi qu’un livre d’Anne-Sophie Novel vient nous surprendre: L’enquête sauvage (1). Si nous apprenions à nous retrouver avec le vivant, avec la nature, nos engagements écologiques seraient d’autant plus profonds qu’ils seraient l’expression de toute notre personnalité, à la fois de la tête et du cœur. Anne-Sophie Novel nous propose un voyage pour nous plonger dans la nature sauvage en apprenant à écouter, à observer, à ressentir, à s’ensauvager. A partir de là, c’est un nouveau genre de vie qui émerge, un terreau fertile pour l’engagement écologique.

À plusieurs reprises, nous avons rencontré Anne-Sophie Novel, militante écologiste et pionnière d’une économie collaborative. Nous avons rapporté son livre visionnaire Vive la co-révolution. Pour une société collaborative (2). Journaliste indépendante, spécialisée dans les questions d’environnement et d’écologie, Anne-Sophie Novel, anime un blog: Même pas mal (3), et collabore à plusieurs organes de presse.

 

Un besoin vital

L’attention pour le vivant est au cœur de cette recherche: «Le vivant. Là est justement le sujet de cet ouvrage, un sujet mis à l’index par notre système politico-économique, car jugé trop ‘fleur bleue’, bien léger et ‘bisounours’ dans une civilisation où la recherche de vitesse, d’efficacité ou de profit génèrent de multiples violences» (p.8). Mais de fait, c’est bien une question prioritaire qui nous concerne tous car, «cette rupture avec le vivant porte atteinte à tous… Et en particulier à celles et à ceux qui n’ont pas les moyens de se ressourcer régulièrement en pleine nature, de réinventer leurs vies loin des bouchons et du béton. Sans un nouveau rapport avec le vivant, notre civilisation occidentale va droit dans le mur. Et les plus fragiles d’entre nous en premier» (p.8). Anne-Sophie Novel a donc écrit un livre pour nous permettre de nous reconnecter au vivant et à la nature. Nous voici aujourd’hui en présence d’une «quête universelle»:

«Reconnecter nos vies et notre société à la nature est devenu une urgence vitale pour faire face aux crises écologiques et climatiques, pour enrayer l’extinction du vivant et renverser le modèle de développement dominé par les marchés financiers – et pour faire face aux dommages sociaux qu’ils engendrent. Il faut faire une force des interdépendances entre notre espèce et toutes les autres, la base d’un nouveau contrat social entre humains, et aussi entre humains, animaux et plantes. Il nous faut apprendre à nous appuyer sur la nature et les ressources qu’elle offre sans chercher à seulement la contraindre, la souiller ou l’épuiser. Il nous faut bâtir un monde pour tous avec des espaces naturels, sinon sauvages pour nous ressourcer» (pp.8-9).

 

Un nouveau point de départ

Une opportunité s’est offerte à Anne-Sophie à l’occasion du confinement du printemps 2020: elle s’est décidée à écrire à partir d’un nouveau genre de vie. En effet, «elle s’est arrachée à la ville comme on arracherait une ‘mauvaise herbe’, presque machinalement, par la force des choses». Avec ses deux enfants, Adèle (10 ans) et Ulysse (5 ans), elle a «pris refuge sur la terre natale de son époux, Nicolas, dans une maison de famille conçue comme une grande cabane camouflée par les chênes en lisière de forêt… Loin de me réduire à néant, ce déracinement forcé en mars 2020 s’est révélé être une renaissance» (p.18).

Cette expérience nouvelle a été décisive: «J’ai surmonté mes peurs. Je me suis reconnectée. J’ai réveillé en moi, des souvenirs, un vécu. Je me suis enracinée tout en me déployant autrement». C’est à partir de cette expérience qu’Anne-Sophie a trouvé un nouvel élan pour s’engager dans une enquête où elle n’a pas seulement consulté de nombreux militants, innovateurs et experts, mais, en même temps éprouvé et exprimé de nouveaux ressentis personnels. Il lui a été donné ainsi de vivre une aventure qui lui a permis «d’adopter un œil neuf pour rejoindre la nature autrement, de grandir avec elle, de renouer avec le vivant» (p.19).

«Guidée par de nouvelles envies, par une autre écoute, par des questions que je n’avais jamais explorées aussi profondément, j’aspire à comprendre intimement ce que cela signifie… Qu’est-ce que le ‘vivant’ et la ‘nature’ pour moi? Quels ont été nos rapports jusqu’à maintenant? Et qu’est-ce que cela m’apporte d’y prêter une attention nouvelle?» (p.19).

 

Le mouvement d’une enquête et l’architecture d’un livre

Ainsi, dans ce livre, Anne-Sophie Novel nous invite à la suivre dans une «enquête sauvage» composée de lectures, de réflexions personnelles, d’expériences et de nombreuses rencontres sur le terrain. Cet ouvrage est particulièrement dense et cette densité exclue tout compte-rendu détaillé. En voici donc l’architecture et le mouvement comme elle nous en donne la trame. Dans un premier mouvement, au travers d’une expérience qui met en œuvre tous les sens, Anne-Sophie se connecte au vivant et à la nature: «Dans la redécouverte du vivant, il m’a fallu tendre l’oreille dans un premier temps» (chapitre Écouter), puis «ouvrir les yeux et changer de regard» (chapitre Observer) avant de commencer à «éprouver vraiment les bienfaits de la nature» (chapitre Ressentir). Plus avant, «j’ai cherché à surmonter mes peurs et mes angoisses pour entrer pleinement dans le monde sauvage et me regarder autrement» (chapitre S’ensauvager). À partir de là, Anne-Sophie Novel peut envisager autrement la transformation urgemment requise par la transition écologique: «plongeant dans nos racines profondes, j’ai considéré sous un autre prisme le soin apporté au monde végétal» (chapitre Cultiver), avant de «m’interroger sur nos façons d’habiter le monde» (chapitre Cohabiter), des conflits d’usage aux nombreuses solutions et initiatives pour protéger le vivant; «j’en viens aux luttes et aux procédés sémantiques et juridiques développés par de multiples gardiens et gardiennes de la terre» (chapitre Lutter). Et «je pars à la rencontre d’éducateurs et de professeurs passionnés, mais aussi de naturalistes amateurs… qui s’engagent au quotidien à transmettre leurs découvertes et leurs solutions pour préserver l’essentiel» (chapitre Transmettre).

 

À l’écoute

En lisant le premier chapitre ‘Ecouter’ (donc un point de départ), on comprend l’approche de Anne-Sophie Novel. Celle-ci apparaît clairement dans l’avant-propos du chapitre:

«Si l’on comprend que se taire permet de faire le premier pas vers la vie sauvage

Où l’on doit lâcher prise pour accepter l’inconnu et développer un autre type d’attention

Où l’on est subjugué par un sentiment océanique en pleine forêt

Où l’on se laisse guider par les oiseaux pour entrer dans la phonocène» (p.21).

Anne-Sophie nous rapporte ses expériences de marche en silence dans la nature. Et, par exemple, une «marche main dans la main et à l’aveugle». Au total, «c’est une façon de se mettre au diapason. Il faut accepter de se taire, de ne plus rien dire, ne rien formuler, ni attendre, se laisser porter et tout oublier pour revoir tout autrement. Là où avant, j’entrais sans crier gare, sans cesser de bavarder lors de balades ou de randonnées, maintenant je marque le pas, je ralentis, je baisse la voix, j’essaye d’avancer en chœur» (p.22).

Dans une expérience de marche silencieuse en Gironde, Anne-Sophie réalise une balade sensorielle grâce à l’organisatrice, Magali Coste, écothérapeute. Au-delà de l’exercice des cinq sens les plus connus, elle apprend la complexité de la perception. C’est la découverte de «la proprioception (ou perception, consciente ou non, des différentes parties du corps), l’équilibrioception (ou sens de l’équilibre), la thermoception (ou sens de la chaleur et de l’absence de chaleur)…» (p.23).

Dans son nouveau lieu d’habitation au printemps 2020, Anne-Sophie, qui préférait la mer, a découvert la campagne. Elle nous raconte une ballade avec sa famille dans la forêt voisine: «Nous marchions depuis plusieurs heures lorsque nous avons débouché sur une clairière dont je ne connaissais pas l’existence. Il faisait doux, le temps était magnifique, les herbes étaient très hautes, une brise y dessinait des ondes de douceur. Un instant magique… À chaque pas, s’ouvraient à nous de magnifiques orchidées sauvages, de somptueux papillons tout petits tout blancs et nous savourions un moment suspendu quand un souffle inattendu vint nous surprendre…» (p.27). Anne-Sophie sursaute et interroge à ce sujet son mari Nicolas: «C’est le vent dans les arbres, le ballet de la canopée. Je suis subjuguée par le spectacle de ces éléments… C’est non seulement beau, mais tellement évident. Comment n’avais-je pas perçu auparavant la beauté de cette écume végétale? Le vent dans ces feuillages me fait un bien fou, je le savoure, respire profondément. En moi, ce jour là, s’est passé quelque chose. J’ai été happée, comme appelée, profondément captivée. J’ai senti pousser une autre nature, insoupçonnée, indispensable…» (pp.27-28).

Un autre aspect de l’écoute, c’est le chant des oiseaux. Anne-Sophie y accorde beaucoup d’importance dans ce chapitre: «La nature m’a toujours parlé et le chant des oiseaux tient, en la matière, l’essentiel de la partition. C’est d’ailleurs un trait commun à de nombreux naturalistes et amoureux de la nature que d’avoir été orientés par ces sirènes» (p.29). Comme c’est le cas tout au long de ce livre et ce qui contribue à en faire la grande richesse, Anne Sophie Novel part à la rencontre de ces chercheurs pour nous faire part de leurs découvertes. Et ainsi, elle interroge l’audio-naturaliste Fernand Deroussen «pour tenter de mieux comprendre les ressorts de l’écoute dans l’appréhension du vivant». Et celui-ci lui dit: «Les oiseaux me passionnent, ils sont incontournables, mais en forêt, on ne les voit jamais. C’est ainsi que j’ai commencé à être attentif à leurs chants…». Son approche débouche sur «la conscience de faire partie d’un tout»: «Dans la nature, les espèces se comprennent, il y a un langage universel, un langage d’écoute des autres formes de vie. Hélas, l’homme a perdu ce langage, l’humain ne vit que pour l’humain». À la différence des bioacousticiens, Fernand récolte les sons à des fins artistiques: «On doit connaître ce qu’on écoute, forcément, mais je me préoccupe plus de l’émotion et de la beauté» (p.29).

Anne-Sophie est maintenant sensible aux sons. Elle écoute tous les bruits de la nuit. Et elle a remarqué le bruit de fond émis par les activités humaines et si dérangeant. Les biologistes ont commencé par étudier cette pollution sonore et à en mettre en évidence les méfaits: «À court terme, le bruit chasse les pollinisateurs et les insectes» (p.32). Elle a même une incidence sur la végétation en réduisant le nombre de jeunes pousses… En 1962 déjà, Rachel Carson alertait sur Le printemps silencieux: «Nous sommes tellement bruyants que nous n’entendons plus la vie autour de nous» (p.33).

Anne-Sophie a également rencontré Frédéric Giguet, un éminent ornithologue, professeur au Muséum national d’histoire naturelle: «Pendant quinze ans, Frédéric Giguet s’est occupé du ‘Suivi temporel des oiseaux communs’. Fasciné par les oiseaux depuis le plus jeune âge (à six ans, il demandait déjà à ses parents d’aller en Camargue pour voir les flamants roses), cet ornithologue sait à quel point les oiseaux sont d’excellents indicateurs de l’état de santé des écosystèmes» (pp.34-35). Ainsi, le programme Oiseaux des jardins, lancé en 2012, afin d’impliquer le public dans le décompte des oiseaux, a toute sa raison d’être.

Anne-Sophie nous raconte également sa visite au Jardin des murmures de Magali Costes, «composé d’une prairie, d’une bambouseraie, d’un jardin médicinal et d’un petit vallon traversé par un ruisseau» (p.38): «Ces espaces très divers facilitent la reproduction de nombreux oiseaux»; «Nous sommes ici dans une communauté reconnue comme telle où le moins que l’on puisse faire pour ménager la vie commune, c’est de ne rien faire». Et Magali Coste, amoureuse des oiseaux, sait partager sa passion: «Nous comprenons grâce à elle que le plumage des oiseaux change chaque année, qu’ils le nettoient… Les mésanges sont même de véritables herboristes capables de ramener dans leurs nids de la lavande, de la menthe, du camphrier ou de l’immortelle dont les propriétés aromatiques ont des propriétés fongicides et insecticides qui leur sont très utiles» (p.39).

Anne-Sophie poursuit son enquête en rencontrant Grégoire Loïs, ornithologue responsable du programme Vigie-Nature du Muséum d’histoire naturelle. La conversation se porte notamment sur les aptitudes extraordinaires des oiseaux migrateurs: «Avec lui, je réalise que les volatiles sont des messagers précieux. Ils ont parcouru des milliers d’années pour arriver jusqu’ici. Ils sont dotés de compétences ‘surhumaines’ et savent parcourir des distances phénoménales»; «L’oiseau n’est pas perché. Il est ancré. C’est un trait d’union entre le ciel et la terre, à travers les âges, à travers les espèces» (p.40). Dans cette conversation, le regard d’Anne-Sophie sur les volatiles «a fini par se transformer totalement» (p.39).

 

Défendre la puissance de la vie

Et si on élargissait encore l’angle de vue? «La philosophe Viviane Despret questionne le comportement des volatiles en s’appuyant sur les travaux des ornithologues». Elle force le trait: «Je me dis qu’on a peut-être affaire à des compositions, voire à des partitions – au sens musical. On peut même aller plus loin et se dire que ce qui intéresse les oiseaux, ce sont les relations avec les autres oiseaux/congénères, et finalement pas des histoires de reproduction, de territoire à défendre ou à conquérir, etc.» (p.41). Et «riche des observations ornithologiques qu’elle a étudiées, elle les remet dans le sensible, dans l’étoffe du ressenti, et nous invite à inscrire notre époque… sous le signe du ‘Phonocène’, entendu comme une ère où on va devoir entendre les sons de la terre».

«Avec l’ouïe, on est dans un rapport plutôt de curiosité. On est en quête de réel. Entrer dans le phonocène, c’est se mettre dans d’autres systèmes par rapport à la vérité qui produisent plus de réel, qui sortent de l’idée que l’humain est exceptionnel, notamment parce qu’il a le langage…» (p.42).

Anne-Sophie Novel rappelle qu’une proposition de loi pour «protéger le patrimoine sensoriel des campagnes» a été votée définitivement par le Parlement français en janvier 2021.

Toutes ces découvertes n’ont pas épuisé la curiosité d’Anne-Sophie Novel qui nous dit poursuivre sa recherche par des observations personnelles et par l’exploration des ressources d’internet.

Nous venons de rapporter la richesse du chapitre ‘Ecouter’, tant par l’expression des ressentis de l’auteure que par une enquête soutenue auprès des meilleurs experts. Et ce n’est que le premier chapitre! C’est dire combien ce livre est une ressource majeure. Nous y apprenons la biodiversité concrètement et sur toutes les coutures. Anne-Sophie Novel déploie dans ce livre une recherche active qui nous entraine dans un mouvement de vie en phase avec le vivant.

Dans la conclusion de ce livre, elle rappelle son intention: «Aujourd’hui, il nous faut défendre la puissance de la vie contre la logique mortifère des lobbies. Et comprendre que le monde sauvage incarne tout ce à quoi nous avons renoncé: la liberté, l’autonomie et la connaissance parfaite de notre environnement. La nature est un espace d’enseignements illimités: elle nous apprend la patience, la résilience et l’adaptation, elle nous apprend à jouir des mille ressources qu’offre le monde vivant et à lutter pour qu’il demeure ainsi» (p.232). Tout au long de ce livre, elle a bien suivi cette piste. Elle peut ainsi continuer à nous appeler à un mouvement concret: «Passez le plus de temps possible au grand air au contact de tous les êtres qui palpitent, des roches, des cours d’eau, du vent… Soyez libres, enracinés et riches de la diversité qui vous entoure, dans cette puissance spontanée (et gratuite) du vivant…» (p.233). Anne-Sophie Novel ouvre pour nous un horizon et une dynamique.

 

Illustration: oiseaux migrateurs (photo Avsolov, CC BY-SA 4.0).

(1) Anne-Sophie Novel, L’enquête sauvage. Pourquoi et comment renouer avec le vivant. Salamandre (Colibris), 2022.

(2) Jean Hassenforder, Une révolution de l’être ensemble, Vivre et espérer, 8 juillet 2013. Voir aussi: Anne-Sophie Novel, militante écologiste et pionnière de l’économie collaborative, Vivre et espérer, 30 novembre 2014.

(3) Le blog d’Anne-Sophie Novel: Même pas mal! Partage d’alternatives pour mode de vie en temps de crise.

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