Vieillir, ça s’apprend?
«Une dame de 84 ans» participe à un stage de Marie de Hennezel «pour apprendre à bien vieillir» et raconte ce que cela a changé pour elle.
Texte publié dans le cahier du Christianisme social Place aux vieux! du numéro 2022/1 de Foi&Vie.
Vieillir est l’affaire de toute vie, dès la naissance, et c’est l’avenir de chacun. Pourquoi est-ce réputé si difficile? Est-ce que ça l’est vraiment? Ces questions, je ne me les suis pas vraiment posées avant d’être septuagénaire mais les rangs commençaient à s’éclaircir dans mon entourage, mon paysage intérieur était moins riant. Et puis un jour, devant une jeune femme enceinte, je me suis soudain sentie désemparée, comme une sorte d’enfant encore à naître, ignorante à son image, de mon à venir. Vertige. Quelle marge de manœuvre avais-je encore, quelle maîtrise? Ce fut une période de grand deuil comme on disait autrefois, de vrais deuils surtout, mais aussi du deuil d’une jeunesse qui pourtant ne m’avait pas jusque-là préoccupée outre mesure.
À l’époque, l’injonction à bien vieillir était à la mode. Pourquoi pas? Mais comment? François Mitterrand, lui, à la fin de sa vie, s’était fait aider par une psychologue et psychothérapeute réputée, Marie de Hennezel, connue entre autres pour avoir longtemps exercé en soins palliatifs auprès de mourants. Parallèlement, celle-ci proposait des séminaires Pour apprendre à bien vieillir. La qualité de la personne me paraissant une garantie, je m’inscrivis. Je ne le regretterai pas.
D’abord apprivoisons nos peurs
«Je ne veux pas ressembler à ma mère/mon père. Alzheimer et consorts me terrorisent, je n’ai pas envie de peser sur les miens.» La maladie, les chutes, la dépendance, l’exclusion, l’approche de la mort, la liste est longue de nos peurs.
À bien y regarder pourtant, il n’y a pas de fatalité. Le pire n’est jamais certain, l’alternative vieillesse-naufrage ou vieillesse-croissance existe vraiment et les vieux merveilleux aussi, tels Stéphane Hessel, Michel Serres, Edgar Morin, Sœur Emmanuelle – tous personnages à qui nous voudrions bien ressembler – mais aussi tout simplement dans notre entourage, telle cette dame de 95 ans, totalement aveugle, vivant pourtant seule chez elle, pleinement confiante en l’entourage dont elle a besoin chaque jour, présente à eux comme à tous les autres et belle en son âme au point qu’on lui rend visite avec plaisir. Qui ne connaît ou n’a connu une grand-mère tellement intéressante, un grand-père si bon? Et cette vieillesse-croissance pourrait bien, à entendre Marie de Hennezel, être une responsabilité de chacun pour changer une société qui nous renvoie une image désastreuse du vieillissement. Il y a urgence, encore aujourd’hui, puisque ce qui était vrai alors l’est hélas toujours. Cela s’appelle l’âgisme, une forme de racisme anti vieux, inconscient mais bien réel, que nous devons combattre de toutes nos forces. Car il mine notre société. La vieillesse-croissance donc… malgré la vulnérabilité. Dans cette optique, déjà, vieillir est plus acceptable. Et quand c’est une responsabilité, ça devient vraiment intéressant.
Conscients de notre mortalité, ne laissons pas d’ardoise
La peur de mourir imprègne notre peur de vieillir. La peur de souffrir pour mourir. Nous aurons une journée entière pour oser regarder en face cette peur-là. Marie de Hennezel s’étant longtemps consacrée à l’accompagnement des personnes en fin de vie parle d’un lâcher-prise en douceur, comme d’une bougie qui s’éteint. Elle détaille aussi la loi Léonetti Droits des malades en fin de vie, parle de soins palliatifs afin que le mourant ne souffre pas et ne soit pas abandonné.
Elle évoque les Amérindiens, qui imaginent un oiseau perché sur leur épaule gauche, leur demandant «et si c’était pour aujourd’hui?». De l’importance d’être prêt. Il faut en parler avec ses proches. Il faut par exemple désigner une personne de confiance qui pourra indiquer aux médecins la position de la personne malade empêchée, sa volonté de non-acharnement et de soins palliatifs, demander une sédation qui apaise, détend et favorise une mort tranquille.
Elle rappelle l’importance de ne pas laisser d’ardoise, d’être en paix avec soi-même et la vie qu’on a eue, en règle avec les autres. Lister regrets, rancunes, remords, les régler du mieux qu’on peut pour les oublier. S’alléger en somme pour plus de sérénité. Sérénité propice à une mort plus simple et douce. Dans ces domaines, on peut se faire aider pour faire le ménage en soi. «L’écoute d’un psychologue peut éclairer», dit Marie de Hennezel.
Un testament spirituel ? Elle ne nous demandera pas d’en parler – trop intime – mais d’y réfléchir, de l’écrire comme si nous n’avions plus qu’un jour ou même une heure à vivre. Quel sera-t-il ? Pour qui l’écrirez-vous? Je me rassure tout en m’essayant à l’exercice: si je le fais, c’est que je suis bien en vie, pas menacée là tout de suite. Et j’en souris intérieurement. Reste que l’exercice, utile, n’est pas facile. Il résonnera longtemps après la fin du séminaire.
Acceptons pertes et mutation et trouvons le vrai grain de nos vies
Progressive, la vieillesse implique des pertes qu’il nous faut accepter. La vue et l’ouïe qui baissent, la souplesse moindre, les forces qui diminuent, sans parler de la mémoire qui flanche, c’est bien connu. Et pourquoi me regarder encore dans une glace? Je dois passer du corps que j’ai, objectivement, au corps que je suis, intérieurement, et cesser d’être dans l’apparence. Y ai-je été?
Il me faut accepter sans aigreur cette mutation sachant qu’à l’extérieur, oui je me dégrade, mais à l’intérieur je me développe. Je peux encore me développer car mon temps est devenu différent de celui de la construction-affirmation de moi-même qui avait prévalu, tourné vers l’extérieur. Mon temps est maintenant bien davantage tourné vers mes richesses intérieures. Et alors oui, Grand-mère peut être ridée, afficher un pauvre petit visage, un corps un peu bancal et rabougri mais Grand-mère peut être radieuse, curieuse, enthousiaste, tournée vers les autres, aimante. Et Grand-père aussi. Les vieux qui vivent ainsi, gourmands des petits riens à leur portée, dans la réflexion, l’amour des leurs, des gens et des choses, ces vieux-là sont beaux pour qui veut bien les regarder sans crainte. Ces vieux-là sont intéressants. Ce sont même des exemples. Et Marie de citer Michel Serres: «Tu n’as plus désormais à produire mais à trouver le vrai grain de ta vie». Trouver le vrai grain de ma vie. Quel beau programme!
Réfléchissons à notre feuille de route
Nous ferons l’exercice à la fin du séminaire. J’ai pour ma part jeté à l’époque quelques idées sur le papier qui se sont plus ou moins transformées en résolutions, en ligne de conduite.
Prendre soin de mon corps par quelques exercices quotidiens. Un peu. Puisque c’est nécessaire. Et surtout ne jamais négliger ma santé. Marcher, par exemple, autant que je peux. C’est recommandé.
Rester plus que jamais tournée vers les autres, disponible, bienveillante.
Rester ancrée dans la réalité de mon temps. Engagée même si possible, à la mesure de mes convictions. Curieuse. Ouverte aux changements, responsable de l’avenir quand bien même il ne sera pas le mien.
Entretenir mes relations amicales, plus sincères que jamais.
Tâcher de partager ce dont je m’enrichis moi-même.
Beaucoup d’autres réflexions surgiront ensuite. Durant le séminaire lui-même ou plus tard, en écho. D’autres résolutions. Comme un fruit qui mûrit.
Donc, vieillir ça s’apprend ? Enfin, pas du jour au lendemain mais oui ça s’apprend, doucement, en y réfléchissant. Les quelques clés ci-dessus m’y ont aidée.
De ce séminaire, dont je n’avais pas initialement prévu l’importance qu’il pourrait avoir, je suis revenue les idées plus claires, avec, curieusement, un désir renouvelé de faire confiance à la vie, modestement, simplement, faire confiance aux solutions de la vie dont je ne sais pas grand-chose, juste qu’elle me semble être un souffle créateur infiniment puissant. Comme une résurrection toujours possible. Une espérance forte toujours, à porter haut.
Isabelle Hartvig est membre des associations Citoyennage et AVEC (Association Vieillir Ensemble en Citoyen).
Illustration: Les âges de la vie (Caspar David Friedrich, vers 1834, Museum der Bildenden Künste, Leipzig).