Une pour toutes, toutes pour une? L’anonymat de la vie des femmes - Forum protestant

Une pour toutes, toutes pour une? L’anonymat de la vie des femmes

«La responsabilité est lourde» lorsqu’on prend la parole en église mais elle l’est plus encore lorsqu’on est une femme car on est alors regardée comme la femme (mais laquelle ?) ou les femmes, «comme si nous étions toutes d’accord, que nous voulions toutes la même chose, étant responsables des actes de nos consœurs, et que nos personnes, nos êtres n’étaient qu’accessoires». Or, pour Lula Derœux,  «quand on a un impact dans la vie de quelqu’un, ce n’est pas parce qu’on est une femme», mais parce qu’on est précisément quelqu’un qui a de l’effet par qui elle est «réellement» et non par son genre.

Texte publié par Servir Ensemble.

 

Prédicatrice, pasteure, responsable, chrétienne… toutes ces appellations sont-elles si neutres? Peut-on les penser sans la femme qui se trouve derrière? Je vous invite aujourd’hui à une petite réflexion personnelle.

J’aimerais tout d’abord insister sur le fait que cette réflexion est tirée directement de ma propre expérience. Elle ne doit être en aucun cas normative; si vous ne vous retrouvez pas dans ce texte, tant mieux! Je voulais simplement partager ces pensées qui sont parfois sources de stress, ou au mieux d’interrogations pour moi.

 

Le fardeau de la femme

Jeune prédicatrice, mon Église me propose régulièrement de prendre la parole dans le cadre du culte. J’ai du plaisir à prêcher, à étudier les textes et à donner un message encourageant à mon assemblée; en tous cas j’essaye. Cependant, en préparant ma prédication, je me sens plombée par un poids qui ne devrait pas être là. Bien entendu, il est naturel de ressentir une certaine appréhension. J’ai d’ailleurs entendu dire que c’était l’inverse dont il fallait s’inquiéter. En effet, la responsabilité est lourde, et celui qui souhaite parler du Seigneur n’a pas une tâche facile. Inutile de rajouter de la pression là où il y en a déjà assez.

Oui, quand je m’apprête à prêcher, je ne sens pas seulement le poids de MA responsabilité mais également le poids de la femme. Mais qui est cette femme? C’est l’incarnation de l’avancée du mouvement féminin, le nom que l’on donne à la personne qui prend place dans un monde d’hommes. Vous la connaissez sûrement! «Une femme prend place au Congrès», «Une femme reçoit trois étoiles au guide Michelin», «Une femme est la gagnante du prix Goncourt». Elle a même fait ses armes dans la pop-culture; nombreuses sont les chansons françaises qui parlent d’elle, je vous laisse trouver vos propres exemples.

Maintenant, remplacez le mot femme par homme. Ça n’a plus beaucoup de sens. Bien-sûr qu’un homme a reçu cet honneur, a pris ce poste, car c’est la norme! La plupart du temps, l’homme sera nommé. Untel est devenu préfet, Untel a gagné ce concours, etc.

 

La femme est en représentation

Comme la Marianne de la République, une femme est la représentation de ce que différentes individues peuvent accomplir, sous le couvert de l’anonymat. Comme si nous étions au service de cette femme que nous reconnaissons mais que nous ne connaîtrons jamais. Cette femme est espérée pionnière. On n’a pas encore vu une femme présidente de France. Elle n’a pas encore occupé tous les postes.

Et même parfois, une femme amène ses copines! Comme, par exemple, lorsqu’on entend qu’Unetelle a fait ceci ou cela, on entend dire: «Argh! vous les femmes…» C’est parfois comme si plus de trois milliards d’individus étaient comme un être pluricellulaire, et que chaque femme faisait partie de ce tout. Comme si nous étions toutes d’accord, que nous voulions toutes la même chose, étant responsables des actes de nos consœurs, et que nos personnes, nos êtres n’étaient qu’accessoires.

Ce phénomène touche beaucoup d’autres groupes minorisés. «Un homme noir devient président», «Un évangélique prend le poste de préfet», etc. Je ne veux pas me permettre de parler pour les autres, mais je souhaite simplement dire que la femme n’est pas la seule victime de cette manière de penser.

 

Une personne derrière la femme

En fait, elle devient un peu le masque que j’ai l’impression de revêtir, alors que je n’en ai aucune envie. Ce dimanche, une femme va prêcher à l’Église. Alors que non, ce n’est pas juste une femme, mais une personne, unique, imparfaite et authentique qui va prendre la parole. Moi, Lula Derœux, je vais partager ce que Dieu m’a mis sur le cœur. Si j’arrive à faire un travail correct, gloire à Dieu. Mais si, pour une raison quelconque, je n’arrive pas à faire passer le message que j’ai reçu, ce sera à moi, Lula qu’il faudra en vouloir, et pas à la femme. Car oui, je vous l’avoue, c’est ma hantise de décrédibiliser cette femme. J’ai peur que les personnes m’écoutant ne me voient pas pour qui je suis, mais comme une incarnation de toute la gent féminine. J’ai peur que mes sœurs soient jugées sur mes actions. En effet, je crains de déshonorer la femme. J’ai peur que, par ma faute, il soit dit: «Une femme ne sait pas prêcher». Pourtant, je pourrais entendre que je ne suis pas compétente. Ça me ferait de la peine, certes, mais je peux le concevoir. En revanche, imaginer que je puisse desservir les autres prédicatrices, cette idée m’est insupportable.

Par contre, si un homme prêche, il ne représentera sûrement que lui-même. Si Monsieur Tartempion s’est mal débrouillé dimanche passé, personne ne dira: «Un homme est mauvais prédicateur», on dira que Monsieur Tartempion est mauvais prédicateur, et mine de rien, ça change beaucoup de choses.

 

Sauver la femme?

L’orgueil peut nous guetter également. «Si je prêche extrêmement bien, je vais peut-être faire que certains changent d’avis sur la question?» Le syndrome du sauveur est un danger, et l’idée de pouvoir sauver la mise de la femme a de quoi nous faire réfléchir. Souvent, j’ai entendu des personnes dire : «J’ai entendu Unetelle prêcher ou être pasteure, et ça m’a fait changer d’avis». Notez que dans ces phrases, la pasteure ou la prédicatrice est nommée. Car quand on a un impact dans la vie de quelqu’un, ce n’est pas parce qu’on est une femme, mais parce qu’on est Unetelle ou Untel. Nous touchons les autres par qui nous sommes réellement, et pas par notre genre.

La femme n’est pas non plus là pour nous rassurer, comme un sparadrap sur un bras cassé. «Si une femme est devenue présidente, c’est que la cause féminine a gagné, non?» Eh-bien non, car sous cette étiquette, il se cache d’innombrables personnes. Et ce n’est pas parce qu’une femme a réussi qu’il faut en oublier toutes les autres. La femme ne doit pas être un argument de bonne conscience. Non à la femme-prétexte.

Alors oui, je comprends ce que certains veulent dire avec ces phrases, je suis heureuse de voir des femmes prendre leur place dans les Églises, et dans la société. Mais ce ne sont jamais que des femmes. Ce sont des personnes que je respecte, que j’aime, que je connais, et qui sont des femmes. Lorsqu’une amie prend un poste, s’engage dans un ministère, assume une responsabilité, ce n’est pas un genre anonyme à qui cela arrive, ce sont des individus uniques avec une histoire, des rêves et des peurs. Comme vous, comme moi.

Dieu n’a pas appelé des hommes à Lui, un groupe anonyme et vague. Il a appelé Jean, Jacques, Paul, etc. Dieu n’a pas appelé des femmes. Il a appelé Ses filles et Il les appelle par leur prénom (Ésaïe 43,1).

 

Illustration : Femme lisant une lettre, peinture de Gérard ter Borch, 1660/62 (Royal Collection, Londres).

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