Rentrée morose - Forum protestant

En cette rentrée où «le mot d’ordre est à la reprise de l’économie» mais où cela s’accompagne «de toute une série d’empêchements d’agir qui mettent les employeurs autant que les salariés sous tension»,  on pourrait penser que, comme c’est généralement le cas lorsque nous sommes soumis à une contrainte, cela «relance notre créativité». Mais au contraire, il semble qu’on attende «que les choses passent, sans vraiment inventer une nouvelle manière de vivre».

Texte publié sur Tendances Espérance

 

 

La rentrée, cette année, a des colorations plutôt grisâtres. Chacun va reprendre, comme il le peut, des activités lourdement entravées par des gestes barrières, dont on multiplie l’extension, de jour en jour, sans que l’on jugule réellement la reprise, lente mais sûre, de l’épidémie.

 

L’empêchement d’agir: une problématique très actuelle

Yves Clot, psychologue du travail, a écrit des pages décisives sur «l’empêchement d’agir»: toute forme d’action renvoie, comme à son verso, à toutes les autres actions auxquelles on doit renoncer pour la mener à bien. Dans le champ particulièrement contraint du travail, les empêchements sont parfois bien lourds à porter et de nombreux salariés vont mal, du fait de tout ce qu’ils ne peuvent pas faire. On leur demande d’atteindre un but, mais, dans le même temps, on contraint leurs moyens d’action.

Je pense avec une force particulière à ces travaux d’Yves Clot ces jours-ci. Le mot d’ordre est à la reprise de l’économie et j’en comprends bien la nécessité (encore qu’un peu plus de discernement dans le maniement de l’économie en question ne ferait pas de mal). Mais on accompagne cette injonction de toute une série d’empêchements d’agir qui mettent les employeurs autant que les salariés sous tension.

Et, pour des gens comme moi qui ne sont plus sur le marché du travail, l’empêchement est là aussi. Il y a un ensemble d’activités qui tissent, en temps normal, mon quotidien, qui deviennent lourdes et auxquelles je finis parfois par renoncer, car l’empêchement d’agir qui les accompagne les vide de tout sel.

 

Quand on bute sur des limites

Le fait que l’homme bute sur des limites qui entravent son action ne devrait peut-être pas me surprendre. C’est quand même une vérité théologique. Et puis je ne cesse de défendre les politiques écologistes qui, précisément, incorporent les limites que la société doit admettre dans son fonctionnement.

Mais il y a une différence quand même. Si on prend en compte les conséquences écologiques de nos actes, cela, finalement, relance notre créativité. Nous pouvons imaginer de nouvelles manières de faire qui respectent davantage les équilibres naturels et, ainsi, découvrir de nouvelles richesses que nous ignorons lorsque nous prenons sans cesse les raccourcis de l’économie (de temps, d’argent, d’effort) à court terme.

Dans les circonstances présentes, on ne voit pas bien comment transformer la contrainte en créativité. On attend que les choses passent, sans vraiment inventer une nouvelle manière de vivre. Et les discours gouvernementaux ne poussent pas vraiment à cette créativité. On pointe du doigt tel ou tel groupe considéré comme irresponsable. Mais la réalité est assez complexe. Dans les pointages que fait Santé Publique France (1) sur les clusters identifiés (sachant qu’une part importante des contaminations se fait hors cluster), les origines les plus fréquentes des clusters récents sont les suivantes: entreprises publiques et privées (hors établissements de santé) 117, établissements de santé 30, milieu familial élargi (plusieurs familles impliquées) 33, rassemblements temporaires dans le cadre d’événements divers 67. On a donc beau jeu, d’un côté, de pointer du doigt les activités festives des jeunes et, de l’autre, les risques provoqués par les situations de travail. Mais, au total, comment vivre ensemble, que ce soit pour travailler, pour se rencontrer ou pour faire la fête, tout en incorporant les limites auxquelles nous contraint l’épidémie? Il n’y a, pour l’instant, pas de réponse à cette question.

 

Quel sens donner aux limites?

Du coup il faut revenir sur cette histoire de limites. L’idée de démesure (hubris en grec) n’est pas vraiment présente dans la Bible. C’est plutôt quelque chose qui appartient au champ hellénistique. Dieu, dans l’Ancien Testament, n’est pas incommodé par les avancées et les progrès des hommes (nonobstant ce qu’une lecture rapide de l’épisode de la tour de Babel pourrait faire croire). Mais il s’élève contre l’injustice, contre les grands qui piétinent les petits, contre Caïn qui tue Abel. La limite que Dieu pose est là pour rappeler à chaque homme qu’il a à prendre son prochain en considération.

Les limites écologiques ont un sens parce que, en les transgressant, nous atteignons d’autres hommes (ou des générations futures), que nous empoisonnons ou dont nous dégradons l’environnement de vie. Et c’est ensemble que nous devons inventer des formes de vie qui font leur place à chacun.

Dans le cas de l’épidémie, nous respectons des limites pour protéger des personnes vulnérables. Mais il ne me semble pas que nous inventons des formes de vie collectives, même transitoires, qui incorporent les attentes, les besoins, et les nécessités de tout un chacun.

 

Illustration : porte condamnée sur un tramway strasbourgeois (photo CC-Kevin.B).

(1) Voir le Point épidémiologique du 27 août 2020.

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