Chrétiens, biologie et écologie (2)
«Ce qui est difficile à accepter, c’est qu’on ne sait pas… pas du tout.» Puisque «ce que font les hommes» est infime «par rapport à ce que la Nature peut faire» et que ceci même est infime «par rapport aux possibles», il est «tout à fait acceptable scientifiquement qu’il y ait de l’ignorance définitive: il y a des choses qui sont tellement hors de portée que nous ne saurons jamais». Un voyage quelque peu vertigineux dans cette science qui ne sait pas et qui constitue l’essentiel de ce deuxième volet du dialogue entre le sociologue Frédéric de Coninck et le mathématicien Nicolas Bouleau.
Retranscription de la deuxième vidéo visible sur Tendances, Espérance et Le blog de Nicolas Bouleau.
Lire la retranscription du premier volet.
Nicolas Bouleau: Nous arrivons à notre deuxième entretien autour de ce que j‘appelle la révolution combinatoire de la biologie. Il faut rappeler d’abord un certain nombre de faits que tout le monde connait. C’est dans les années 1950 que la structure fine de cette molécule, l’ADN (acide désoxyribonucléique), a été dégagée. C’est une molécule en double brin, un peu comme une fermeture éclair, les deux brins peuvent s’ouvrir et retrouver le brin qui leur manque, par une sorte de simple correspondance biunivoque, les deux brins correspondants s’accrochant l’un à l’autre. Ensuite, il y a la synthèse d’un certain nombre de produits dans l’ontogénèse (1) des êtres vivants, c’est-à-dire l’ARN (acide ribonucléique), puis une vingtaine d’acides aminés, puis la fabrication des protéines qui sont, elles, plus proches des fonctions et des formes des êtres vivants. Tout ça évidemment dans un contexte qui a un rôle tout à fait fondamental dès le départ: une matrice qui est elle-même reproduite dans la reproduction des êtres vivants. Nous avons donc non seulement l’ADN mais aussi cette matrice. C’est cette grande découverte de l’hérédité qui est très fondamentalement dépendante de cette très longue molécule qu’on appelle l’ADN.
Dans ce livre (2) que j’ai publié au début de l’année 2021, j’ai une approche qui est différente d’une approche empathique de la nature (dans l’esprit de l’approche chrétienne dont nous avons parlé au cours de la précédente conversation) et qui n’est pas non plus une approche socio-centrée (un certain nombre de penseurs et d’épistémologues ayant fait remarquer que ce que nous appelons Nature est très dépendant de l’histoire et de notre propre société, comme Serge Moscovici qui a notamment développé cette idée d’état de nature, c’est-à-dire cette façon de comprendre la Nature qui dépend au fond de notre histoire). Mon approche est complètement différente: elle s’appuie sur deux arguments principaux, deux piliers, si on peut dire.
Le premier argument, ce sont les ordres de grandeur. C’est là quelque chose de tout à fait important et impressionnant. La longueur de l’ADN du premier chromosome humain, c’est 220 millions de paires (on dit communément des paires, parce que chaque lettre est associée à une autre), donc 220 millions de lettres dans ce mot-là. Si on évalue les possibles, c’est 4220000000, ce qui fait environ 10130000000. Pour comparer, on estime que le nombre d’atomes dans l’univers observable avec les plus grands télescopes est 1080 , ce qui s’écrit avec un 1 et 80 0 alors que les modifications possibles de l’ADN s’écrivent avec un 1 et puis ensuite 130 millions de 0! C’est tout à fait vertigineux! Rien que pour écrire les zéros, il faudrait une centaine de livres de 400 pages, c’est absolument colossal. Et puis il y a ce que la Nature a essayé depuis 3 ou 4 milliards d’années, ce qu’on désigne par le terme un peu vague de soupe primitive, c’est-à-dire tous les ADN avec les mutations qu’elle a tentées. On peut en avoir une estimation très grossière en considérant que depuis cette période initiale, la sphère terrestre a été recouverte de bactéries sur une couche de plusieurs kilomètres et que toutes ces bactéries mutaient tous les dixièmes de secondes indépendamment les unes des autres. Ça fait donc beaucoup… Mais ce que la Nature a exploré, ce n’est qu’une partie infinitésimale des possibles. C’est tout petit par rapport aux possibles, même à l’échelle d’un atome par rapport à toute la sphère terrestre. Et puis il y a ce que les hommes vont expérimenter. Si on suppose qu’il y a des milliers de laboratoires autour de la planète et que ces laboratoires font de nouveaux ADN tous les dixièmes de secondes… Eh bien, dans l’espace d’une civilisation de plusieurs milliers d’années voire sur la durée de vie de nos déchets nucléaires (plusieurs centaines de milliers d’années), on n’aura exploré qu’une toute petite partie de ce que la Nature a exploré. Trois ou quatre milliards d’années, c’est colossal! On a donc trois niveaux: ce que les hommes pourront faire, ce que la Nature a fait, et les possibles. On peut discuter sur cette arithmétique, mais ça ne change pas et les ordres de grandeur qui sont toujours disposés de cette façon-là: est tout petit ce que font les hommes par rapport à ce que la Nature peut faire, puis est tout petit ce que la Nature peut faire par rapport aux possibles. La célèbre phrase de Jacques Monod dit que l’homme est une particularité très singulière dans l’évolution, mais on se rend compte que c’est la Nature qui est une particularité très singulière, la Nature dans son ensemble. C’est la première conclusion qui me parait tout à fait forte et importante.
Le deuxième pilier de mon argumentation est la construction d’un dictionnaire pour mieux comprendre ce qu’est la combinatoire. Un dictionnaire entre la chimie et les mathématiques, entre la biologie de synthèse et une théorie mathématique. On peut prendre l’arithmétique, une des théories les plus simples, qui parle des propriétés des nombres entiers. À une molécule écrite, dessinée, conçue dans son esprit, je fais correspondre un énoncé en mathématiques. Un énoncé c’est quelque chose qui est soit vrai, soit faux. À une molécule synthétisée par la Nature ou synthétisée en laboratoire, je fais correspondre un énoncé démontré, c’est-à-dire qu’à la synthèse chimique je fais correspondre la démonstration en mathématiques. Ce dictionnaire est à mon avis très éclairant d’un point de vue philosophique ou épistémologique parce que ça bouge d’un côté (il y a la Nature qui fait évoluer les choses, mais en se fondant sur ce qui existe) et ça bouge aussi de l’autre côté parce que ce sont les mathématiciens qui démontrent des théorèmes et qu’en général, ils démontrent des théorèmes en se servant de théorèmes déjà démontrés, ils ne recommencent pas au début (sauf pour des projets très exceptionnels comme Bourbaki (3)), le travail du mathématicien est de se servir des choses déjà démontrées. Comme du côté de la Nature: la Nature utilise des choses qui existent déjà. Le parallèle est donc très fort et l’intérêt de ce parallèle est qu’on sait beaucoup de choses et qu’on peut démontrer certaines choses du côté des mathématiques, alors que c’est beaucoup plus compliqué de l’autre côté. Il y a les catalyseurs et il y a l’énergie. Et il y a toutes sortes de choses qu’on a simplifiées dans cette correspondance. Ce qu’on peut démontrer du côté des mathématiques, c’est qu’à partir d’un certain niveau de complexité de la théorie, et notamment à partir du niveau de l’arithmétique, la fabrication de théorèmes (ce qui correspond à la synthèse) n’est pas un processus qui relève des algorithmes. Plus précisément: étant donné un énoncé, trouver la démonstration de cet énoncé ne relève pas d’une procédure algorithmique car ça dépasse les possibilités d’un algorithme. Pourquoi? Parce que la longueur des démonstrations qu’il faut essayer n’est pas bornée par la donnée de l’énoncé. Ce qu’on peut alors démontrer, ce sont les propriétés d’incomplétude et d’indécidabilité qui sont prouvées en mathématiques. Pourquoi ces propriétés se transportent-elles et portent-elles en quelque sorte des enjeux du côté de la Nature? Tout simplement parce qu’on peut montrer qu’il y a des mécanismes de cassure d’ADN ou de recollement qui relèvent de systèmes qui sont en correspondance avec l’arithmétique, c’est-à-dire qui sont aussi compliqués et même plus complexes que ce qui se passe en arithmétique. D’où l’idée que ces phénomènes d’incomplétude et d’indécidabilité existent aussi du côté de la Nature et de la biologie de synthèse. Ça veut dire très concrètement que l’opération qui consiste à retrouver la façon dont a été synthétisée une protéine supposée est très difficile. À mon sens, c’est la raison pour laquelle la plupart des biologistes procèdent dans l’autre sens: ils essaient un nouveau changement pour voir ce que ça donne, ils partent dans le sens de la déduction et non pas dans le sens de trouver directement une synthèse à partir d’un énoncé. Tout cela résume schématiquement les thèses principales de mon livre…
Frédéric de Coninck: Il y a quelque chose de sous-jacent dans tout cela. Tu prends une analogie mathématique qui est cohérente avec ta formation. Je pense que ce qu’il faut bien voir, c’est qu’on a spontanément l’image que ce qu’on peut faire, la manière dont la Nature évolue ressemble à un calcul d’approximation. On essaie, on va à proximité de ce qui existe, on est dans quelque chose qui ressemble plus à ce qu’on appelle en mathématiques de l’analyse, c’est-à-dire qu’on va à proximité et puis on regarde les petites variations. Alors que là, ce que tu nous racontes avec ta combinatoire et qui est renforcé par le fait qu’on ne peut pas y accéder par les algorithmes, c’est qu’on est dans un autre style des mathématiques où il y a des objets: ce qu’on appelle l’algèbre formelle. On a des objets qui ont des propriétés différentes et on peut faire des sauts discontinus d’un objet à l’autre.
N.B.: Pour moi, la combinatoire est vraiment un domaine nouveau qui n’a pas été suffisamment pensé. On peut dire que toutes ces molécules (et même l’ADN) relèvent de nombres entiers, sont comme les nombres entiers. Et les propriétés des nombres entiers, c’est de l’arithmétique, cette théorie qui est incomplète, avec de l’indécidable. Pourquoi? Parce que les propriétés des nombres entiers sont extraordinairement curieuses, bizarres, et ne s’obtiennent pas par une approximation. Est-ce que ce sont vraiment des lois? Il n’y a pas vraiment de généralités: ce sont les nombres entiers qui vérifient cette propriété-là et une autre propriété sera différente. L’ensemble des possibles que nous avons là est, si l’on peut dire, éparpillé.
F.d.C.: Je pense qu’éparpillé est le bon mot. Quand les biologistes font des tentatives un peu au hasard (c’est comme ça qu’ils le voient), on peut avoir cette idée que tu es dans une voiture, que tu roules à 100 et puis tu te dis: «Je vais rouler à 105, on va voir ce que ça fait». Si ça ne te plait pas, tu reviens en arrière. Mais là, ce n’est pas ce que tu dis, qui est que tout d’un coup, tu peux passer de 100 à 300!
N.B.: C’est discret (au sens mathématique: discontinu).
F.d.C.: Tu passes tout d’un coup dans un autre monde où ça n’a plus rien à voir et où tu peux te trouver face à des phénomènes qui, du coup, sont éventuellement irréversibles. Tu ne peux pas revenir de 105 à 100, tu peux très bien te retrouver tout d’un coup dans un autre truc et puis basculer dans un autre monde pratiquement d’un seul coup, comme ça, sans crier gare.
N.B.: On va en parler: c’est le fait qu’en plus, il y a des effets de ces expérimentations et de ces tentatives qui sont vertigineux eux aussi dans cette possibilité de transformation. Mais je pense qu’il faut insister sur le fait que ce point de discussion est très différent de la démarche de la pensée classique et qu’on appelle la science nomologique. On y considère qu’il est toujours valable de prendre un schéma simplifiant et ensuite de le perfectionner. Tandis que là, non: schématiser, c’est obtenir des choses complètement différentes.
F.d.C.: C’est l’idée d’approximation que tu es en train en fait de démolir, si je puis dire.
N.B.: De démolir pour la biologie de synthèse, oui.
F.d.C.: C’est ça. On n’est pas dans un truc qui peut être en gros vrai. On peut être dans un truc qui est complètement faux. On peut se retrouver complètement ailleurs.
N.B.: Oui: avec trois nucléotides modifiés, c’est la mucoviscidose. Trois sur 320 millions… C’est donc le domaine du discret et c’est vrai que c’est très différent de la logique de tout le champ de raisonnement de l’ingénieur: l’ingénieur est toujours à penser des systèmes avec une entrée/sortie, avec souvent une optimisation à faire et des choses de plus en plus précises. Et là, non.
F.d.C.: Tu parles de l’ingénieur et on sait par exemple, qu’en informatique,avant de mettre en vente un nouveau logiciel, on le dé-bugue: on regarde comment il tourne, on le fait essayer et puis on le perfectionne, on enlève quelques bugs… Mais on trouve, finalement, quelque chose du même ordre que ce que tu décris, parce qu’il y a quand même, ensuite, en situation réelle des bugs qui sont catastrophiques! On a vu récemment, par exemple, qu’à cause d’un bug sur un logiciel d’Orange, les gens n’ont pas pu appeler les urgences pendant plusieurs heures (4). Il y a eu aussi un bug magistral à la gare Montparnasse qui a empêché les trains de circuler (5). On n’imagine pas que ce sont des systèmes qui peuvent diverger notablement mais si: ils peuvent le faire. Cette histoire des trois nucléotides qui te rendent malade de manière très grave, on la retrouve avec la fusée Ariane qui à un moment donné est partie en fumée (6)…
N.B.: Oui, et le point qui me parait central pour la biologie et l’écologie et lié à notre conversation c’est cette origine discrète et en nombres entiers. Au fond, la Nature, qu’est-ce que c’est? La Nature est une série de phénomènes qui transportent du microscopique (discret et combinatoire) dans le domaine macroscopique. Les plantes, les fleurs que nous voyons, les arbres, c’est du macroscopique. Mais du macroscopique qui est une expression de quelque chose de microscopiquement discret avec, en plus, cette évolution collective, cette interaction très forte entre les différents êtres vivants. La phrase répétée à l’envi par un certain nombre de biologistes scientistes, c’est: «On essaye mais en faisant exactement la même chose que ce que fait la Nature». Et c’est évidemment extrêmement sommaire. Pourquoi? Parce que la Nature, premièrement, essaye ce qui est viable au niveau de la cellule. Deuxièmement, ce qui est viable dans l’ontologie, l’embryologie. Troisièmement ce qui est viable aussi dans l’ensemble de l’écosystème. Il n’est pas clair du tout que la Nature procède au hasard. Le mot de hasard, mettre du hasard sur la réalité, c’est la simplifier a priori, c’est une des façons de la simplifier et d’enlever toutes les particularités. J’irais même jusqu’à dire que, d’une certaine façon, les mutations sont créées par un petit contexte qui les fait ressembler un peu à des nombres pseudo-aléatoires, c’est-à-dire des petits mécanismes que nous ignorons.
F.d.C.: Ce que tu es en train de dire, c’est que quand la Nature expérimente, elle le fait dans un certain contexte où il y a finalement énormément de rétroactions très rapides. Alors que dans un laboratoire où on expérimente de manière artificielle, tout ce contexte est gommé, de sorte que l’on peut très bien faire émerger quelque chose qui est incontrôlable. Dans le contexte d’innovation de la Nature, il y a en fait toute une dimension écologique, au sens d’un environnement qui finalement borne cette innovation. Alors que dans un laboratoire, tu as supprimé toute une série de ces rétroactions et tu peux donc innover pratiquement sans limites…
N.B.: C’est ça. Rétroaction (ou interaction, co-évolution) qui a été gommée. Je pense que ça touche à une façon de concevoir la connaissance, que c’est lié à notre façon de traiter l’ignorance. Dans le livre très célèbre de Jacques Monod, Le Hasard et la nécessité, il parle de la «roulette de la Nature». Il y a un certain nombre de scientifiques qui lui ont tout de suite dit à propos de cette roulette: «Dire que c’est au hasard, c’est nous empêcher de regarder un peu plus loin. C’est une espèce d’obstacle».
F.d.C.: Oui, la discussion est terminée. Si tu dis c’est le hasard, il n’y a plus rien à dire.
N.B.: Oui, il n’y a plus rien à faire. On peut faire des petits calculs mais voilà… c’est le hasard et il n’y a plus rien à dire! Ce hasard, c’est en fait une façon très radicale de traiter l’ignorance. Comme tu l’as dit, on a enlevé tous les liens et les conséquences qui sont liées aux relations avec le contexte. Et puis on a aussi ôté une part de la petite mécanique inconnue que nous ne connaissons pas, des rouages qui font qu’il y a plusieurs sortes de mutations (par délétion, par recollement…). Il y a donc actuellement une sorte de blocage, me semble-t-il, dans la pratique scientifique majoritaire, qui est d’ignorer l’ignorance c’est-à-dire de faire comme si on était sur le point de tout savoir… alors que justement, la leçon de ce parallèle avec l’arithmétique nous montre qu’il est tout à fait acceptable scientifiquement qu’il y ait de l’ignorance définitive: il y a des choses qui sont tellement hors de portée dans la complexité du développement, entre ce microscopique de nombres entiers et de macroscopiques collectivement évolués, que nous ne saurons jamais. J’ajoute qu’il est clair que la Nature ne nous laisse pas avec les êtres vivants actuels une vision cumulative de tout ce qui a été fait, pas du tout… Il y a des choses qui sont définitivement effacées, en particulier tous les essais qui ont été faits mais qui ont été des échecs immédiats. Prenons une certaine époque de la Préhistoire: il y a eu des échecs tout de suite, immédiats, des êtres vivants qui n’étaient pas viables, des êtres vivants qui ont été immédiatement dévorés. Tout ça, on ne le sait pas parce que ça a échoué tout de suite. On n’en a plus les traces.
F.d.C.: Il y a des catastrophes qu’on connait, quand même. Il y a eu des moments d’écroulement pour les espèces.
N.B.: Une série de catastrophes. En général, les échecs et les catastrophes, c’est plutôt brutal alors que les perfectionnements ou les complexifications, c’est plutôt lent et progressif.
F.d.C.: Revient donc cette question de la providence dont nous parlions dans notre premier entretien. On peut se dire: «Expérimentons toujours de toute façon, il n’en sortira que du bien». Eh bien en fait, non: on n’en sait rien.
N.B.: Ce qui est difficile à accepter, c’est qu’on ne sait pas… pas du tout. On peut citer rapidement ces courants scientistes: les Fisher, Hamilton et puis Dawkins récemment (7) qui pensent qu’on peut mettre toute la nature sur un ordinateur et qu’on a tout compris… ce qui est vraiment une contre-vérité complète! D’abord, si on veut ne serait-ce que comprendre un peu ce qui existe aujourd’hui… c’est d’une variété! Le monde microscopique dans le sol est d’une telle variété qu’il ne pourra jamais être connu: c’est trop changeant et trop varié. Et pour expliquer ce qui se passe, le passé est complètement hors de portée! On n’a que la forme des bactéries fossiles dans nos roches, on n’en a pas l’ADN. Il y a donc des millions, des milliards d’essais qui ont été faits et qui sont définitivement perdus… C’est pour cela que j’avais pris comme titre Ce que nature sait: cette expérience de la Nature, ces essais, ces tentatives, sont un monde très particulier qui doit être pensé comme un monde protégé dans l’immensité de ce combinatoire possible. Et en même temps, c’est un peu comme un savoir… C’est-à-dire que cette expérience qui a été faite n’est pas nulle… elle est difficile à dire. Ce n’est pas un savoir comme représentation, mais c’est un savoir quand même.
F.d.C.: Pour moi, c’est un savoir-faire.
N.B.: Oui, on peut dire ça: un savoir-faire, mais qui a une consistance et qui peut même dépasser ce que nous nous pouvons savoir.
F.d.C.: Tout à fait: un savoir-faire qui pourrait dépasser notre savoir…
N.B.: Je te l’accorde: un savoir-faire qui est assez admirable quand même, qui force le respect…
F.d.C.: Qui nous laisse un peu pantois…
N.B.: C’est ça: qui nous laisse un peu pantois.
Lire la retranscription du troisième et dernier volet.
Illustration: microfossiles trouvés lors du Deep Sea Drilling Project (photo Hannes Grobe, Alfred Wegener Institute, CC BY 3.0).
(1) Développement d’un organisme vivant de sa conception à sa mort.
(2) Nicolas Bouleau, Ce que Nature sait, La révolution combinatoire de la biologie et ses dangers, PUF, 2021.
(3) Le groupe Bourbaki, initié par André Weil (frère de la philosophe Simone Weil) à partir de 1935, est un rassemblement mouvant de mathématiciens qui ont tenté «un exposé de la totalité des mathématiques d’aujourd’hui» (Emil Artin) pour rendre une certaine cohérence à leur discipline.
(4) Le 2 juin 2021, entre 16h45 et minuit, «un bug logiciel préexistant» sur un équipement «installé en 2016» (selon les explications du PDG d’Orange Stéphane Richard le 16 juin aux députés) a empêché 11% des appels d’accéder aux numéros d’urgence 15, 17, 18 et 112.
(5) Fin juillet 2017, une panne de signalisation «rarissime» a empêché la circulation des trains pendant trois jours gare Montparnasse à Paris, bloquant environ 50000 voyageurs. La modification du logiciel commandant les aiguillages a ensuite provoqué une nouvelle interruption de trafic les 3 et 4 décembre suivants.
(6) Le 4 juin 1996, la première fusée Ariane 5 explose 36 secondes après son décollage de Kourou avec 4 satellites d’une valeur de 370 millions de dollars. L’accident est dû à une mauvaise programmation informatique.
(7) Ronald Fisher (1890-1962), mathématicien, statisticien et généticien britannique qui fut l’un des pères de la synthèse moderne cherchant à mettre d’accord la théorie de l’évolution de Charles Darwin avec les premières théories génétiques développées par Gregor Mendel. Il influença William Donald Hamilton (1936-2000), théoricien britannique de l’évolution qu’il centrait sur la génétique. Dont la conception strictement génétique de l’évolution fut reprise et popularisée par le biologiste et athée militant britannique Richard Dawkins (1941).