Du domicile à l'établissement d'accueil (2) - Forum protestant

Qui décide? Quand décider? Dans cette deuxième partie de la table ronde entre Bruno Carles, Béatrice Birmelé, Anne Thöni, Valérie Ducasse (animée par Caroline Bauer), les échanges avec le public venu participer à la 9e convention du Forum protestant permettent d’entrevoir à la fois la richesse du dispositif d’accompagnement en France… et ses limites.

Interventions prononcées pendant la 9e convention du Forum protestant le 22 novembre 2022.

Visionner l’ensemble des interventions et débats de la 9e convention (cette partie de la deuxième table ronde va de 2h07 à 2h27).

Lire la première partie de cette table ronde.

 

Caroline Bauer: Je vais donner la parole à la salle. Quelqu’un souhaite-t-il intervenir sur cette thématique de la liberté et de la citoyenneté des personnes encore autonomes ou au moment de leur passage à la fin de l’autonomie?

 

«Une décision vraiment consentie?»

Premier intervenant: J’ai été directeur d’Ehpad pendant près de vingt ans tout près d’ici, dans une institution qui dépend aujourd’hui des Diaconesses, et j’ai également dû accompagner mon frère dans sa mise sous tutelle. La notion de vérité me paraît importante: on ne réussit pas une admission en Ehpad sans prendre le temps d’écouter la personne qui sera éventuellement hébergée ni sans lui dire dans le même temps la vérité sur le projet auquel on travaille. Il faut que la personne ait le temps de cheminer. Certes, c’est une réflexion de Parisien car à Paris une place d’Ehpad, ça se trouve: ça tourne beaucoup et on n’a pas de problème de recrutements. Mais prendre le temps de s’arrêter, d’écouter et de dire vrai, cela me paraît important. On ne peut pas raconter des bobards à quelqu’un en lui faisant croire que ce sera temporaire.

Deuxième intervenant: Vous l’avez déjà un peu évoqué: pour une personne âgée qui a priori n’est pas prête à quitter sa vie, son appartement, ses meubles, l’environnement où elle a toujours vécu… c’est très difficile de prendre cette décision par elle-même. Je me demande s’il n’y a pas une instance, peut-être les médecins ou l’Église, qui aurait son mot à dire non pas dans le choix mais dans la décision que prendra le patient lui-même? Est-ce qu’il n’y a pas une instance indépendante qui serait utile pour arriver à expliquer à la personne les plus et les moins, de façon à prendre une décision qui soit vraiment consentie?

Premier intervenant: Juste un petit complément sur la prise de décision d’une admission en Ehpad: je crois qu’il faut prendre le temps de dire aux familles que ce n’est pas à elles de prendre seules la décision pour la personne âgée, mais qu’une personne tierce, qui n’est pas dans le circuit affectif, va avoir son mot à dire. Ce qui fait que la personne qui va être placée a l’impression d’être complètement mise de côté, c’est que cela se passe entre un directeur d’établissement et la famille, tandis que la personne âgée est à côté, regarde le spectacle. Je crois qu’il est important de dire aux familles ce n’est pas à elles de dire à la personne qu’elles ont pris cette décision pour la protéger, pour son bien… ou toute autre raison: c’est une décision à prendre avec les médecins et les équipes médicales. C’est un poids de plus pour les toubibs, mais je pense qu’il est important de travailler ensemble.

 

«La finitude, ce n’est pas une mauvaise nouvelle»

Béatrice Birmelé: Comme dans toutes décisions importantes, il est primordial de donner l’information la plus neutre et le plus juste possible, en fonction de ce que la personne peut ou souhaite entendre, et puis d’essayer de recueillir ce qu’elle souhaiterait elle-même. Il est très difficile d’être neutre, de donner une information qui n’influence pas. De toute manière, quelqu’un prendra la décision au bout du compte (la personne ou le directeur) mais il est essentiel qu’il y ait un espace où la personne puisse donner son avis. Le médecin, le psychologue ou encore les commissions d’admission qui vont au domicile et voient la personne dans son environnement, ont un rôle à jouer pour essayer de discerner ce que souhaite la personne et ce qu’il est raisonnable de faire. On n’a pas toujours le temps, mais il me semble important d’essayer d’effectuer ce travail. Souvent, le médecin traitant connaît bien la personne, ou bien cette dernière a pu exprimer ses souhaits auprès de l’infirmière qui fait des soins au domicile. Pour les soignants, rendre ce temps est un peu un luxe mais je pense qu’il est nécessaire si l’on veut vraiment recueillir la parole et respecter le souhait de ces personnes.

Bruno Carles: Il faut aussi en parler comme d’une bonne nouvelle… Les gens que j’accueille, je leur dis: «Vous avez gagné au loto, vous allez arrêter de souffrir chez vous, vous allez arrêter d’être seul, de stresser parce que vous allez tomber…Vous allez être accompagné, entouré, aimé, soigné»… Ce n’est ni aux institutions, ni aux soignants de faire comprendre aux gens qu’ils sont mortels. Je sais bien que cela agace tout le monde de mourir et d’être mortel, mais ce n’est pas aux Ehpad qu’il faut s’en prendre, ni aux soignants (peut-être à Dieu, en revanche?… Ou pas!). Le problème de la prise en charge du vieillissement est que cela semble être une catastrophe pour tout le monde, et même un peu la faute de ceux qui s’en occupent!… La finitude, ce n’est pas une mauvaise nouvelle, c’est comme ça, et c’est bien la seule certitude qu’on ait. S’il faut refaire tout le chemin avec une personne de 90 ans et lui expliquer que, oui, elle va décrépir et mourir… c’est compliqué. Je suis peut-être d’une génération qui ne mesure pas ce que cela veut dire ni le drame que cela représente, mais je suis toujours un peu étonné du déni de finitude des individus dans nos sociétés.

Béatrice Birmelé: Je souhaite simplement ajouter une chose: il ne faut jamais mentir. Ça, j’en suis persuadée. Dans ces lieux où il y a beaucoup de personnel, la personne finira à un moment donné par entendre la vérité. Il vaut mieux dès le départ dire des choses vraies.

Valérie Ducasse: On parle là de situations où le patient est capable de donner son avis mais – et c’est pour cela (je pense) qu’il est important d’avoir ce temps de cheminement – c’est un luxe dont on ne dispose pas forcément toujours dans la réalité. Pour cette raison, c’est une discussion qu’il faut au préalable aborder ouvertement avec les enfants, avec les proches. Il faut exprimer ce qu’on souhaiterait dans le cas d’une perte d’autonomie, décider si on préfèrerait être hébergé près de tel ou tel proche –car souvent il va y avoir plusieurs enfants habitant en différents points de la France et la question de la destination va se poser. Ce sont donc peut-être des décisions qu’on peut anticiper en parlant avec ses proches. Cela peut aussi être intéressant de visiter des Ehpad, parce qu’on a souvent des représentations préétablies, les médias véhiculent beaucoup de choses… alors que finalement, en visitant, on est surpris, on trouve ça pas si mal!… Quand on fait déjà cette démarche soi-même, quand on est capable de la faire, peut-être que cela désamorce un peu la situation au moment où elle est vraiment aigüe, parce que quand on se retrouve avec quelqu’un qui vient de faire un AVC et qui n’est malheureusement plus capable de décider, les enfants n’ont plus le choix… et ce sera vraiment à eux de décider. De plus, on n’en parle pas mais c’est une réalité: il y a le côté financier et la question de savoir si on est capable de payer l’Ehpad (alors que tous les enfants n’ont pas les mêmes moyens), car c’est une charge qui va peser sur eux. Ce sont là des situations qui, quand on ne les a pas anticipées, deviennent compliquées. Il y aura forcément quelqu’un qui tranchera, quelquefois c’est l’aîné de la famille, parfois celui qui aura les moyens. Ce que je dis en général à mes patients en consultation: anticipez, organisez vous-même, ce sera moins compliqué pour vos enfants comme pour vous.

 

Entre orientation et désorientation

Caroline Bauer: Cette question du déni de finitude dont vous parlez est un sujet tabou dans nos sociétés et qui devient dramatique. Préparer cela à l’avance rendrait peut-être le sujet moins tabou?…

Quatrième intervenante: Pourriez-vous aborder la question des personnes qui souhaitent rester chez elles et des aides possibles (de la part des hôpitaux ou des infirmières qui viennent à domicile, par exemple)? Comment une famille peut-elle être orientée pour trouver les moyens les plus appropriés à telle ou telle étape de la vie?

Troisième intervenant: Concrètement, dans un Ehpad, comment faites-vous quand une personne commence tout juste à être un peu désorientée (car ce n’est pas blanc ou noir, on le devient petit à petit)? Je ne parle pas des gens qui sont complètement désorientées, qu’on place à un étage spécifique et qu’on enferme pour des questions de sécurité. Isoler quelqu’un qui devient désorienté, c’est aggraver son mal. Tant qu’on peut le laisser au milieu des autres, c’est mieux… mais on prend le risque qu’il prenne un jour la porte… Comment arrivez-vous à résoudre ce problème?

 

«Discerner ce que veut la personne»

Valérie Ducasse: Pour la première question sur les aides à domicile, il est certain que l’état d’esprit général est quand même de favoriser au maximum le maintien au domicile, sauf si effectivement le patient lui-même décide d’entrer en Ehpad (mais en général, ce n’est pas la première chose qu’on propose). Quand on reçoit le patient et sa famille, on propose différentes solutions en fonction de son état de santé. On explique que pour un retour à domicile, compte-tenu de l’état de santé du patient, il faudrait une infirmière pour les soins, une aide-soignante pour faire la toilette, mais aussi quelqu’un pour l’aider à faire les courses et les repas, du matériel… On évalue tout cela en fonction de l’état de santé et de l’état de dépendance. Quand il est en hospitalisation, il y a en général une assistante sociale qui l’aide en plus du médecin. On fait toujours ça en binôme parce que c’est en fonction de l’état de santé qu’on va évaluer les besoins et les aides existants car, comme je l’ai dit, il y a toujours l’aspect financier à prendre en compte. Des aides existent, en l’occurrence l’APA (Allocation personnalisée d’autonomie) en fonction du degré d’autonomie et des ressources financières de la personne. Elles permettent notamment un certain nombre d’heures d’aide au domicile. Pour tout ce qui est soin, cela peut être l’HAD (Hospitalisation à domicile) lorsqu’il y a vraiment des soins importants. Cela peut aussi être une infirmière libérale. Toute cette partition est prise en charge par la Sécurité sociale. Cela concerne aussi l’aide en termes de courses, de ménage, qui va pouvoir bénéficier d’un financement, souvent par le département. En fonction de l’état de santé de la personne, on lui propose donc ce qu’on appelle un plan d’aide personnalisé. Dans les villes, tout est organisé pour essayer d’avoir un guichet unique de manière à ce que les usagers puissent avoir un seul interlocuteur. Dans toutes les villes (dans les mairie), il y a en ce moment un DAC ou Dispositif d’appui à la coordination où on peut vous renseigner. Selon la situation de la personne, on va lui adresser les différents interlocuteurs et les différents dossiers à remplir. Le plus simple est d’aller à la mairie, au Centre d’action sociale où ils peuvent communiquer des informations. Les médecins traitants sont très au fait de ces aides et du DAC. Le médecin traitant est également un bon interlocuteur pour évaluer la personne au domicile et déclencher les aides si besoin car lui aussi connaît les interlocuteurs, les personnes qui peuvent se déplacer, évaluer la personne chez elle, évaluer les besoins en matériel, en aide humaine. En France, les choses sont relativement bien organisées, ce qui est une chance. On dit même parfois que c’est trop complexe: qu’il y a trop d’aides, trop de choses et que c’est compliqué pour l’usager de s’y retrouver! C’est vrai que, même quand on est professionnel, on a parfois du mal à savoir qui appeler, comment cela fonctionne… C’est pour cela qu’ils essaient de simplifier en donnant un numéro unique, le DAC.

Béatrice Birmelé: On peut accompagner énormément de personnes à domicile, selon leurs besoins et en particulier les besoins de soin: qu’il s’agisse des auxiliaires de vie, des SSIAD (Services de soins infirmiers à domicile) avec une aide-soignante, ou alors de l’hospitalisation à domicile. C’est même possible pour des personnes complètement dépendantes, complètement grabataires, qui sont parfois dans des situations d’extrême vulnérabilité. Quand j’ai commencé à travailler en hospitalisation à domicile, j’ai été très interpellée de voir des gens qui étaient tout seuls chez eux (je suis plutôt en campagne qu’en ville) et dont on possédait la clé du domicile via une boîte à code. La personne était exposée à tout le monde, dans une grande fragilité, une grande vulnérabilité, mais c’était son choix de rester. Il faut effectivement se coordonner, ce sont parfois des personnes qu’on n’a pas envie de voir, ce sont à chaque fois des personnes différentes (et c’est vrai qu’actuellement, il y a des tensions à cause du manque de personnel), mais je suis impressionnée de tout ce qu’on peut arriver à faire à domicile! Là aussi, on est dans l’idée de discerner, de déterminer ce que veut la personne. Certains seraient très inquiets ou angoissés à l’idée d’être tout seuls, à la merci de tout le monde… mais d’autres ont vraiment fait ce choix. Ces différents services qui existent permettent ainsi de répondre à la demande.

Bruno Carles: Je ne veux pas faire l’oiseau de mauvais augure mais dans mon territoire, il n’y a plus de médecins traitants, tous les SAAD (Services d’aide et d’accompagnement à domicile) sont déficitaires, personne ne veut y travailler… et le domicile lui-même n’est pas une garantie de bientraitance. L’accompagnement au domicile répond aux besoins mais pas forcément aux attentes: il y aura des élus et d’autres qui n’y auront pas droit. Ce n’est pas pour rien que les Allemands construisent des Ehpad en Pologne et les Européens au Maroc!… À cela s’ajoute le problème démographique; il faut bien se rendre compte qu’il y a un problème d’accès à ce qui existe!…

(Lire la suite de la table ronde)

Transcription effectuée par Pauline Dorémus

Illustration: Caroline Bauer, Anne Thöni et Valérie Ducasse lors de la convention du Forum 2022.

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