Un Goncourt indépendant - Forum protestant

L’attribution du Goncourt à un roman édité par la maison L’Iconoclaste confirme que les éditeurs appartenant à de grands groupes ont perdu le monopole des prix littéraires. Un des anciens responsables de l’édition française évoque ce changement d’époque avec Frédérick Casadesus.

Une chronique publiée sur Le blog de Frédérick Casadesus.

 

 

Laissons dormir au magasin des clichés David et sa fronde, le Petit Chose ou le Petit Poucet. Jean-Baptiste Andrea n’est pas ce que l’on nomme un perdreau de l’année, même si son rire plein de franchise reflète une certaine jeunesse. Il n’empêche que le roman qui lui vaut d’avoir obtenu le prix Goncourt 2023, Veiller sur elle, est édité par L’Iconoclaste.

Voilà qui démontre que les géants traditionnels de notre vie littéraire doivent désormais partager les prix de l’automne, cadeaux de Noël potentiels et donc enjeux considérables sur un plan financier, avec des éditeurs plus modestes.

Enfin, modestes… N’allez pas imaginer L’Iconoclaste installé dans un deux pièces-cuisine avec vue sur les Pyrénées, quelques brebis dans un pâturage et le terrain de rugby juste à côté – dommage pour ses salariés. Bien établie rue Jacob à Paris – dans les anciens locaux du Seuil, on ne saurait mieux dire – cette maison d’édition possède un catalogue solide et de très bons réseaux (d’écrivains comme de distribution). Reste que sa victoire symbolise un vrai changement de paradigme. Un des anciens responsables de l’édition française témoigne.

 

La mainmise des grands éditeurs, une époque révolue

«Le fameux trio dont on nous rebat les oreilles, Galligrasseuil, vocable inventé par l’écrivain Bernard Frank pour dénoncer la mainmise des grands éditeurs sur les prix littéraires, a bel et bien existé, reconnaît Bruno [son prénom a été changé NDLR]. Du temps d’Yves Berger (1931-2004), directeur littéraire chez Grasset, chaque année des négociations s’engageaient pour savoir à qui reviendraient le Goncourt, le Renaudot, l’Interallié etc. C’était un vrai marchandage. De temps en temps, pour la forme, on laissait gagner un autre éditeur, mais c’était exceptionnel.»

Encore devons-nous préciser que le système de distribution permettait aux géants de percevoir une part des bénéfices à prévoir: en 1984, lorsque Marguerite Duras obtint le Goncourt pour L’Amant, son éditeur, Minuit, était distribué par Le Seuil. Ce fut une manne pour tout le monde puisqu’il s’est vendu à 1,63 millions d’exemplaires.

 

Donner leur chance à tous les éditeurs

«Tout cela est terminé, sous l’impulsion de Bernard Pivot, souligne Bruno. Journaliste intègre et très populaire, l’animateur d’Apostrophes et de Bouillon de Culture, élu en 2004, a soutenu la démarche entamée depuis près de dix ans par Françoise Chandernagor afin que tous les éditeurs – ainsi que les auteurs – aient une chance de décrocher le prix Goncourt. Pour les petites maisons d’édition, ce fut une opportunité formidable.»

Autant l’avouer, Grasset comme Le Seuil ont fait les frais de cette évolution: les jurés Goncourt, en votant pour des auteurs de ces deux maisons, auraient le sentiment de rétablir l’ancien partage. Gallimard tire son épingle du jeu grâce à sa puissance économique, au prestige de son catalogue, à la collection de la Pléiade enfin, porte ouverte sur l’éternité littéraire.

 

Accompagner les jeunes maisons d’édition

«Les petites maisons d’édition, très nombreuses, donnent son dynamisme à notre vie champ littéraire, admet Bruno. Mais l’aventure peut-être périlleuse. Voilà pourquoi nous avons créé, pour elles, des incubateurs spécialisés. Une, deux ou trois personnes viennent nous voir avec une idée, nous leur apprenons à négocier un contrat d’auteur, à faire fabriquer un livre, à maîtriser les techniques du marketing. Après trois ans de travail, elles s’installent dans le paysage et construisent un catalogue aussi solide qu’attrayant.»

Les protestants devraient se lancer dans la course. Qui sait ? Peut-être qu’un jour Olivetan décrochera le prix Goncourt.

Mais à l’instant nous revient qu’André Gide et Jean Schlumberger, de familles calvinistes pur sucre, ont eux-mêmes eu l’idée, jadis, d’ouvrir un comptoir d’édition. Comme ils n’avaient pas le sens du commerce, ils ont confié la gestion de leur affaire à un dilettante qui ne payait pas de mine et ne semblait pas parti pour leur faire de l’ombre. Comment s’appelait-il déjà ? Gaston…Gaston… Gaston… Fatalitas, même les protestants sont édités chez Gallimard !

 

Illustration: les éditions de l’Iconoclaste, rue Jacob à Paris.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Lire aussi sur notre site