Écologie: sortir du manichéisme - Forum protestant

Réagissant à l’article d’Yves Roucaute (Le puits sans fond de l’écologie profonde), 3 membres du réseau Bible et Création refusent le «manichéisme fabriqué» entre «l’écologie du progrès et l’écologie profonde» puisque «ce n’est pas être contre le progrès, bien au contraire, que de se poser sans cesse la question du bon usage et de la finalité des outils dont nous disposons». Et proposent 5 points pour «sortir de ce manichéisme».

 

 

Il est difficile de réagir à un article où l’auteur manie, avec dextérité, le pamphlet, la stigmatisation et le mépris de tous ceux qui ne partagent pas sa propre idéologie sans tomber soi-même dans le piège d’une spirale de l’insulte! Il serait tout aussi dérisoire de répondre point par point à l’instrumentalisation de données scientifiques au profit d’un postulat «La santé impose le progrès donc les sciences, donc la croissance».

Ce postulat faisant l’éloge de la croissance réduit au rang d’idéologues tous ceux qui la remettent en cause, soit en prenant au sérieux le risque d’effondrement (dans le but de l’éviter!), soit en pronant la décroissance, ce qui est une simplification abusive. En effet, les opposants à la perspective de l’auteur ne se réduisent pas à ces deux catégories. On peut questionner la pertinence des innovations technologiques en termes de progrès sans être systématiquement opposé à la science! C’est même le cas de la plupart des scientifiques eux mêmes. Enfin les questions sociale et politique sont entièrement absentes du discours de M. Roucaute, sinon pour fustiger les rouges-verts au détour d’un paragraphe. Or, la question de l’accès au progrès a souvent à voir avec des problèmes de revenus, de répartition, d’aménagement du territoire , et la possibilité ou non du contrôle de ce progrès est une des questions majeures de la politique. De même, les positions écologistes sont très nombreuses et diverses, et la dichotomie entre l’écologie du progrès et l’écologie profonde dont parle M. Roucaute, est dénuée de la moindre réalité. Ce manichéisme fabriqué relève, ni plus ni moins, de la bonne vieille rhétorique du bouc émissaire, si utile pour détourner l’attention des vrais problèmes, pour éluder les responsabilités, pour éviter toute remise en cause d’un système dans la perspective d’un réel progrès des idées. La dénonciation d’une idolâtrie relève du même mécanisme de pensée, sans doute évoquée pour émouvoir un public protestant qui y est sensible. A ce stade, soulignons quelques points pour sortir de ce manichéisme.

 

1. L’effondrement ne signifie pas la fin du monde

C’est Arrhenius, chimiste suédois, qui a mis en évidence l’effet de serre du CO2 dans l’atmosphère à la fin du 19e siècle et qui, il y a près d’un siècle, a évoqué le risque d’effondrement. Cette notion a été reprise par de nombreux auteurs et en particulier par le rapport Meadows, commandé par le club de Rome en 1972, pronant la décroissance. L’effondrement dont il est question n’est pas celui de la planète ni même de l’humanité mais l’effondrement d’une civilisation née en occident, qui s’est imposée de manière impériale et a mêlé le meilleur sur le plan culturel et sociétal et le pire: colonialisme, esclavagisme, oppression des cultures considérées comme primitives. L’histoire de l’humanité montre que d’autres grandes civilisations, impérialistes elles aussi, se sont effondrées et malgré tout la vie se poursuit. On ne connait pas toujours la complexité des mécanismes qui ont abouti à l’effondrement des civilisations mais on sait aujourd’hui quel est le tendon d’Achille de la nôtre. Elle est dépendante de la fuite en avant d’une croissance technologique et industrielle illimitée qui épuise les ressources d’une planète limitée. Et la conséquence est que, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la faiblesse d’une civilisation a un retentissement planétaire tant sur les questions climatiques que sur la biodiversité. Notre civilisation saura-t-elle porter remède à cette faiblesse? Comment y parviendra-t-elle? S’effondrera-t-elle? Nul ne peut le prédire. Mais il est significatif et inquiétant que la prise de conscience de cette impasse conduise à stigmatiser de plus en plus ceux qui soulignent cette réalité et que, pour ne prendre que la question du réchauffement climatique, les mesurettes qui sont prises de manière dispersée sont loin d’être à la hauteur des discours sur la planète qui brûle et de ce qui serait nécessaire, ne serait-ce que pour tenir les engagements pris à la COP21.

 

2. Les méfaits d’un mauvais anthropocentrisme

Justifier une domination despotique et même parfois tyranique de l’humain sur la planète par le verset 28 du premier chapitre de la Genèse est un contresens terrible au vu de l’ensemble du contenu biblique. L’image suprême du Seigneur, celui qui domine, en tous cas pour les chrétiens, n’est-elle pas celle de Dieu qui s’est fait homme en Jésus-Christ pour se mettre au service de tous, jusqu’à accepter le procès injuste, la souffrance et la mort dans la perspective de la résurrection et d’un monde nouveau où le loup paitra avec l’agneau? Une image bien différente d’un homme qui instrumentalise, tue et détruit au seul profit de sa puissance et non au bénéfice de la vie. L’humanisme dont se réclame notre civilisation est une notion très ambiguë, louable lorsqu’elle appelle à la fraternité, au respect de toutes les cultures et de chaque humain, lorsqu’elle abolit la peine de mort, mais très perverse quand elle oublie son espérance d’universalisme, un idéal qui se dérobe toujours au moment de l’atteindre et qui vacille même dans les pays qui s’en réclament. Elle enferme alors dans un modèle qui hiérarchise, qui légitime la domination des humanistes, au centre, sur ceux qui ne le seraient pas, les bons et les mauvais. Et pourquoi pas ma culture, ma nation, ma ville…, moi-même au centre comme véritable modèle d’humanité? Un véritable humanisme serait de trouver la juste place de l’humain dans une interdépendance avec le reste du vivant et de la planète. C’est le mérite de l’écologie, en tant que démarche scientifique («science des relations des organismes avec le monde environnant, c’est-à-dire, dans un sens plus large, la science des conditions d’existence», Haeckel, 1873), depuis la fin du 19e siècle, d’avoir souligné cette interdépendance au sein d’écosystèmes, de maisons communes, remettant en cause la prééminence d’une espèce, d’un individu, d’un organe qui serait central… Cela ne remet pas en cause l’importance et le rôle particulier de chaque espèce et bien sûr de l’humain avec ses spécificités particulières qui ne lui donnent que plus de responsabilité par rapport à l’ensemble.

 

3. La santé

Le concept de santé a beaucoup évolué. Au début du 20e siècle, elle se définissait comme «l’aptitude au travail et à la jouissance»: belle adaptation à une société industrielle occidentale fondée sur la production et la consommation! En 1946, l’OMS ne définit plus la santé comme une aptitude ou une absence de maladie mais comme «un état de complet bien-être physique, mental et social» qui «ne consiste pas seulement en une absence de maladie et d’infirmité» (préambule de la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé). Tenant compte des diversités culturelles, l’OMS a rédigé en 1984 un nouveau texte où la santé n’est plus considérée comme un état mais comme une capacité d’adaptation: on parle de santé «dans la mesure où un groupe ou un individu peut, d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et, d’autre part, évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie». Aujourd’hui, on prend conscience qu’il ne peut pas y avoir de bonne santé pour l’humain sans qu’il y ait de bonne santé du vivant qui nous environne; l’exemple du microbiote intestinal, ces bons microbes qui favorisent notre système immunitaire, bien médiatisé ces dernières années en est un bel exemple. Réduire la santé à la dynamique d’une industrie pharmaceutique et des biotechnologies, même si elles ont leur part incontestable et indispensable dans le domaine de la prévention et des soins, est un raccourci très réducteur. D’ailleurs cette industrie pharmaceutique, dans sa version productiviste, n’est pas à l’abri d’erreurs se traduisant par un certain nombre de scandales sanitaires qui malheureusement la discréditent. Enfin, comme nous le rappelions dans l’introduction, le problème de l’accès à la santé a à voir directement avec la répartition des richesses (le coût de l’accès aux soins) et le caractère plus ou moins solidaire (l’existence d’une couverture médicale mutualisée, par exemple) d’une société. Et cela inclut aussi l’accès à l’eau potable, à une nourriture suffisante et équilibrée, à un logement salubre, à un air exempt de pollutions, au niveau de violence physique et psychique, etc.

 

4. La distinction entre progrès et croissance industrielle

L’auteur conclut son article par cette maxime: «La santé impose le progrès donc les sciences, donc la croissance». Quel raccourci de la part d’un philosophe! Que les connaissances soient un énorme bienfait, nul n’en doute, y compris dans les possibilités de mise au point de technologies nouvelles. Mais encore faut-il ne pas se laisser aliéner par la fuite en avant technologique selon les termes de Jacques Ellul. La technologie n’est pas une fin en soi mais doit rester un outil dans un but réfléchi et choisi: la permaculture par exemple répond bien aux objectifs de la santé. Il n’est pas sûr que de nouvelles techniques d’exploitation de ressources minérales au fond des océans voire dans des astéroïdes pour fabriquer de plus en plus d’armes de plus en plus performantes aillent dans le même sens… Il n’est pas sûr que l’accumulation de déchets induits par une course à la production soit bonne pour la vie… Il n’est même pas sûr que le développement incessant d’outils de communication ne finisse pas par avoir plus d’effets néfastes que de bénéfices et la vie quotidienne nous montre malheureusement qu’ils servent trop souvent à isoler dans des bulles communautaristes autour de fake news plutôt qu’à s’ouvrir à la richesse de la diversité. Ce n’est pas être contre le progrès, bien au contraire, que de se poser sans cesse la question du bon usage et de la finalité des outils dont nous disposons. Ce n’est pas non plus être contre les sciences que de s’interroger sur les orientations que peut leur faire prendre une économie dominée par une logique exclusivement financière.

 

5. L’idolâtrie

Nous rejoignons par contre tout à fait l’auteur dans sa dénonciation de l’idéologie en la rapprochant plutôt du terme théologique d’idolâtrie ce qui nous parle plus que la rime douteuse soulignée par l’auteur entre idéologie et écologie (l’emballement du logos peut conduire au dérapage de la plume!). Paul dans sa lettre aux Romains définit fort bien l’idolâtrie: «Ceux qui ont changé la vérité de Dieu en mensonge et qui ont adoré et servi la créature plutôt que le Créateur» (Romains 4,25). Notons que la créature peut être comprise comme la nature, gaïa, et certains ne se privent pas d’en faire une idole, mais en tous cas pas Arne Naess qui a introduit le terme d’écologie profonde, ni même le pape François qui prône une écologie intégrale. La créature idolâtrée est bien plus souvent l’homme qui se proclame tout-puissant, qui est certain d’avoir réponse à tout dans sa confiance inébranlable dans la course au progrès technologique. Prenons exemple sur les véritables scientifiques qui s’astreignent à l’humilité de la recherche, mettant en question toutes les hypothèses et se méfiant avant tout des certitudes. Pour les croyants, gardons l’humilité devant Dieu, le créateur, le Dieu d’amour auquel nous croyons et en qui nous mettons notre espérance d’un monde nouveau. Cette foi que nous avons nous engage à y travailler. Il y a alors toute la place pour un progrès de nos intelligences et de notre discernement, pour une croissance humaine qui ne repose pas sur une croissance industrielle et qui soit porteuse de vie.

Roger-Michel Bory, Robin Sautter, Vincent Wahl, membres du réseau Bible et Création de l’Église protestante unie de France.

 

Illustration : gerbes de blé destinées à servir de chaume dans un champ du Devonshire (photo CC-Mark Robinson).

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