Qui sont les repentis du djihad? - Forum protestant

«J’ai compris ce qui m’était arrivé.» «J’ai pensé: ce n’est pas ça la religion.» Un jeune homme (11 ans de prison), une jeune femme (5 ans) témoignent de pourquoi ils sont partis s’embrigader en Syrie et pourquoi ils ont préféré revenir ici purger leur peine.

Texte publié sur le blog de l’Aumônerie protestante des prisons.

 

 

La prison est aussi un lieu de déradicalisation, grâce aux témoignages des détenus repentis.

Si de nombreux djihadistes ont commis, au nom de Daesh, des attentats et des assassinats aussi bien en Syrie qu’en France ou dans d’autres pays, il n’en est pas moins que certains d’entre eux ont pris conscience que ces actes étaient des crimes contre des individus et contre l’humanité. C’est pourquoi ils ont décidé de leur plein gré de revenir en France, pour se repentir des actes auxquels ils ont pu participer.

À l’image des personnes qui ont été embrigadées dans des sectes religieuses, telles que l’Ordre du temple solaire, et qui ont pu en sortir, ou bien des celles qui ont été recrutées par la Mafia et ont réussi à lui échapper, ces repentis racontent avec lucidité et amertume leur parcours au sein de cet état totalitaire et criminel.

Âgé de 28 ans, ce jeune homme purge une peine de onze ans de prison, pour avoir rejoint Daesh en Syrie.

«Ça m’a fait du bien de dire la vérité, de payer mes dettes, pour me réinsérer. Maintenant, la prison, je comprends pourquoi, j’ai envie de purger ma peine. La vidéo qui m’a touché, c’est la guerre entre Bachar (le président syrien) et le peuple syrien. Il massacrait les civils, les femmes et les enfants, je voulais les aider. Avant le départ, on savait que c’était un pays en guerre, on savait qu’on pouvait mourir, mais on ne voulait pas y penser.

Je n’avais pas reçu d’entrainement, mais ils m’ont quand même envoyé sur le front, il y avait des affrontements avec les soldats de Bachar. J’ai pris une balle dans le dos. En fait, j’ai l’impression qu’ils voulaient nous envoyer au suicide, de la chair à canon, d’autres Français que je connaissais sont mort. La balle que j’ai reçue, ils m’ont dit que c’est une épreuve d’Allah, que je devais repartir au combat.

Après ma blessure, à l’hôpital, j’ai lu un hadith qui disait que vers la fin des temps, il y aurait un groupe, ils se prétendraient de l’EI mais ne seraient pas dans le droit chemin. Ça m’a fait un choc. Ma mère me manquait, je ne voulais pas mourir, je n’acceptais plus ce que j’ai vu là-bas: beaucoup d’injustices, des Français qui se faisaient enfermer parce qu’ils étaient français, des musulmans exécutés parce qu’ils protestaient. J’ai compris ce qui m’était arrivé, les morts, la blessure. J’ai voulu repartir, j’ai rencontré un chauffeur de taxi, il m’a amené à la frontière et des Syriens m’ont aidé à fuir. Pour préparer ma fuite, j’ai vendu mon ordinateur.

Dans ma tête, je suis trop influençable. Quand j’ai vu les premières vidéos, je n’allais pas bien, je sortais d’un divorce, je fréquentais des mauvaises personnes, j’étais attiré par n’importe quoi. Daesh, au début, on croyait tous que c’était un état islamique, on nous a vendu du rêve. Maintenant, je sais que c’est des criminels, je le dis parce que je les ai vu, je les connais.»

Âgée de 27 ans, cette jeune femme a été incarcérée pendant cinq ans à son retour de Syrie.

«À l’âge de 16 ans, je suis tombée enceinte. Ça n’a pas plu à ma famille, mon frère ainé m’a battu, toute ma famille est pratiquante, ils me considéraient comme une prostituée. J’ai fait un mariage religieux, mais ça n’a pas suffi. Pourtant, j’admire vraiment mon père, il nous a élevés alors qu’il était pauvre et illettré. Son décès, peu de temps après la naissance de mon fils, ça a été un choc. J’ai cru que c’était un peu de ma faute, à cause de ce que j’avais fait. Je ne lui arriverai jamais à la cheville, il était illettré, moi je suis lettrée, j’ai voulu apprendre. Le père de mon fils, il n’a jamais été présent, il m’a abandonné dès le début. J’ai eu un moment de faiblesse, besoin de quelque chose qui me fasse me sentir bien, il y avait la religion dans ma vie, j’ai cherché. J’ai vu les vidéos de Daesh, on entend les hadith, ils disent que c’est les meilleurs pères car ils sont droits, courageux, ils respectent la famille, on veut être parmi les meilleurs.

Mon mari, je l’ai rencontré sur Internet et je suis parti le rejoindre. On vivait dans un petit village, loin des bombardements. Un jour, mon mari est revenu de la mosquée en me disant qu’un homme dont ils croyaient qu’il avait blasphémé allait recevoir 300 coups de fouet. On a été choqué, j’ai pensé: ce n’est pas ça la religion. On ne punit pas comme ça. Un jour, dans une maison avec d’autres femmes, un homme avait posé la tête coupée d’un ennemi pour faire peur. Il voulait faire peur, mais les autres femmes ont ri. Une femme a pris une photo pour se faire un selfie avec. J’étais la seule à protester que ce n’était pas bien, que ce n’était pas dans la religion. Je leur ai dit: «Vous jouez à quoi? vous faites ça devant les enfants?» J’ai vu des enfants jouer au foot avec des têtes coupées, ça m’a dégouté, ils n’avaient plus aucun repère. Je ne voulais pas ça pour mes enfants: mon mari et moi, on a décidé de rentrer en France.»

En détention, ces détenus repentis témoignent auprès de leurs compagnons de cellule et de ceux qu’ils croisent en cours de promenades de la réalité de l’emprise totalitaire et criminelle que Daesh a eu en Syrie. La force de conviction de leur discours est d’avoir pu y vivre, et leur témoignage n’est pas que celui d’un parcours de vie, mais aussi celui de la possibilité de la repentance et de la rédemption.

 

Illustration: familles prisonnières en mars 2019 dans le nord de la Syrie après la prise d’une ville jusque là contrôlée par Daesh (Voice of America).

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