La culture poétique de la foi - Forum protestant

Non pas «transmettre un enseignement, mais les mots du cœur pour incarner la réalité de l’espérance»: le cinquième Festival international de poésie de la foi a eu lieu ce printemps à Cannes et permis encore une fois d’«explorer les ressources toujours nouvelles du langage pour dire la foi», comme le rappellent ici, rassemblés par Jacqueline Assaël, les témoignages de Jean Alexandre, Marie-Christine Gay, Olivier Millet, Yves Ughes, Inga Vélitchko et Jacqueline Wosinski.

 

Un Festival de poésie de la foi: une nécessité

Depuis cinq ans, un Festival international de poésie de la foi se tient chaque année dans une paroisse de l’Église protestante unie de France, mis en œuvre par les Éditions Jas sauvages et soutenu par les instances du protestantisme: Conseil régional de l’Église protestante unie de la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur, Consistoire Côte d’Azur et Corse, Fondation pour l’Aide au Protestantisme réformé, etc. Surtout, chaque fois, une paroisse se mobilise, avec ce que cela implique d’efforts pour organiser le séjour et la restauration des intervenants et convives, ainsi que l’accueil du public. Forcément, tout le monde est concerné: pasteurs et paroissiens. Rien n’est véritablement institutionnalisé, puisque l’initiative vient de la base et qu’elle est renouvelée dans de nouveaux lieux, presque à chaque fois. La route est passée de Marseille à Grasse, puis à Nice, encore à Marseille et tout dernièrement à Cannes. Chaque fois, un petit miracle se produit et se reproduit: une paroisse se déclare candidate et entreprend l’aventure, souvent persuadée par des acteurs des éditions antérieures qui, enthousiasmés, veulent susciter des prolongements et ne pas voir cette histoire s’interrompre.

Commençons par la fin: une édition vient de se terminer à Cannes et déjà public et intervenants se soucient de préparer une nouvelle session du Festival, de stimuler les responsables d’Églises et de paroisses. Il suffit pour s’en rendre compte de lire les témoignages de Marie-Christine Gay:

«Je remercie les organisateurs de cet événement très original et fédérateur autour de la foi. Je pense que des événements de cet ordre sont une source d’enrichissement permanent et j’engage les personnes ancrées dans la foi à apporter leur contribution à cette rencontre annuelle».

d’Inga Vélitchko:

«Je suis tellement passionnée par ce type d’événement que j’attends désormais le prochain Festival».

ou d’Yves Ughes, évoquant avec quelque humour et évidemment non sans poésie, notre manifestation qui ne prétend pas faire concurrence à un autre Festival de Cannes bien connu, mais qui n’hésite pas, tout de même, à s’y référer en proposant sa tonalité particulière, spirituelle, quand il s’agit de choisir son titre, Palmes et psaumes:

«Nous avons ainsi vécu un autre festival, dans cette belle ville de Cannes. Le principe étant nomade, nous avons quitté les palmiers avec un peu de nostalgie, mais en pensant déjà à un autre lieu pour l’année prochaine. Vers d’autres plantations ? Des palmiers aux oliviers, par exemple ? Les arbres ponctuent toujours un chemin spirituel».

Et Jacqueline Wosinski, fidèle festivalière, a des formules particulièrement fortes pour dire son attachement à ce Festival de poésie:

«Au moment de se séparer après quatre jours de fête, à ma remarque « J’ai l’impression d’avoir retrouvé ma patrie », Jacqueline Assaël, l’instigatrice de cet événement, a répondu « Moi aussi ». Alors, à l’année prochaine !».

 

Un Festival qui rassemble et qui réunit

Pourquoi ce besoin de se retrouver autour de la poésie ?

Il faut tout d’abord peut-être remarquer que les contributions recueillies, facilement et en nombre, pour faire l’éloge de ce Festival proviennent de personnes venues d’Églises, de régions et d’horizons différents. Elles sont, plus largement, représentatives de la variété du public: Marie-Christine Gay se présente comme une laïque, rattachée à la paroisse catholique de Notre-Dame de la Sagesse de Sophia-Antipolis, auteure en poésie et animatrice en atelier d’écriture; Olivier Millet, professeur de littérature du 16e siècle et auteur de travaux sur la Bible est venu de la paroisse protestante de Paris-Annonciation; Jean Alexandre apporte de la région de Montpellier ses réactions de pasteur émérite à une expression de la foi qui passe par le canal de la poésie; Jacqueline Wosinski a fait le voyage depuis Sisteron; elle détaille ainsi ce qui l’attire dans ces Festivals:

«Adventiste, je fréquente un groupe de maison de l’EPU des Alpes du Sud dans la vallée du Buëch où je me suis récemment installée.

Plutôt timide, je me suis aventurée au deuxième Festival de poésie de la foi poussée par mon besoin de trouver un compagnonnage en poésie qui corresponde à ma sensibilité. J’ai également participé aux suivants et pour cette cinquième édition, j’ai amené une amie».

Inga Vélitchko, chercheuse en littérature à l’Université de Paris VIII, dit son intérêt pour le contenu du programme:

«Je viens de Russie, je suis de culture orthodoxe, pour moi, la poésie est un miracle religieux; je fais des études universitaires sur les structures de la poésie. Pour moi, ce Festival est enrichissant sur le plan personnel et professionnel parce que la poésie qu’on y entend touche les émotions et, en tant que chercheuse, je trouve toujours des sujets formateurs et instructifs».

Effectivement, tout le monde se retrouve dans un climat chaleureux et fraternel, dans une manifestation ambitieuse par son ampleur et son contenu qui pour autant n’écarte personne, quelle que soit sa formation antérieure, à partir du moment où l’on est prêt à explorer les ressources toujours nouvelles du langage pour dire la foi. Yves Ughes souligne l’accessibilité des propos:

«Rien de fermé pourtant dans ces rencontres, aucun jargon susceptible de provoquer l’exclusion par la sophistication pédante.

La langue travaille ici les problèmes, avec clarté et profondeur, dans un partage authentique. Gageons que la culture protestante n’est pas étrangère à cette qualité installée dans les échanges.»

Et Jacqueline Wosinski atteste qu’il a réussi pour sa part à atteindre cet objectif par l’inventivité et la fantaisie de ses approches littéraires quand il dit sa gratitude envers la vie:

«Ce festival s’est terminé par un bouquet poétique offert par Yves Ughes: patois niçois, dialogue absurde, objets et musiques divers, images codées dans un parcours mémoriel allant d’un arrière-grand père à une petite-fille. Ces détails illustrent le fait que la poésie est vivante, aussi réjouissante qu’émouvante. Si nous prenons la poésie au sérieux, nous ne nous prenons pas au sérieux; tellement rafraîchissant !».

Elle a retenu aussi la modernité du langage que les intervenants du Festival souhaitent mettre en œuvre et encourager pour annoncer la Parole:

«Avec Jean Alexandre qui le dit mieux que moi dans ‘Dieu et son aide’ (Éd. Jas sauvages, 2024), je crois que la poésie permet de trouver un langage contemporain non pas pour transmettre un enseignement, mais les mots du cœur pour incarner la réalité de l’espérance. Les poètes et poétesses entendus lors des ateliers m’inspirent en articulant avec sincérité, simplicité, le monde d’aujourd’hui et leur chemin intérieur.»

Tous ces éléments, qui conjuguent recherche subtile de la musique des sons et de l’expression des sensations presque indicibles ou des sentiments très personnels inspirés par la foi, sans vouloir asséner des vérités toutes faites ou des phrases galvaudées, touchent l’attention, l’intérêt des auditeurs. C’est ainsi qu’une communion se crée entre les intervenants et le public. Jean Alexandre s’en réjouit, d’autant que cette adhésion prouve l’adéquation de la poésie pour exprimer la foi:

«En tant que pasteur et théologien, venant de la région de Montpellier, je savais, au vu du programme proposé que le Festival de Cannes serait passionnant et il l’a été. Non seulement par la qualité de la poésie partagée, y compris en russe, en hébreu et en espagnol, mais aussi par les temps de formation dispensés à un public extrêmement concerné, vibrant et parfois enthousiaste. Cela fait chaud au cœur. Mais cela a montré aussi à quel point la poésie, le poème, sont des modes d’entrée vers les Écritures bibliques en ce sens qu’il existe, comme le disait Paul Ricœur il y a déjà cinquante ans, une étroite proximité entre l’évangile et le poème. Je vois là une avancée dans l’ordre d’une spiritualité à la fois profonde et heureuse».

 

Une poésie vivante, exigeante et dense

Olivier Millet insiste lui aussi avec bonheur sur la spécificité de la poésie, dans son oralité, pour s’adresser à quelqu’un, et lui transmettre, avec les accents d’une humanité fraternelle, l’esprit de la louange et de la foi:

«La poésie nous libère des habitudes et des contraintes, celles de la langue, des relations avec les autres et de notre regard ordinaire sur le monde. Que dire alors d’un festival de poésie tel que celui qui a de nouveau eu lieu, cette année, à Cannes ! Deux, trois, quatre jours durant lesquels on peut, à sa guise, selon ses horaires et ses intérêts, rejoindre un groupe, écouter des poèmes, de la musique, des conférences qui ont tous pour focus la vie de la poésie ! Dans ces festivals annuels, j’apprécie en particulier la diversité du programme, les liens d’amitié qui se nouent autour de lui, la présence de la musique et, lors du culte du dimanche, les psaumes lus et chantés et la prière qui en reprend les accents. Surtout, entendre de la poésie, au lieu de simplement la lire dans un livre, est une expérience régénérante. Une voix, celle du poète lui-même ou celle d’un lecteur, donne vie au rythme, aux images et au message du poème. Non pas une voix enregistrée ou diffusée sur une machine, radio, télévision, cinéma ou autre écran, mais la voix de quelqu’un qui incarne, durant quelques secondes ou quelques minutes, le poème devant nous. De manière analogue à ce qui se passe lors d’un culte, quand la Parole de Dieu redevient parole à partir des textes grâce à la lecture, à la prédication et à la prière, à la musique et au chant, le poème est livré lors de ces festivals comme une parole vivante. On le rencontre en tout cas dans son intention de s’adresser à nous. Cette analogie avec le culte est un des liens qui caractérise ces festivals dans leur thème et leur objectif: faire converger librement poésie et foi».

Il est vrai que les interventions s’articulent autour du culte du dimanche matin, puisque le Festival s’étend désormais du jeudi au dimanche après-midi. La frontière n’est pas étanche entre le culturel et le cultuel. Cette année, le pasteur Barbéry a construit la liturgie et le développement de sa prédication sur la lecture et le commentaire de psaumes. Mais une distinction claire est à faire. Nos poèmes modernes portent une parole de foi individuelle, tandis que la parole religieuse installe l’assemblée dans la sûreté d’une tradition ecclésiale. Le public a apprécié à la fois que la spiritualité de l’Église ne cède pas le pas à une autre forme d’expression et que, d’autre part la paroisse de Cannes ait su favoriser l’épanouissement d’un autre temps paroissial où l’écoute des poètes puisse s’aiguiser et se développer, le temps du Festival.

Si la poésie de la foi revendique une place en Église pour célébrer Dieu à sa manière, originale, intime et personnelle, encore faut-il qu’elle le fasse dans le recueillement, de manière exigeante, avec le souci de produire le meilleur d’elle-même, comme une offrande. C’est une condition minimale.

Sur ce plan, les réactions du public sont rassurantes et encourageantes pour les organisateurs. Ainsi, Marie-Christine Gay déclare:

«Je participe au Festival de poésie de la foi depuis l’année dernière. J’ai été éblouie par la qualité des interventions et des échanges entre les participants».

Jacqueline Wosinski approuve l’introduction dans ces Festivals de conférences proposées par des spécialistes sur les représentations de la littérature protestante des siècles passés et l’accompagnement musical donné par des virtuoses du piano, du violon, de l’orgue ou de la flûte:

«Il me faut encore mentionner les conférences sur les géants de la poésie protestante qui me donnent une assise ou les récitals poético-musicaux qui, grâce à des interprètes de renom, m’enchantent».

Inga Vélitchko souligne pour sa part la ligne solide de la pensée collective qui guide l’organisation de ce type de manifestation:

«Ce Festival, le 5e d’une série, marque une étape dans la genèse d’une action. Il a un profil déjà élaboré, il possède sa ligne esthétique, poétique et intellectuelle».

Au total, ces Festivals me paraissent importants parce qu’ils correspondent à ce qu’une partie non négligeable du public de nos Églises attend: un travail de la pensée, pour affermir et approfondir la foi. Ce public a mobilisé son attention pendant des heures d’écoute, pour ne rien perdre de ce qui s’est dit, dans la rigueur et la ferveur, la science et l’inspiration des intervenants. Il a accepté de se concentrer, longtemps, pour se former aux exigences d’une expression de la foi actuelle, authentique et profonde, avec la conscience de pouvoir ainsi faire connaître à d’autres les saveurs d’une pensée chrétienne; il a été d’accord pour s’entraîner à creuser et cultiver le champ de sa spiritualité. Comme intervenante, Marie-Christine Gay évalue très positivement ce que lui a apporté ce Festival:

«J’ai eu l’opportunité d’intervenir cette année dans un domaine qui me passionne: les ateliers d’écriture. Cette intervention m’a permis d’approfondir encore ce domaine au regard de ma foi.

Je suis également intervenue sur le psaume 138-139 avec le pasteur Christian Barbéry sur le thème de la psalmothérapie. Ce travail m’a permis de creuser un domaine qui ne m’est pas familier mais qui m’a beaucoup enrichie au niveau spirituel».

Yves Ughes résume le bien-être tous azimuts que cette réalisation commune offre à tous les participants:

«Ce 5e Festival Poésie de la Foi s’est tenu à Cannes, du 11 au 14 avril.

Il a tenu la promesse des précédents et les a amplifiées.

L’esprit est ouvert, et la parole à la fois dense et pertinente. Chacun sort enrichi de ces échanges centrés autour de la langue: dans quelle mesure peut-elle dire la Foi, et comment ? Les approches sont multiformes: conférences, ateliers d’écriture, lectures de textes poétiques, travaux d’exégèse, poésie-narrative et randonnée poétique… une palette ouverte et offerte pour associer intelligence et plaisir.

Le problème posé: poésie de la foi, se révèle toujours plus riche et dense. Chaque festival ouvre de nouvelles voies et l’occasion nous est ainsi donnée d’approfondir des domaines essentiels, ceux de la création, de la traduction, de l’écriture et des réécritures».

Merci aux paroisses et aux instances religieuses qui tiennent compte des aspirations des fidèles à formuler, en Église, le sens de leur foi de sorte à le partager avec sensibilité, liberté, recherche, précision et densité, de manière toujours renouvelée, comme sait le faire la poésie, dans son ambition littéraire.

 

Illustration: lecture poétique en plein air, non loin du Mémorial Huguenot, aux îles de Lérins, lors du 5e Festival international de poésie de la foi à Cannes.

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