Le travail a-t-il un sens?
Première sélection (sur huit) de textes à lire pour enrichir le débat sur le travail en prévision de notre convention cet automne et première question (sur huit) parmi celles que la crise sanitaire n’a fait que rendre plus vives: le travail a-t-il encore un sens (à part celui de s’occuper) ou une utilité (à part celle de fournir une rémunération)?
Dans le prolongement de la parution du prochain numéro de Foi&Vie sur Le travail: entre contrainte et vocation, et en attendant notre convention cet automne sur le même sujet, le Forum participe avec Regards protestants, Campus protestant et Musée protestant à la réflexion, avivée par la crise sanitaire qui a accéléré des tendances déjà à l’œuvre et fait comprendre à tout le monde que le travail était décidément en train de changer. Habitués à relayer sur Twitter, sur Facebook, dans notre newsletter, des textes et des réflexions qui approfondissent et font avancer le débat, nous en proposons ici un premier échantillon autour d’une première question: le travail a-t-il encore un sens (à part celui de s’occuper) ou une utilité (à part celle de fournir une rémunération)?.
Des chasseurs-cueilleurs aux boulots à la con…
L’interrogation sur l’utilité de ce à quoi l’on travaille ne date pas du premier confinement qui a brutalement scindé le monde du travail entre première ligne (travail contre la pandémie), deuxième ligne (travail pour que la société puisse continuer à fonctionner) et troisième (télétravail) voire quatrième lignes (inactivité). Depuis plusieurs années, la technicisation et la complexification croissante des tâches et des compétences en même temps que la course à l’automatisation et la procédurisation ont déclenché un peu partout des réflexions sur ce monde étrange où l’on est souvent incapable de faire comprendre à quelqu’un d’autre ce que l’on fait et à quoi cela sert. D’où d’abord la recherche de comment tout cela a pu commencer, en remontant très loin dans le temps et l’espace comme l’anthropologue américain Jame G. Scott qui examine pourquoi les sociétés passent à l’agriculture (premier travail), à l’écriture et à l’État et les multiples révolutions que cela occasionne («Le monde des chasseurs-cueilleurs était un monde enchanté», entretien avec Jean-Christophe Cavallin). Ensuite en analysant de manière décapante les révolutions actuelles du travail et de l’économie comme le sociologue lui aussi américain (et lui aussi anarchiste) David Graeber, mort l’an dernier et dont les boulots à la con (bullshit jobs) ont fait le tour du monde (‘Graeber en plein vol’, Ulysse Lojkine).
…et à la perte de sens
Le bullshit job, c’est un travail dont on ne voit pas le sens. Cette perte du sens du travail, après tant d’autres dans notre ultra-modernité, interroge avant («Dans nos sociétés définalisées, on ne sait plus pourquoi on travaille», l’analyse du désengagement professionnel par l’économiste Nicolas Bouzou; ‘Pourquoi le travail est-il devenu absurde?’, utile tour d’horizon de la réflexion par Hubert Guillaud qui pointe à la fois la technicisation et la crise du management) comme après le premier confinement (‘Crise du travail ou crise de sens?, Élodie Chevalier qui note que ce désenchantement touche particulièrement les cadres).
Des solutions pour retrouver du sens?
Mais on ne peut jamais tout à fait désespérer de la situation et il faut bien chercher une issue, une sorte d’amélioration pour lesquelles les idées ne manquent pas. Du côté du secteur marchand, il y a l’impression que la recherche du profit en roue libre n’a fait qu’aggraver la crise écologique, fragiliser l’économie et la société. Et si l’entreprise, au tournant des années 1980 et 1990, s’était trompée de voie? Si on donnait d’autres missions à l’entreprise (et au travail) que la création de richesses? Pour le sociologue Daniel Bachet, cela passe, plus que l’entreprise à mission créée par la loi Pacte, par de profondes mutations comptables (voir son entretien avec Jean Bastien à propos de son livre Reconstruire l’entreprise pour émanciper le travail). Une entreprise à mission dont le succès reste encore d’ailleurs pour le moins confidentiel comme le montre l’article de Camélia Echchihab.
Plus largement, ces réflexions rejoignent le souci de nombreux économistes de rendre le système moins incontrôlable, en particulier en matière de dégâts environnementaux. Cela va d’un appel à réencadrer l’économie comme le fait Anton Brender pour qui le capitalisme doit être «guidé» car «il est aveugle à tout ce qui n’est pas marchand» (lire son entretien avec Jean Bastien sur son livre Capitalisme et progrès social) aux travaux sur l’économie circulaire dont les «lacunes» sont pointées par Boris Chabanel (‘Quand circularité ne rime pas avec soutenabilité’).
Car la révolution passera peut-être d’abord plus par les têtes que par les organisations et on peut en voir comme les prémices avec la mutation mentale constatée dans son milieu et sa génération par Alexis Feertchak («Décroissance heureuse à l’horizon?»). Car après tout, «il est parfaitement possible de vivre comme un réel enrichissement une décroissance comptable»…
Illustration: dépose passagers pour les tours Cœur Défense (photo Patrick Janicek (CC BY 2.0)).