Analyse d’un livre d’or
Quinze aquarelles, treize textes, une exposition pour «diriger le regard vers les poèmes, après un coup d’œil spontané vers les formes et les couleurs». Dans son livre d’or, la preuve que le concept a été identifié: «Les aquarelles en écho aux poèmes, à moins que ce ne soit le contraire. Pour finir les deux se soutiennent». Et des réponses aux questions à l’origine de ce concept.
La paroisse de l’Église protestante unie de Valleraugue a accueilli mon exposition Drailles: chemins de transhumance vers la foi, pendant tout le mois d’août 2024. Cette exposition est composée de 15 aquarelles représentant des paysages cévenols, dont beaucoup sont situés dans la Gardonnenque, et de 13 textes qui sont pour la plupart des poèmes dessinant un parcours de foi largement inspiré par le souvenir des Camisards.
Désarmé j’ai passé
Le Pont des Camisards
Perdu parmi les chèvres
Prononçant
Quelque part
Le doux nom des Cévennes
Pour abreuver
L’écorchure des pierres
(Extrait de De l’âpreté des drailles (1))
Dans mon idée première, l’association des deux arts avait pour but de diriger le regard vers les poèmes, après un coup d’œil spontané vers les formes et les couleurs. Car tout le monde sait bien que la poésie tient souvent à distance, malgré elle, des personnes qui croient devoir forcément s’attendre à trouver en elle le ronron jugé ennuyeux de ses rimes ou l’obscurité de formules absconses.
On ne peut pas se résigner à cette défaveur car le genre poétique est le mieux adapté à l’expression littéraire de la foi, ce sentiment indicible qu’il est possible d’approcher au mieux à travers les associations déconcertantes de mots inattendus. Alors la correspondance entre les images et les textes constitue peut-être un moyen d’éclairer un éventuel flou artistique des formules poétiques en faisant miroiter une vision concrète du réel à laquelle les mots s’appliquent et qu’ils commentent, à leur manière.
Mon exposition avait déjà été accueillie dans la paroisse de Nice-Saint-Esprit, de la Pentecôte à la fête de la Réformation 2022. Le président de son conseil presbytéral, Julien Giraud-Destefanis, aussi chercheur en lettres modernes sur la littérature protestante, avait rapproché le procédé de combinaison entre aquarelle et poésie de la technique de l’emblème, un genre caractéristique de la littérature réformée du 16e siècle, qui surimprimait ou juxtaposait un verset biblique ou une phrase édifiante à une image de piété. Pour lui, mon exposition en proposait une forme renouvelée. Il s’agissait en quelque sorte de classifier ce procédé d’arts croisés, en matière de représentation de la foi.
De fait, les visiteurs ont relevé la particularité de cette exposition et ils l’ont identifiée comme un concept artistique. Ainsi, dans le livre d’or que la paroisse avait installé à l’entrée du temple, une personne souligne la complémentarité des éléments picturaux et textuels et leur valeur interchangeable, à l’initiative du processus imaginatif. Elle évoque «les aquarelles en écho aux poèmes, à moins que ce ne soit le contraire. Pour finir les deux se soutiennent».
Les commentaires de ces visiteurs répondent très précisément aux questions que je soulevais ou que je me posais dans un article intitulé ‘La visée esthétique du huitième jour’, publié dans le volume collectif Et Dieu créa les arts, parmi les contributions réunies par les enseignants de l’Institut protestant de théologie (2). Les peintures ayant été réalisées après coup par rapport aux poèmes, je me demandais si cette temporalité secondaire ne les subordonnerait pas à la poésie
«car mettre un art au service d’un autre, seulement pour l’éclairer indirectement ne constitue pas une entreprise vraiment satisfaisante; elle n’accorde pas une dignité plénière à chacune des composantes» (3).
Et d’autre part, je m’inquiétais un peu du pouvoir d’une simple peinture figurative pour suggérer les impressions de la foi: «Dans une exposition réunissant en regard des aquarelles et des poèmes, le poids des mots ne dévalorise-t-il pas l’aphasie de la peinture ?» (4). Sur ce point, une autre visiteuse m’a répondu en formulant l’idée que, pour elle, une pensée se dégageait des mots, mais aussi des couleurs. Elle parle d’un «regard dont on sent qu’il est inspiré par une pensée qui dépasse les mots, les couleurs, les ombres et les lumières».
J’ai été vraiment assurée par les diverses impressions déposées dans les pages du livre d’or que l’accès direct aux images picturales n’occultait pas le texte des poèmes exposés à côté, ne dispensait pas de leur lecture, mais qu’il y invitait peut-être plus activement encore, avec une curiosité avertie. Certaines personnes ont même relevé des vers qui leur ont parlé et qu’elles ont retenus: «Très inspirante visite que ces images et ces textes, surtout celui-ci: ‘Parce qu’il n’y a pas d’autre issue que la lumière’ (5)».
Dans ce cas, le regard du public rassure aussi l’éditrice de poèmes de spiritualité protestante que j’ai entrepris d’être, depuis quelques années. Ces commentaires me montrent que, même à notre époque où les messages sont censés devoir s’imprimer dans les esprits rapidement et en deux mots, il est toujours possible de cueillir ou de recueillir l’attention de passants, au fil d’une exposition, et de les mettre en arrêt devant une phrase qui appelle un temps de méditation. La littérature conserve intacte sa vertu de partage profond en humanité.
Elle fait aussi intervenir un élargissement vers une histoire commune. À Valleraugue, mon chemin personnel de transhumance s’est retrouvé en quelque sorte dans son milieu naturel cévenol, mais certains visiteurs l’ont aussi décentré vers l’expression d’une histoire universelle. Une des remarques du livre d’or l’inclut dans l’ensemble des expériences humaines et des parcours de foi. Elle note: «Un regard très précis, aussi très coloré, qui relate l’histoire de l’humaine condition dans son ensemble…».
Finalement, au bout de l’itinéraire de la rencontre artistique, plus rien n’apparaît compliqué: l’entente se noue entre les œuvres et le regard des visiteurs, très intuitivement, avec beaucoup d’acuité et de justesse et avec une sympathie bienveillante et bienfaisante qui abolit toute prévention.
Illustration: le temple de Valleraugue (Office de Tourisme Mont Aigoual, CC BY 2.0).
(1) Jacqueline Assaël, De l’âpreté des drailles, suivi de Louange du Pont des Chèvres, Frontignan, Encres Vives, 20242.
(2) Et Dieu créa les arts, vol. 6, Lyon, Olivétan (À voix haute), 2023.
(3) Loc.cit., p.90.
(4) Loc.cit., p.96.
(5) Extrait du recueil Frère de silence, Marseille, Jas sauvages, 2021.