Les temps forts de la 1ère convention - Forum protestant

Les temps forts de la 1ère convention

1ère convention du Forum de Regards protestants

le 14 septembre 2013 à Paris

Organisée à l’initiative d’Olivier Abel, professeur d’éthique et de philosophie, la 1ère convention du Forum a eu lieu à la Faculté de théologie protestante de Paris et a réuni une centaine de personnes pour apporter à la société civile un regard protestant sur des thématiques d’actualité, dans le sillage d’une longue tradition d’engagement et de débat : « Nous réunissons des personnes prêtes à s’engager dans des débats structurants, qui soutiennent leurs différences ensemble, pour qu’elles fassent avancer tout le monde ».

Structurée en 3 temps forts, la convention a abordé les thématiques suivantes :

Quelle éthique en politique ? : table ronde avec Michel Rocard, Jacques Mistral et Pierre Encrevé, suivie d’un débat sur la tension qui traverse la vie politique entre les exigences éthiques et les obligations économiques.

Sens et fonction de la communauté ecclésiale, hier et aujourd’hui (à partir d’un texte de Paul Ricœur de 1967) : table ronde avec Olivier Abel et Corinne Lanoir, suivie d’un débat sur la place de la pensée protestante dans notre société.

Critique protestante du mythe de la médecine  : intervention de Didier Sicard, suivie de Je ne suis pas là pour mourir, concert-récit avec Jeanne Barbiéri et Jean-Daniel Hégé, sur un texte de Marion Muller-Colard.

 

Quelle éthique en politique ?

Intervention de Michel Rocard :

Homme politique, premier ministre de 1988 à 1991, socialiste et protestant, Michel Rocard est réputé pour sa liberté d’esprit, comme en témoignent ses derniers ouvrages : Mes points sur les i – Propos sur la présidentielle et la crise (2012) et La politique ça vous regarde ! (2012). Il vient de publier La gauche n’a plus droit à l’erreur (2013).

 

Intervention de Jacques Mistral :

Professeur d’économie, Jacques Mistral porte un regard critique et constructif sur l’évolution des relations entre la finance et le politique, comme l’attestent ses travaux sur la régulation de la finance mondiale et son dernier livre sur La troisième révolution américaine (Perrin).

 

Intervention de Pierre Encrevé :

Linguiste et historien d’art, spécialiste de Soulages, Pierre Encrevé est très engagé dans les milieux intellectuels protestants. Il a été membre du cabinet de Michel Rocard alors Premier ministre de 1988 à 1991.

 

Sens et fonction de la communauté ecclésiale, hier et aujourd’hui

Interventions d’Olivier Abel et Corinne Lanoir :

Olivier Abel, philosophe et professeur d’éthique à la Faculté protestante de Paris, a écrit sur Calvin, Milton, Bayle, et Ricœur, mais aussi sur le mariage, les pirates, l’Europe, le pardon après avoir enseigné en Afrique et en Turquie.

Corinne Lanoir, professeure d’Ancien Testament à la Faculté protestante de Paris, a travaillé sur les figures féminines dans la Bible après avoir enseigné en Suisse, au Nicaragua et en Italie.

Paul Ricœur, philosophe (né en 1913 et mort en 2005), a légué sa bibliothèque au Fonds Ricœur de la Faculté protestante de Paris. Parmi ces œuvres, le texte inédit qui sera commenté par Olivier Abel (Sens et fonction de la communauté ecclésiale) date de 1967 et montre que le philosophe a aussi été un intellectuel protestant engagé.

Lire Paul Ricœur et le langage de la communauté ecclésiale (Olivier Abel, juillet 2013).

 

Critique protestante du mythe de la médecine

Intervention de Didier Sicard :

Professeur de médecine, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, Didier Sicard a coordonné à la demande du président de la République une Commission chargée de réfléchir sur les modalités d’assistance au décès pour les personnes en fin de vie.

 

Commentaires

 

Michel Vaquin (1er octobre 2013)

Quelques réflexions suite à la journée d’étude à l’IPT du 14 septembre 2013.

La journée, compte tenu du programme retenu par Olivier Abel, était de très haute tenue, que ce soit par l’intérêt des sujets traités ou le niveau des intervenants. Tous les participants en sont sortis sans aucun doute enrichis par la qualité des débats.

Si je peux rajouter une touche plus personnelle, je dirais que pour moi, le moment le plus fort a été la présentation par Olivier Abel des réflexions de Ricœur sur le sens et la fonction de la communauté ecclésiale. Aussi aimerais-je réagir sur ce qui a été écrit/dit par Paul Ricœur et Olivier Abel à ce sujet et tenter de l’articuler avec ce que je comprend du projet qui sous-tend cette journée, disons pour résumer le projet de think tank protestant puisque le mot a été utilisé durant les débats.

Dans la présentation qui a été faite de la pensée de Paul Ricœur ainsi que dans les éléments écrits qui ont été diffusés sous l’étiquette texte d’archives, je serais tenté de distinguer deux niveaux également passionnants. Le premier concerne les réflexions sur les 3 missions de la communauté qu’on résume en Utopie, Annonce et Diaconie ou encore koinonia, kerygma et diakonia et le sens des fonctions qui s’y rattachent. Le second est développé dans l’article du Monde du 18 juillet 1973 sous le titre Les trois lignes de rupture du christianisme. Les deux sont d’un égal intérêt mais je voudrais m’attarder sur le second car, bien qu’il date de 40 ans, il me parait avoir une profonde résonance avec le projet de think tank protestant qui sous-tendait la journée.

En effet, que dit Paul Ricœur sur les trois lignes de rupture qui le préoccupent ? Il évacue d’abord en quelques lignes le sujet catholicisme vs protestantisme en disant qu’il n’a plus de son point de vue d’actualité compte tenu de la situation radicalement nouvelle à laquelle est confronté le christianisme.

Il pointe ensuite un premier risque de rupture autour de la tension entre les institutions et l’expression sauvage de la liberté. On reconnait là, me semble-t-il, les traces de mai 68 et j’aurais tendance à penser que ce risque-là a aujourd’hui beaucoup perdu de son actualité. Peut être d’ailleurs pourrait on le regretter …

Le second risque lui me parait davantage d’actualité. Il concerne la dialectique entre le fonctionnement interne de l’organisation et sa vocation à servir le monde. Le risque est double : celui de produire une organisation entièrement tournée vers elle-même et donc autiste au monde où à l’inverse une organisation qui se dissout dans le monde et qui y perd sa spécificité : c’est alors que « le sel perd sa saveur ».

Il ajoute un troisième risque plus spécifiquement tourné vers le travail théologique mais qui est en quelque sorte une variante du précédent, à savoir la divergence qui peut s’accentuer entre le travail théologique sérieux et l’engagement social ou politique : « Le désastre serait alors que le travail théologique vire à la recherche pure et sans prise et que l’engagement politique ne serait plus gagé que sur des improvisations légères et fragiles ».

En d’autre terme et pour être plus terre à terre, comment faire un travail intellectuel qui ne soit pas trop intello et donc inaccessible et sans prise sur le réel ? Comment éviter de tomber dans le piège du jargon théologique ou même plus simplement dans ce que Pierre Cochet appelle le patois de Canaan qui est certes le langage de la communauté mais qui l’est à tel point qu’il bascule dans la langue de bois ; chrétienne/protestante certes mais néanmoins langue de bois. C’est un exercice dans lequel reconnaissons que nous sommes assez versés et qui nous offre le confort d’une maison langagière familière mais qui risque fort d’être perçue du dehors comme au mieux étrange et au pire saugrenue.

Autre façon de poser le problème : comment l’Église dans sa fonction d’annonce peut-elle, pour reprendre les termes de Bonhoeffer, annoncer l’Évangile dans le monde moderne, un monde irréligieux et même, pourrait-on dire, a-religieux ?

Or c’est bien la question qui guette notre projet de think tank : trop théologique, trop protestant, il risque d’être inaudible/inutile. Mais s’il l’est trop peu, il sortira des textes d’expert sur la laïcité, les matières premières ou la santé sans que le nous de la communauté protestante (pour paraphraser Paul Ricœur) s’y reconnaisse.

En définitive, j’y vois pour ma part un problème de communication au sens le plus noble du terme. Car pour desserrer l’étau, il faut à l’évidence tenir les deux bouts de la chaine, depuis le travail théologique jusqu’à l’expertise technique des différents sujets. Mais cela ne suffit pas. En effet, si l’on veut en outre toucher le plus grand nombre, il faut pénétrer le système médiatique tel qu’il fonctionne à l’ère d’internet et des médias sociaux où, pour avoir une chance de durer plus de quelques secondes, un message doit être court, percutant et si possible rattaché à l’actualité : en bref, le contraire de ce que nous avons dit à propos du mariage pour tous : « Nous en débattons, revenez dans un an ! ». Et même avec ses caractéristiques, il doit être repris et martelé pour atteindre sa cible. Et tout ceci sans magistère, bien commode pour trancher et simplifier …

Dans de telles conditions, le risque d’appauvrissement est gigantesque et il faut vraiment une sorte de génie pour que les mots restent capables de véhiculer toute la richesse diaprée de la Parole débattue au sein de la communauté.

Faut-il pour autant baisser les bras ? Bien évidemment non, dans l’état de désarroi actuel du monde occidental et en particulier de ses élites politiques souvent « larguées devant les problèmes » pour reprendre le terme utilisé par Michel Rocard.

Mais une analyse du risque encouru, même maladroite, ne peut que nous aider à mieux y parvenir.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.