«L’insécurité», un épouvantail électoral à déminer
«Au terme de ce panorama, il apparaît clairement que la prétendue hausse continue de l’insécurité relève davantage du fantasme que de la réalité. C’est la dénonciation des problèmes qui croît sans cesse, et non leur fréquence. Il apparaît également que les problèmes les plus graves sont aussi les plus rares. La vie quotidienne est en réalité faite d’agressivité verbale, de petits harcèlements, de petites dégradations, de petits vols, et non de meurtres, de viols ou de vols avec violence. Face à ces infractions du quotidien, souvent répétitives, de nombreux citoyens demeurent mécontents car ils ne trouvent généralement pas ou peu de réponse de la part des services publics de sécurité et de justice.»
Les récentes polémiques sur «l’ensauvagement de la société» sont pour le sociologue Laurent Mucchielli l’occasion de rappeler «la réalité des phénomènes de délinquance et de leurs évolutions». Car «la délinquance est définie par le droit, c’est l’ensemble des comportements prohibés par la loi» et la loi ne cesse de changer, avec deux conséquences: «lorsque des comportements sociaux anciens sont soudainement ou progressivement criminalisés, la délinquance ne peut par définition qu’augmenter», «la mesure de ces délinquances ne peut être réalisée uniquement par le biais des statistiques produites par la police et la justice» qui dépendent grandement et des phénomènes de sur- ou sous-déclaration, et des très variables injonctions gouvernementales. C’est donc grâce à des enquêtes qu’on appelle «de victimation» (car on demande aux gens s’ils ont été victimes de telle ou telle infraction) que l’on pourra se faire une idée de l’évolution réelle de telle ou telle délinquance. Pour les homicides (la catégorie la mieux mesurée) «les principales variations temporelles sont liées aux violences idéologico-politiques» qui ont connu une accalmie dans les années 1990 et 2000 tandis que les homicides liés au banditisme et aux «conflits interpersonnels privés» sont sur «une tendance globale à la baisse». Pour les agressions physiques graves, aux définitions juridiques changeantes et mesurées par les enquêtes de victimation, on constate une grande stabilité: «en 2016, la prévalence des agressions est strictement identique à celle mesurée par la première enquête de 1984». Même chose avec les agressions sexuelles, par exemple en Ile de France avec «une stabilité globale (autour de 0,8% de la population interrogée déclare avoir été victime d’au moins une agression sexuelle au cours des trois années précédant l’enquête)». Côté vols et cambriolages, si les statistiques officielles montrent «une forte augmentation dans les années 1955 à 1985» puis une stabilisation «jusqu’au début des années 2000, avant de décroître régulièrement», les enquêtes de victimation indiquent elles «une baisse tendancielle des vols personnels depuis le milieu des années 1990, une stabilité globale des vols avec violence et une stabilité globale des cambriolages de résidence principale (avec, dans le détail, une baisse importante suivie d’une remontée également après 2008)».
(9 septembre 2020)