Les sens d'un temple "à arc" - Forum protestant

Les sens d’un temple « à arc »

À partir du cas concret de la restauration d’un des très rares temples protestants du 17e siècle encore debout, celui du Collet de Dèze (dans les Cévennes) et de son spectaculaire arc intérieur, Nicolas Westphal examine le sens de cet objet architectural très utilisé dans les temples de l’époque et de pourquoi il convenait si bien aux cultes protestants.

Conférence prononcée à Courthézon (Vaucluse) le 20 octobre 2023.

 

Dans le Vaucluse, nous trouvons 4 temples protestants du 17e siècle, dotés d’un arc central placé dans le sens de la longueur. J’ai la chance de travailler comme architecte sur un temple de ce type, en Lozère, qui est intact – le dernier intact sans doute d’une période, les 16e et 17e siècles, où ces temples furent nombreux. Il s’agit du temple du Collet de Dèze, construit vers 1646.  Il est de petite dimension: 11x15m. Il peut recevoir environ 100 personnes. Il fonctionne toujours comme temple protestant. Vous pouvez y faire l’expérience de l’effet de cet arc dans la réalité.

Les dessins du traité de Jaques Perret Des fortifications et artifices publiés à la fin du 16e siècle prouvent que ce type de temple fut un modèle dans le sud de la France. Le grand temple de Montpellier et celui de Nîmes en furent les premiers exemples célèbres à cette époque. Pour nommer ce type de temple, il me semble qu’on peut parler de temple à arc.

Mais beaucoup de temples ont des arcs, et ne sont pas pour autant des temples à arc.
Voyez dans la même région l’ancien temple d’Anduze qui fut construit avant celui du Collet de Dèze (1600), ou celui du Pont de Montvert, plus récent (1848), qui propose une disposition comparable à celle d’Anduze (ci-dessous, photo Vincent Carrère).

L’arc est bien présent. Mais vous noterez qu’il est perpendiculaire à l’axe d’entrée, il cadre et valorise le chemin qui passe dessous et la destination de ce chemin, ici la chaire.
Voyez maintenant le temple de Lézinier, situé lui aussi en Lozère (1831) (ci-dessous).
Nous y trouvons trois arcs croisés qui forment un espace en rotonde tout en portant les poutres du toit. Il n’y a que des arcs ici, l’entrée et la chaire se situent entre les arcs.

Dans les deux cas, l’arc porte la charpente et libère le lieu de rassemblement de toute colonne ou de tout poteau. Il est utile pour créer l’espace du temple. En architecture, on dira qu’il est servant. Il sert à mettre en valeur quelque chose de servi. Ce qui est servi dans ces temples se trouve au centre ou au bout de la perspective: la chaire et le cheminement vers la chaire, ou l’espace en forme de rotonde et l’assemblée qui s’y réunit.

Au Collet de Dèze, l’arc contribue aussi à créer l’espace du temple, mais cette fois il est servi. C’est un objet qui vaut en soi, il est au bout de la perspective, il capte notre attention sur lui. Sa forme est distincte, unique, dans le volume du temple – presque comme un objet dans un écrin. Il est présent dès l’entrée et jusqu’à la chaire. Le regard est toujours ramené vers lui, et il prend en charge beaucoup de fonctions: la chaire est appuyée contre l’arc, la circulation qui dessert les bancs suit exactement l’axe de l’arc, le lustre apportant la lumière était attachée au sommet de l’arc. Résumons. Il est central et singulier, il assure beaucoup de fonctions, et enfin, on sent bien qu’il est la clef de la qualité spirituelle de ce lieu. Sans l’arc, le bâtiment serait quelconque.

L’arc est donc en quelque sorte le trésor du temple. C’est vrai ici, et de même dans ces temples du Vaucluse dont nous parlons. Nous pouvons les désigner à juste titre de temples à arc. Essayons de comprendre pourquoi ce type de temple est devenu un modèle. Pour cela je vous propose de commencer par l’expérience vécue que le temple intact nous permet de faire.

 

Un objet architectural

Je pense qu’on peut ranger cet arc dans une famille que j’appellerais celle des objets architecturaux. Cela va nous aider à comprendre comment cet arc nous touche.

Voici 3 exemples d’objets architecturaux.

Le premier exemple est celui de l’église des Jacobins à Toulouse, une église dont les voûtes sont portées par une suite de colonnes au centre, mais la dernière colonne, qui fut construite plus tard, a pris une valeur d’objet en soi, elle a été décalée pour faire en sorte que les voûtes tournent complètement autour d’elle, d’où le nom de palmier qui lui a été donné. Et ce palmier a un effet puissant, unificateur de l’espace autour de lui. Il est devenu le trésor de l’église. On vient la voir à cause de ce palmier, qui est plus qu’une curiosité, il apporte une qualité spirituelle dans ce lieu (ci-dessous).

Nous rencontrons un objet architectural comparable dans la cathédrale de Wells près de Bristol au Sud de l’Angleterre. La nef de la cathédrale est assez banale, mais à la croisée du transept un arc spécial a été construit entre les piliers, sans doute pour des raisons de stabilité. Il s’agit d’un arc en ciseaux. Il a un effet puissant sur l’espace de la nef, comme une accélération vers le haut. On a une forme singulière ici, qui à elle seule transfigure l’espace environnant. Voilà un deuxième exemple d’objet architectural (ci-dessous).

Un troisième exemple, très connu, est celui du grand escalier de l’Opéra de Paris. Il occupe le bas d’un haut vestibule qui, sans l’escalier, n’aurait pas tant d’intérêt. Cet escalier est le trésor du vestibule, il attire les gens vers le haut ou les fait descendre avec élégance vers le perron du bâtiment qui domine l’avenue (ci-dessous).

Cette colonne, cet arc, cet escalier, sont bien des objets. En effet:

ce sont des pleins, des constructions, qui ont une forme distincte, on peut les désigner et leur donner un nom,

ils ont une présence propre, qui se tient devant nous. Ce devant nous est important pour parler d’objets. En effet, si on se plonge dans un espace, en revanche on se tient devant un objet. L’objet installe un rapport de séparation entre ce qui est moi et ce qui n’est pas moi (le monde objectif).

Il s’agit ici d’objets de grande échelle. Ils pourraient nous dominer, nous écraser même. Ceux-là ne le font pas. En revanche ils éveillent en nous une sorte de mimétisme: nous nous épanouissons sous ce palmier, nous sommes emportés par cet arc en ciseaux devant nous, nous nous élevons avec les volées de ce grand escalier avant même d’en avoir gravi les premières marches…

C’est pour cela qu’on peut dire que cette colonne, cet arc, cet escalier sont des objets architecturaux: leur présence, au lieu de consommer de l’espace, produit de l’espace, ou plutôt un sentiment d’espace en nous. Du fait du palmier, l’église des Jacobins nous paraît plus rayonnante. Du fait de l’arc en ciseaux, la cathédrale de Wells nous paraît plus élancée. Du fait de l’escalier, le vestibule de l’Opéra nous paraît plus spacieux.

L’arc dans le temple du Collet de Dèze a ce genre de qualité: une forte présence qui produit un sentiment d’espace. Il nous saisit, il nous emporte… Vous pourriez le vérifier sur place. Si vous y allez, vous verrez, il vous saisira, il vous emportera !

Mais il ne le fera pas comme le palmier de l’église des Jacobins, ou l’escalier de l’Opéra Garnier, il le fera d’une certaine manière qui lui est propre. Essayons de la décrire.

Comparons-le tout d’abord avec deux exemples contemporains d’arcs placés de la même façon, dans des églises, et qui créent des dynamiques un peu différentes.

Prenons la Basilique du Padre Pio, construite en Italie par Renzo Piano (ci-dessous).

La basilique est structurée par une série d’arcs en longueur comme au Collet de Dèze, et qui rayonnent autour d’un lieu de célébration, situé en point bas. Ces arcs sont au milieu de l’assemblée. Quand on est assis dans les bancs, on pourrait dire que dans un sens (arrière avant) ils apportent une dynamique de prosternement ; dans l’autre sens (avant arrière) ils expriment une dynamique de jaillissement du sol. Ces deux dynamiques traversent l’assemblée. Il y a un peu de ça au Collet de Dèze, mais ce n’est pas aussi accentué.

Examinons à présent la petite église de Mogno, construite dans la montagne suisse par Mario Botta (ci-dessous).

Dans cette petite église, nous retrouvons une moitié d’arc en longueur côté entrée. L’arc vient comme contrefort pour reprendre une poussée, une énergie venant du haut. L’arc ainsi placé fait trace d’un événement de l’histoire de cette église qui fut reconstruite suite à une avalanche. Il est une figure qui s’élance vers le haut et qui situe à son sommet la place de l’autel en dessous. L’arc du Collet de Dèze a lui aussi cette qualité d’élan vers le haut. Mais il ne situe aucun autel, aucune représentation de Dieu.

 

Le cas de l’arc au temple du Collet de Dèze

Que pouvons-nous dire de l’arc du Collet de Dèze ? Dans quelle dynamique nous emporte-t-il ? Quel mimétisme éveille-t-il en nous ?

Je vais essayer 4 réponses.

Cet arc installe

une dynamique d’unité. Le compas de l’arc embrasse toute l’assemblée d’arrière en avant, d’avant en arrière. Il n’y a pas à proprement parler de progression comme dans la basilique du Padre Pio, on est immédiatement à l’intérieur d’une forme qui tient le début et la fin;

une dynamique de recueillement pour soi, d’intériorité. L’arc disposé dans ce sens est une forme qui se referme en un creux. Il invite moins à prendre un chemin qu’à s’asseoir et à se recueillir;

une dynamique de vis à vis, de réciprocité. Le fait de se placer dans la longueur de l’arc met en valeur le vis à vis des deux appuis, On arrive dos à l’un et face à l’autre, on repart dos à l’autre et face à l’un. Ces deux appuis sont équivalents, au même niveau. L’arc m’engage dans un rapport de vis à vis;

Enfin je trouve ici une dynamique de franchissement. Cet arc ressemble à un pont, on est sous le pont. À l’endroit où à priori le franchissement n’est pas possible pour soi mais où l’arc franchit pour nous. On est gagné par l’élan de ce franchissement, et c’est comme si, restant immobiles, nous étions à la fois encore ici et déjà là-bas.

Voilà ce que je peux en dire, pour ce qui me saisit quand j’entre dans ce temple. Ce qui je vois et ressens immédiatement.

Mais mon travail a consisté là-bas à mettre à jour des choses qui ne se voyaient pas. Je voudrais en dire deux mots aussi, qui seront peut-être utiles pour analyser d’autres temples de ce type, entre autres dans le Vaucluse.

Le sol d’origine du temple était une calade – un sol de galets – avec des motifs ornementaux créés par les alignements de galets. Ce sol était caché sous un plancher de bois. Nous l’avons découvert et réhabilité (ci-dessous).

Ce sont des galets de la rivière qui coule plus bas. Il est probable qu’au 17e siècle, la rue elle-même était en galets. Ces galets évoquaient sans doute autant l’espace public que la rivière. Le sol est structuré par des motifs géométriques ; j’en ai fait une analyse, mais je voudrais surtout noter cette rosace qui nous apprend quelque chose sur l’arc. Elle est placée sous l’arc. Elle n’est pas au centre de l’arc, mais près du pied opposé à l‘entrée (ci-dessous).

Ce qui me frappe est qu’elle se situe dans le lieu de conduite du culte, mais qu’elle ne révèle aucune trace d’objet fixe: on ne voit pas de socle pour une chaire ni d’emprunte de pieds de table de communion au service desquels la rosace aurait été dessinée. La chair et la table de communion étaient sans doute temporaires, et ne laissent aucune trace qui nous permettrait aujourd’hui de les remettre avec assurance. La rosace signifie que ce lieu pouvait être vide.
Il y a quelque chose de fort dans cette désignation d’un lieu vide au pied de l’arc quand on compare avec les chaires construites de la plupart des temples protestants y compris au 16e siècle, qui occupent ce côté. Un vide étonnant.

La deuxième chose que nous essayons de mettre à jour et qui ne se voyait pas est la lumière d’un lustre. Nous allons en effet replacer un lustre dans ce temple. Vous voyez un crochet au sommet de l’arc qui date de cet arc. L’arc servait à suspendre un lustre, un lustre qui devait être unique, suspendu au centre et donc au-dessus de l’assemblée. Nous allons retrouver l’effet de ce lustre qui était là autrefois (ci-dessous).

Pour travailler la forme de ce lustre, nous avons commencé par constater que le temple était doté de 4 hautes fenêtres. Il n’est pas obscur, et très probablement les cérémonies du 17e siècle comme celles d’aujourd’hui se passaient dans le temps du jour. Le matin, le niveau de lumière naturelle est juste un peu faible, on est dans la pénombre. Aujourd’hui, la paroisse a besoin d’allumer la lumière électrique pour avoir l’appoint de clarté nécessaire au culte.
Nous avons donc compris que ce lustre était plus une lumière qu’un éclairage, une lumière non pas dans la nuit mais dans la pénombre.

Le projet du lustre est d’apporter un appoint de lumière, on pourrait dire qu’il est là pour manifester la lumière, pour faire chanter la lumière. C’est du reste souvent ce qu’on demande à un lustre. Il fallait trouver comment faire chanter la lumière dans ce temple et ce qu’elle devait raconter.

Nous avons fait des recherches en maquettes, en travaillant sur le thème de la couronne et de la lampe de veille ; le travail est en cours (ci-dessous).

Vous voyez que l’arc n’est pas tout seul: il coordonne d’autres objets, temporaires, des vides, des signes, des lumières… Cette coordination nuance le sens de l’arc.

Par exemple dans le grand temple de Montpellier, qui était un temple de ce type mais bien plus grand, le texte du Traité de Perret évoque la présence d’un emblème seigneurial au sommet de l’arc, sans doute au-dessus du lustre. On voit comment ce modèle peut servir une représentation du pouvoir. Ce n’est pas le cas au Collet de Dèze.

Il me semble à présent que vous avez des outils pour comprendre pourquoi et comment ce type architectural de temple, trouvé de façon expérimentale à Nîmes au 16e siècle – devint un modèle pour les temples protestants.

Je vous propose de terminer en essayant quelques réflexions dans ce domaine.

 

L’arc du Collet de Dèze et le culte protestant

Que faut-il pour faire un temple protestant ?

Au moins 3 choses, que ces temples à arc apportaient très bien.

En théologie protestante réformée, on doit pouvoir attendre d’un temple d’être

1 Un lieu de prière, de recueillement au sein d’une communauté. Prier Dieu pour les protestants est une affaire du cœur et d’esprit: il s’agit de se disposer pour une rencontre en vérité avec Dieu, de rechercher une synergie avec sa grâce.

> Comment cet arc aide-t-il à la prière ?

Il suscite par une sorte de mimétisme en nous, une disposition à nous tourner vers un autre en esprit et en intériorité. Par sa forme qui à la fois recueille et met en scène un vis à vis sans représentation, avec une distance, un creux, un évidemment. Et il nous situe dans une communauté, nous prions au milieu des autres, avec les autres, même quand le temple est vide.

2 Une deuxième chose que l’on doit pouvoir attendre d’un temple protestant est de bien signifier que c’est la communauté qui célèbre le culte (non pas le prêtre ou le pasteur); la communauté est travaillée et même constituée par le culte qu’elle célèbre. Il n’y a pas de séparation entre un lieu privilégié de la célébration (avec un objet ou une représentation divine) et l’assemblée. C’est toute l’assemblée qui célèbre. Mais elle n’est pas pour autant centrée sur elle-même. Dans le temps du culte, une personne (un/une pasteur) en chaire apporte une parole extérieure à l’assemblée, qui la décentre, qui l’ouvre.

> Comment ce temple à arc contribue-t-il à la constitution de cette communauté ?

On le voit bien, cet arc ne crée pas de progression. Nous ne sommes pas un public devant une scène éclairée. La lumière est suspendue au-dessus du centre, elle manifeste bien la communauté comme lieu où les choses se passent. Et en même temps, la rosace décentrée au sol manifeste qu’il y a toujours un point – un vide – qui va réintroduire du vis à vis, de l’extériorité; cela peut être par la parole ou par le partage du repas, c’est à dire la pratique de la solidarité. Mais ce vide peut aussi rester un vide en attente.

3 Enfin on doit pouvoir espérer d’un temple protestant qu’il inscrive à sa manière la célébration du culte dans la vie de la cité. Il doit le faire en manifestant un écart, un recul, un lieu qui rappelle Dieu, un lieu de sanctification, mais pas de séparation, ni de domination, ni de fuite dans un univers surnaturel. La communauté et la célébration participent à la vie réelle du village ou de la cité.

> Dans les temples à arc, l’arc est fin (65cm de large ici). Il ne suffit pas pour construire un vrai volume qui serait différent de l’extérieur et où on pourrait s’installer à l’abri. Mais il fait exister un lieu à part, l’espace d’un instant, un segment qui suggère un tout, une place disponible pour la prière dans la réalité ordinaire.

De plus l’arc apporte une dynamique, il vient chercher et accueille la personne qui arrive, il la raccompagne quand elle repart. Il établit donc un lien avec le monde extérieur.

Vous devinez une profonde cohérence entre ce type de temple et le culte protestant réformé qui a sans doute été convaincante pour les théologiens de cette époque: le temple à arc apportait l’environnement spirituel que les protestants cherchaient. Or ce modèle est presque oublié aujourd’hui. Votre colloque lui rend justice !

 

Illustration: l’intérieur du temple restauré du Collet de Dèze.

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