Pourquoi chanter les vieux cantiques ? Le chant d'assemblée, expression de la foi réformée - Forum protestant

Pourquoi chanter les vieux cantiques ? Le chant d’assemblée, expression de la foi réformée

«Le texte, le collectif, la mélodie d’une seule voix»: ce sont les fondamentaux du chant d’église en protestantismes. Catherine Veillet-Michelet, qui en est une praticienne au long cours, explique ici comment les trois traditions (réformée avec les psaumes, luthérienne avec les chorals, évangélique avec les cantiques) qui se retrouvent dans les recueils distribués à l’entrée du culte expriment trois façons complémentaires de participer à la célébration et de répondre à la Parole, résumant bien la diversité de ce type de christianisme et l’une de ses différences avec les autres.

Conférence prononcée (avec chants) le 9 novembre 2024 au temple d’Auteuil, dans le cadre du cycle La musique est-elle un langage universel ? d’Études et Recherche Auteuil. Lire le condensé de cette conférence dans Réforme.

 

J’ai fait ma première audition de chant ici en 1972 avec une jupe écossaise rayée et mes copines des louveteaux. Il est donc touchant de venir vous parler de musique dans ce qui est pour moi, en plus d’une salle cultuelle, aussi un lieu de musique: je citerai la Chanterie À Cœur Joie de Françoise Briançon qui m’a mis le pied à l’étrier, et le groupe choral d’Auteuil de Jean-Luc Wolfender qui se réunissaient ici. À l’époque, on trouvait normal d’avoir une chorale de paroisse de qualité et je me rends compte aujourd’hui que c’était une très grande chance.

Je ne suis pas diplômée en musique et vais donc vous parler surtout de mon expérience mais aussi de lectures et références qui m’ont servi à approfondir la réflexion autour de la question: pourquoi nous chantons des vieux cantiques (c’est ainsi que les gens posent généralement la question) ? Je tiens à faire honneur au livre de référence écrit par Bernard Reymond sur Le protestantisme et la musique (1), et aussi à l’exposition très bien faite sur Chant et musique dans les Églises de la Réforme par le Musée du protestantisme du Dauphinois (2) qui a dû venir ici il y a à peu près 15 ans.

 

«Chanter au Seigneur un cantique nouveau»

On chante beaucoup, on nous enjoint à chanter dans la Bible, les Psaumes, l’Évangile (Jésus chantait avec ses disciples), les épîtres: «Encouragez-vous les uns les autres par des psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés par l’Esprit» (Éphésiens 5,19). Dans la Bible, on ne chante peut-être pas autant qu’on mange… mais peut-être plus qu’on prie ! Mais ne prie-t-on pas souvent en chantant (une question que l’on peut garder pour nous) ? Il y a dans la Bible du chant seul et du chant collectif. Ce chant était codifié depuis longtemps: des tablettes d’argile avec de la musique notée ont été trouvées à Ougarit (en Syrie, là où on a aussi trouvé le premier alphabet) datant d’environ 1200 avant Jésus-Christ… c’est-à-dire à peu près l’époque de Moïse. Ces tablettes ont été déchiffrées et je dispose des transcriptions reconstituées pour jouer cette musique.

On chantait des hymnes dès les premières communautés chrétiennes, l’évêque Ambroise a fait chanter un Te Deum à Milan en 386. Dans la liturgie d’église attribuée à Grégoire (pape de 590 à 604), on utilise des psalmodies à une voix qui reprenaient déjà à l’époque des musiques plus anciennes. Ce sont les débuts du chant grégorien. C’est ensuite que la musique a été codifiée en même temps que se développaient l’arithmétique et les mathématiques.

Au Moyen Âge (on se rapproche du moment de la Réforme), il y avait à la fois le plain-chant (monodique), et le chant mesuré (polyphonique) : le chant à une voix et le chant à plusieurs voix se développaient parallèlement. Ces chants étaient notés mais il était difficile et coûteux d’avoir des recueils notés puisqu’on était encore avant l’imprimerie. Maîtriser l’ensemble des psaumes en grégorien demandait 7 à 8 ans d’apprentissage et c’est pour cela que l’on commençait jeune dans des maîtrises de garçons.

Comment cela se passait-il dans une église à l’époque ? Il y avait le chœur et la nef, mais aussi un jubé: un mur avec une porte entre le chœur et la nef, ce qui séparait l’église en deux. Des jubés ont été gardés dans certaines églises mais ils ont généralement été démolis après le concile de Trente. Le jubé empêchait de voir et ne permettait pas de très bien entendre ce qui se passait dans le chœur où il y avait les prêtres (avec les enfants de chœur dont on espérait bien qu’ils seraient prêtres). Tandis que dans la nef, il y avait la foule des hommes et des femmes, les laïcs. Comment chantait-on dans ce chœur ? Il y avait des bancs de chaque côté, les stalles qui se faisaient face : ils chantaient pour eux et pour la gloire de Dieu. Il y avait de très hauts lutrins pour poser des antiphonaires ou des psautiers et permettre à 8 personnes de chanter ensemble : d’un côté 8 personnes pour la voix de soprano (le dessus), de l’autre 8 personnes pour la voix d’alto. On pouvait ainsi lire la musique de loin. Le chant (en latin) venait du chœur et il n’y avait pas de chant dans la nef. On était donc dans une séparation entre clercs (seuls habilités à chanter en latin) et laïcs … et aussi entre hommes et femmes puisque celles-ci n’étaient que dans la nef. Dans cette société des trois états, le clergé était là pour prier à la place des nobles et des autres (le tiers-état). Il n’y avait pas exclusion mais séparation des rôles, des espaces, entre les clercs et les laïcs mais aussi entre les hommes et les femmes. Cela dépendait tout de même des moments puisque ces gens dans la nef aimaient évidemment chanter ! Et ils chantaient mais pas pendant la messe: en dehors de l’église pour les processions, les pèlerinages, les noces, les baptêmes… Ils chantaient dans leur langue ou dans un mélange de latin et de leur langue.

C’était la situation théorique. Car il y a eu des tentatives pour faire chanter les assemblées: François d’Assise, incitait les gens à chanter leur foi (d’où rupture de la séparation), Savonarole était dans la même idée, les colporteurs vaudois se promenaient en chantant des cantiques pour évangéliser. On n’était pas dans la célébration mais dans des cantiques de mission. Des prêtres prêchaient devant le jubé pour être sûrs que tout le monde les entende et faisaient chanter, mais jamais pour la messe, l’Eucharistie. Le plus connu fut Jean Hus (pré-réformateur brûlé en 1415) qui à Prague, en Bohème, faisait chanter ses paroissiens, leur demandait une participation active pour qu’ils ne se contentent pas d’assister mais expriment leur foi par le chant. Si on écoute le Voici le festin merveilleux (3) que l’on chante malheureusement très rarement dans nos Églises, cela ressemble plus à de la musique populaire dansante qu’à du grégorien ou à une mélodie d’église. Jean Hus a choisi cette musique parce qu’il est plus facile de mémoriser quelque chose que l’on connaît déjà, qui correspond mieux à ce qu’on chante en dehors de l’église que ce qu’on y entend (un petit peu) venant du chœur.

 

1 Évolution du chant d’église avec la Réforme

Que fait la Réforme ? Elle crée un seul espace avec la chaire au centre et les rangs autour pour tout le monde, hommes et femmes. Tout le monde chante… mais pas en latin. Pour que tout le monde puisse chanter, on publie très vite des recueils (merci Gutenberg, pour la Réforme aussi !). Car un des grands points de la Réforme était le sacerdoce universel: nous sommes tous prêtres et tous en charge du «Allez donc, et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit» (Matthieu 28,19). Ce sacerdoce universel nous rend toutes et tous actifs et participants. Mais il y a eu une petite hésitation sur la place où chanter au début de la Réforme. La réponse a été biblique: il est écrit plusieurs fois dans les Psaumes que «tous les peuples» doivent chanter au Seigneur et non pas «tous les prêtres». Tout le monde s’est donc mis à la même place pour chanter dans la nef et non dans le chœur.

Ce chant d’assemblée n’est donc pas neutre mais l’illustration du sacerdoce universel. Dans nos cultes protestants aujourd’hui, le chant est le signe de la participation de tous: il y a 4 à 5 minutes de chant liturgique, puis 3 fois 3 minutes d’autres chants, soit 15 minutes de chant d’assemblée sur un culte d’une heure. La participation, la réponse à la Parole de Dieu que dit le pasteur, c’est le chant, qui fait véritablement partie de l’expression de notre foi. On ne chante pas parce qu’on aime bien chanter … mais parce que c’est essentiel. Mais qu’est-ce qu’on chante ?

 

2 Nos vieux cantiques

Calvin: les psaumes

Cela n’a pas été la même chose pour les luthériens allemands mais pour nous, réformés français, les psaumes sont venus en premier: les Psaumes de David que Calvin a constitué en psautier. Pour Calvin, la musique ne doit pas divertir ou détourner. Elle est là pour mémoriser le texte, l’imprimer, le soutenir. C’est un support. Le texte est le plus important. Mais comment a-t-il choisi ces textes ? Pour lui, Dieu nous a tout donné: les 150 Psaumes avec en plus le psaume de Moïse, les cantiques de Marie, Siméon, Zacharie, les 10 commandements, le Notre Père… Cela fait déjà beaucoup mais ce sont des textes bibliques et nous n’avons rien à inventer: ce que Dieu a fait est déjà parfait. Calvin n’était pas un musicien, mais un juriste, un organisateur. Il savait qu’il ne connaissait rien à la musique et s’est entouré de personnes qui pouvaient l’aider.

Pour le texte, il n’était pas possible de le mettre tel quel, il fallait le mettre en en rimes et en pieds (généralement octosyllabes) en restant très fidèle au sens. Il a trouvé Clément Marot puis Théodore de Bèze, des poètes de métier.

Pour la musique, l’idée était d’abord de récupérer des mélodies qui existaient et que les gens (les mêmes que ceux dans la nef tout à l’heure) connaissaient pour que la mémorisation se fasse plus facilement. Car l’essentiel était que les gens chantent.

Dans tous les textes qu’a choisi Calvin (À toi mon Dieu, Ô que c’est chose belle, Que Dieu se montre seulement…), nous sommes sur le le Toi Père, et les gens, l’assemblée sont essentiels. Ils chantent d’une seule voix parce qu’on parle d’une seule voix au Seigneur. On évite les refrains et les répétitions qui ne servent à rien puisque le Seigneur nous entend. Mais les psaumes sont chantés en entier, avec toutes les strophes, même le 119 qui est le plus long car on ne peut pas couper quelque chose que le Seigneur nous a donné ! L’idée est bien de prendre le texte donné par Dieu (nous ne l’avons pas choisi) et de le chanter.

Prenons l’exemple du psaume 42 («Ainsi qu’on oit le cerf bruire, Pourchassant le frais des eaux» dans la version d’origine) tel que l’ont révisé Conrart et La Bastide au 17e siècle (4):

«Comme un cerf altéré brâme
Après le courant des eaux,
Ainsi soupire mon âme,
Seigneur après tes ruisseaux ;
Elle a soif du Dieu vivant,
Et s’écrie en le suivant :
Mon Dieu, mon Dieu, quand sera-ce
Que mes yeux verront ta face ?»

La musique est en fait un air de chasse (puisqu’on parle d’un cerf…) que vous pouvez imaginer joué par des cuivres… Ce qui permet de bien s’en souvenir. Le psaume 80 (Ô berger d’Israël) est lui un air grégorien, le Victimæ paschali laudes (5) qui avait l’avantage d’être connu et a été un petit peu arrangé. Il y a eu aussi beaucoup de nouveaux airs avec un grand principe: une note, une syllabe (pas de vocalises), le plus simple possible. Mais il est agréable de chanter à plusieurs voix et c’était déjà quelque chose qui existait et se développait. Alors Calvin a dit qu’on pouvait le faire (quatre voix note contre note, motet, contrepoint) «ès maisons», chez soi, pour l’usage familial. Pas au culte où c’était une seule voix !

Si nous écoutons le psaume 36 que nous connaissons bien puisque nous le chantons quasiment tous les dimanches (il est dans la suite liturgique en ce moment) …

«O Seigneur, ta fidélité
Remplit les cieux et ta bonté
Dépasse toute cime.
Ta justice est pareille aux monts,
Tes jugements sont plus profonds
Que le plus grand abîme.
De la puissance du néant,
Tu veux sauver tous les vivants,
Toute chair, toute race ;
Les hommes se rassembleront,
Autour de toi ils trouveront
Leur paix devant ta face.»

C’est une mélodie du psautier de Strasbourg, donc parmi les plus anciennes écrites, avant le psautier de Genève (6). À Strasbourg, Calvin a été influencé par les luthériens qui avaient déjà écrit des psaumes à cette époque. Si on écoute maintenant le psaume 68…

«Que Dieu se montre seulement,
Et l’on verra dans un moment
Abandonner la place ;
Le camp des ennemis épars,
Epouvanté, de toutes parts
Fuira devant sa face.
On verra tout ce camp s’enfuir
Comme l’on voit s’évanouir
Une épaisse fumée ;
Comme la cire fond au feu,
Ainsi des méchants devant Dieu
La force est consumée.»

On remarque qu’il s’agit de la même mélodie que le psaume 36… mais que nous chantons naturellement sur un autre tempo, ce qui donne un caractère différent. C’est bien ce que voulait Calvin: que ce ne soit pas la musique qui vous donne le tempo, mais que ce soit le texte qui l’emporte. De la même façon, si on prend le même air pour une confession du péché et pour une annonce du pardon, on ne va pas le chanter avec le même tempo parce que ce qu’on exprime n’est pas de même nature. La voix (le sens qui est pensé) est portée par la musique qui donne le tempo pour imprimer les paroles. J’ai entendu par hasard un jour un psaume en afrikaner par un ensemble vocal sud-africain et j’ai été très émue car ils utilisaient exactement les mêmes tempos que nous. Le pouvoir qu’a le tempo à remémorer un texte est étonnant.

 

 

Avec Calvin et le psautier réformé, on est à la fois sur le Toi, Père et sur le Sola scriptura: l’écriture seule.

 

Luther: les chorals

Pour Luther, le texte et la musique sont deux versants aussi importants l’un que l’autre et qui s’appuient l’un sur l’autre: nous sommes vraiment dans un tout. Luther a lui aussi commencé par les Psaumes, il a notamment arrangé le psaume 46 (Ein feste Burg, C’est un rempart que notre Dieu) qui est devenu le cantique de Luther. Dans notre recueil, le 37-01 est la manière dont nous le chantons actuellement dans nos paroisses car le rythme a évolué et été arrangé pour qu’il soit plus facile à utiliser dans nos assemblées aujourd’hui, le 37-03 est la musique originale qui ressemble plus à celle de l’époque de Luther. Luther a rapidement souhaité ajouter d’autres textes que les Psaumes, il voulait des thèmes plus inscrits dans le temps liturgique, dans la vie de Jésus. Il voulait des textes clairs et compréhensibles, des mélodies faciles, belles et agréables à chanter. Le choral, qui est la forme musicale luthérienne par excellence, s’est développé dans le monde germanophone à partir de Luther, puis avec les trois S Schütz, Schein et Scheidt, (7) jusqu’à Jean-Sébastien Bach (1685-1750, soit à peu près deux siècles après Luther), au temps duquel il y avait déjà 5000 mélodies. Il y a donc eu une grande-grande profusion de création, que l’on ne retrouve pas en France, où les protestants n’avaient alors pas tellement l’occasion de penser à la création musicale. D’abord à l’unisson, les chorals sont rapidement passés à plusieurs voix. Et l’orgue (dont on craignait qu’il divertisse les fidèles de la célébration avec sa musique très sonore) est revenu pour accompagner, à la différence des réformés. Pour Luther, la musique était la voix divine et il était essentiel de savoir ce qu’on disait et surtout à qui on s’adressait, vers qui on faisait monter nos textes et nos musiques.

Si vous écoutez le 47-04 de notre recueil (Confie à Dieu ta route), et le 33-13 (Ô douloureux visage), vous avez la même mélodie (8) mais nous les chantons sans changer de tempo. Le caractère du texte et donc du chant peut changer mais le tempo reste le même car la musique est plus forte que dans les psaumes réformés. Le texte pensé et la mélodie chantée se conjuguent et se répondent.

 

 

Avec Luther et les chorals, on est sur le Jésus pour moi et le Sola fide: on exprime sa foi.

 

Romantisme et réveils: les cantiques spirituels

Ensuite, dès le tout début du 18e siècle, apparaissent ce qu’on appelle des cantiques avec le piétisme en Allemagne, les frères moraves de Zinzendorf puis le méthodisme en Angleterre. L’idée est que la musique appelle à la conversion, qu’elle nous met dans une disposition spirituelle très personnelle. Elle n’est pas là pour imprimer mais pour exprimer plus qu’une pensée: une émotion, la présence du corps et du sentiment, du cœur. On est dans la relation personnelle à Dieu: je crois, je suis, Tu me prends

Ce sont plusieurs courants musicaux qui sont d’abord des courants spirituels. Pour la France, cela commence dans les années 1820-30 avec des protestants qui ont vu autre chose ailleurs. On s’est un peu usé à toujours chanter les même psaumes (9), d’où la joie de voir arriver les cantiques du Réveil. C’est le grand brassage de l’Europe post-napoléonienne qui permet de récupérer des chants d’un peu partout, un partage et un mélange des traditions musicales de toutes nos Églises protestantes. Le romantisme apporte des mélodies ternaires: on chante à 3 temps (le rythme du cœur) et non plus à 2 temps (la marche au pas). Le binaire est quelque chose de pensé, le ternaire quelque chose de plus ressenti. On met à contribution toutes sortes de compositeurs: Haendel, Mendelssohn, les psalmodies moraves, les musiciens du Réveil, de l’Armée du Salut… Ce sont des styles très différents mais souvent caractérisés par l’émotion.

Prenons le 36-08 (Ô Jésus, tu nous appelles): c’est une psalmodie morave avec un texte de Zinzendorf en 1725 (10), qui n’est pas encore ternaire mais avec une ligne qui se déploie différemment de ce qu’on a entendu jusqu’ici. Le 42-08 (Toi qui disposes), bien connu des paroissiens puisqu’on l’utilise en bénédicité (11), est le type de chants qui sont arrivés en France au cours du 19e, comme Torrents d’amour et de grâce, un air gallois (12). Avec un rythme ternaire, le 23-09, Seigneur, dirige et sanctifie (13), illustre cette émotion qu’on connaît tous: normalement, on sent ses tripes quand on chante ça, ou on pleure, on se souvient de plein de moments où on l’a chanté, baptêmes, confirmations, mariages, enterrements… On sent surtout la force de cette musique. C’est une mise en mouvement, et la reconnaissance de tout cet amour et de cette émotion.

Il est trop rapide de dire que le texte n’a pas d’importance et qu’on peut chanter n’importe quoi. Les chants fonctionnent au-delà de la mélodie: il y a un texte qui se tient. Tout comme pour les psaumes au début, cela ne marche pas si la musique n’est pas bonne. Mais tous ces cantiques-là, même si leurs textes semblent désuets, racontent quelque chose de notre histoire. C’est un peu comme la Marseillaise: ce à quoi on est attachés et qui raconte notre histoire à nous protestants. Quand on chante Debout sainte cohorte (14), on peut se souvenir effectivement de ces croisades pour aider. Ce n’est pas un chant de l’Armée du Salut, mais c’est son esprit: d’abord donner de la soupe et puis du savon avant d’annoncer le salut. C’est l’entraide fraternelle (comme dans le choral Ô Jésus mon frère (15)): on est là ! On est d’accord que les paroles sont ridicules mais elles rappellent tous ces gens qui se sont battus pour aider leurs prochains dans des temps difficiles, pour annoncer la Parole. Cela fait partie de notre histoire. C’est en quelque sorte notre tradition apostolique.

 

 

Avec les cantiques spirituels du romantisme et des réveils, on est avec le Saint-Esprit et dans le Sola gratia.

 

3 Le chant d’assemblée, expression de la foi réformée aujourd’hui
«Chantez au Seigneur un cantique nouveau !»

Un petit résumé (qui rappelle la Trinité) de ce qu’est notre réalité aujourd’hui:

d’abord Calvin avec les psaumes, gloire au Père, Sola scriptura;

ensuite Luther avec les chorals, gloire au Fils, Sola fide;

enfin Réveil et romantisme avec les cantiques spirituels, gloire à l’Esprit, Sola gratia.

Il faut bien se dire qu’au début, les réformés avaient les psaumes, les luthériens avaient les chorals, les Moraves avaient leurs cantiques. Depuis la fin du 19e siècle, nous avons la chance d’avoir toute cette réalité. Les premiers calvinistes ne chantaient pas tout ce corpus qui s’est constitué depuis et qui est notre trésor. Un trésor que l’on doit garder mais aussi faire fructifier.

«Un cantique nouveau»: je ne connais pas l’hébreu mais j’ai tendance à penser que «nouveau» veut dire qu’il faut le chanter comme si c’était la première fois. C’est à dire que l’important n’est pas de le réciter mais de savoir ce qu’on dit en pensant aux paroles et en vivant le texte. Dès le 17e siècle, les textes du psautier ont été révisés par Valentin Conrart. Le texte du psaume 42 a été changé parce que 150 ans après, la langue avait déjà évolué. Il est donc normal de revoir les paroles, même s’il peut être très énervant que ce ne soient pas celles qu’on a mémorisées. Mais attention aux traductions: le texte doit garder la puissance et la vérité des paroles d’origine. D’où l’attention à la manière dont sont traduits les chorals et cantiques dans nos recueils français parce que généralement, le sens peut s’affaiblir.

Dans la version de Genève, le psaume 137 commençait ainsi: «Étant assis au rives aquatiques De Babylone, pleurions mélancoliques…». Aujourd’hui, c’est: «À Babylone, assis au bord du fleuve, Quand chaque jour s’alourdissait l’épreuve». On retrouve ce psaume chez Verdi, avec Va, pensiero (16). Il y a bien sûr un negro spiritual: By the rivers of Babylon, qui a donné une version reggae (17). On voit bien comment les textes mais aussi les paroles ont pu évoluer au fur à mesure. Il y a nos textes et notre réalité… Il ne faut pas tout jeter.

Le consistoire m’avait demandé de faire une petite intervention sur le chant à l’école biblique: j’ai repris tous les cantiques des écoles du dimanche, j’ai lu ces recueils constitués au milieu du 20e siècle pour faire chanter les enfants. On voit qu’il faut un bon texte et que la niaiserie, ça meurt… Il n’en subsiste aujourd’hui que les textes classiques, ceux qui étaient déjà chantés par les parents: À Toi, mon Dieu, mon cœur monte, Le Seigneur est mon berger, Dieu me conduit par sa bonté suprême, le psaume 47 («Frappez dans vos mains, vous tous les humains»)… Bref, ceux que l’on connaît. J’ai d’ailleurs regardé les 20% de psaumes que chantent les catholiques… et ce sont les mêmes que nous: pas les mêmes musiques mais les mêmes paroles… On ne se trompe donc pas: on a à peu près les mêmes choses car il faut que les chants soient bien écrits et bien transmis pour devenir des classiques. Ils sont bien transmis quand ils sont bons: musique et texte. Tout ce qui nous reste, c’est ce qui est bon. Le reste, grâce au ciel, n’arrive pas jusqu’à nous.

Il y a eu un concours de cantiques protestants organisé par la paroisse du Saint-Esprit il y a 2 ans. Il se trouve que j’étais dans le jury du concours et nous avons dû en noter 140 avec les mêmes textes bibliques qu’il ne fallait pas changer. Ce qui était très étonnant était que parmi les compositeurs qui avaient répondu, on pouvait reconnaître ceux qui savaient ce qu’on chante au temple et ceux qui ne savaient pas. Une assemblée pouvait chanter ce qu’avaient composé les premiers. Les autres avaient mis des solistes, des parties qui se répondaient… exactement ce qu’on ne fait pas chez nous !… J’ai ressenti à ce moment-là combien nous avons des marqueurs. Et l’un de nos marqueurs est le chant d’assemblée. J’ai perçu à quel point nos chants sont codifiés. Or les trois cantiques qui ont été retenus, je les ai appris et les ai fait chanter une fois, deux fois au temple. Et puis finalement, on ne les chante plus. Pourquoi ? Non parce qu’ils ne sont pas bons mais parce qu’ils ne sont pas imprimés et transmis.

Autre initiative: j’ai eu beaucoup de chance et j’ai rencontré Jo Akepsimas, l’un des grands compositeurs de chants catholiques, qui a marqué le renouveau après Vatican 2 dans les années 1970 et 1980. Il a fait une étude sur les chants spirituels catholiques. Il y expliquait qu’il faisait lui du chant spirituel et non pas du chant liturgique. Il y a une différence entre d’un côté le chant spirituel (qui sert pour les veillées ou concerts de louange, groupes de scouts, de jeunes …) et de l’autre ce qui peut être chanté pendant les assemblées. C’est quelque chose dont on n’a pas forcément conscience parce qu’on chante quelquefois du Jo Akepsimas dans nos cultes alors que ce n’est pas ce qu’il voulait. Il disait toujours qu’il fallait soigner le sens, ne pas tronquer. Car il trouvait que beaucoup de chants nouveaux étaient un patchwork de citations bibliques manquant de sens, de ligne. Et l’important est quand même d’avoir un sens… Donc d’abord le texte (ce qui reste assez calviniste finalement), un texte que l’on réécrit pour mieux le comprendre. Un texte avec d’autres mélodies pour le mémoriser et surtout pour l’imprimer. Il ne faut pas hésiter à dépoussiérer ce qu’on a.

Dans les nouveautés, il y a un net retour aux paroles bibliques. On redécouvre le psautier originel avec ses rythmes, ce qui permet de revenir à quelque chose d’un peu plus léger que notre tradition classique où l’on met tout à 2 ou 4 temps pour que ce soit facile dans les assemblées et que ça fasse du bruit. On a aussi intégré beaucoup d’autres chants: des mélodies hébraïques, des negro spirituals… ou ce qu’on croyait des negro spirituals… Par exemple Amazing Grace, qui est en fait un chant de l’Église écossaise du 18e siècle (avec cornemuse !) qui a été repris ensuite en negro spiritual, avec une autre manière de faire mais le même air. Il faut le constater et il n’y a pas à être contre: chacun s’approprie les choses, il n’y a pas de morceau originel… Tous, on transforme tout. Mais il est intéressant de savoir d’où ça vient et si cela correspond à ce que nous pouvons chanter. Le grand cantique des anglicans (L’Église universelle fondée en Jésus-Christ) ne nous est arrivé qu’en 2002 (18). Il n’a pourtant pas l’air si compliqué, ni si exotique… mais on ne l’avait jamais identifié, pris… et changé. Il y a des airs douala, chinois… On s’inspire des communautés de chants malgaches, camerounaises, coréennes… Sans oublier les chants qu’on appelle œcuméniques: des chants de Taizé dans des tonalités moins familières pour nous, mais surtout des chants avec beaucoup de répétitions. La répétition n’est vraiment pas dans notre tradition (par exemple le Laudate Dominum de l’Emmanuel en boucle et en plus en latin…) mais pourquoi pas, si c’est bon et que ça fonctionne. Certains de ces chants ont été intégrés comme Cherchez d’abord le royaume de Dieu (Taizé) ou Chante alléluia au Seigneur. Mais ils nécessitent un peu plus de technique : il y a des alternances, des voix qui se répondent, des canons… Il y a moins d’autonomie et c’est plus compliqué à chanter en assemblée.

Car j’ai oublié de dire (ça n’est pas forcément évident pour tout le monde) qu’il n’y a jamais chez nous de personne pour diriger les chants… puisqu’il n’y en a pas besoin: l’orgue démarre, la note est donnée et puis on y va tous… sans personne pour diriger ni de chorale pour soutenir. Si une chorale intervient, c’est pour remplacer un jeu d’orgue, au moment de la quête, de l’entrée, de la sortie… Ça ne veut donc pas dire qu’on ne le fait pas mais que ce n’est pas quelque chose d’évident pour nous, ce n’est pas tout à fait notre culture.

Et puis les nouveaux chants qui arrivent sont dans nos recueils: psaumes, chorals, cantiques… tout y est. C’est la clef pour les utiliser, les faire connaître: il faut les publier, les imprimer. C’est là qu’est la force du recueil: nous avons la chance d’avoir des recueils qui nous permettent d’aller à peu près partout au culte en France, mais aussi à l’étranger… J’ai un psautier tchèque: vous l’ouvrez, vous voyez le psaume 27… c’est le même que le nôtre (en tchèque). On y retrouve nos chants et ça fait vraiment corps: j’ai chanté À Toi la gloire dans un village de Madagascar juste après Pâques l’année dernière et les gens le chantaient avec moi en malgache… Je pleurais comme une madeleine parce qu’elle était là, l’Église universelle, avec une sacrée force ! Chanter un même chant dans des langues différentes mais avec ces mêmes mélodies: nous avons cette chance-là et il faut vraiment la savourer, ne pas hésiter !

Nos amis catholiques n’ont plus de jubé, ils ont aussi quelquefois des filles qui chantent ou une dame qui fait chanter. Mais ils n’ont pas la culture de la participation active du chant d’assemblée. Quand j’avais une vingtaine d’années, je suis allée à la messe avec deux catholiques avec qui je chantais en ensemble vocal. À cette messe, j’ai chanté à pleine voix et leur ai demandé pourquoi elles ne chantaient pas. Elles m’ont répondu: «Mais il n’y a pas besoin !». J’ai été sidérée… Dans la même idée, il y a eu une une étude vers 2006 sur la liturgie catholique pour la revue Prions en Église, structurée par thème: l’entrée de la messe, etc. et puis «La musique et les fleurs»… C’était mis au même niveau ! Chez nous, les fleurs seront éventuellement là pour décorer, mais la musique est essentielle puisqu’elle est la musique de l’assemblée, elle est notre participation. Le chant de ceux qui assistent à la messe semble accessoire. À la messe, les chants sont le principal élément qui change puisque tout est codifié (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus…). Alors que chez nous, toute notre liturgie peut s’exprimer différemment. Nos chants sont alors la partie fixe, historique. Le chant catholique est plus du chant de communauté que du chant d’assemblée, c’est la fenêtre qui peut s’ouvrir pour donner des choses différentes à voir.

Quand je vais à une messe, je peux du coup ressentir une frustration: il n’y a pas la musique pour pouvoir suivre (voire il y a une feuille où figurent des chants qui ne sont pas chantés…), pas de note au départ… et les gens chantent peu. Je suis là, j’essaie de suivre mais ça ne gêne personne parce que le chant n’a pas la même fonction. Alors que pour nous, le chant est vital: il est notre manière de nous exprimer au culte. À la messe, le chant est moins vital. Ce n’est pas contre nous: c’est comme ça. Même s’ils ont des chants entraînés par des chorales, des chantres qui font chanter et aident à chanter, des endroits où on chante beaucoup. J’ai animé un certain nombre de messes et ce n’est pas toujours facile: il faut aller chercher les gens pour les faire participer ! Et puis les catholiques n’ont pas comme nous une référence en matière de chant: il y a des milliers de fiches, de partitions, mais il n’y a pas de recueil commun.

Ma conclusion est assez facile. Les vieux chants sont comme la blanquette: de la tradition, du connu, du partagé, le plaisir et la chaleur de retrouver quelque chose qu’on connaît (quelquefois depuis longtemps) ou qu’on a découvert, qui nous relie, qui fait vraiment communauté, assemblée. Et comme les blanquettes destructurées: de la revisite, du nouveau, quelque fois de la surprise… il ne faut pas hésiter ! Il y a eu des nouveautés à toute époque… et ce qui reste, c’est ce qui est bon. Il ne faut pas forcément jeter nos fondamentaux: le texte, le collectif, la mélodie d’une seule voix. Puisqu’à défaut de succession apostolique, il s’agit de notre histoire et de notre enracinement. Cette histoire est constituée de nos trois courants musicaux: l’un fondateur (le psautier avec Calvin), l’autre nous ayant rejoint (les chorals de Luther), le troisième s’étant développé après (les cantiques). Ils ont une belle complémentarité: Père, Fils, Esprit… Approches biblique, théologique, spirituelle. Et tous les trois ont toute leur place. C’est pourquoi il est important de chanter psaumes, chorals et cantiques le dimanche. Même revisités, même si une seule chose compte finalement dans le chant d’assemblée et dans l’ordre qu’on écoute: Soli Deo Gloria.

 

Illustration: assemblée dans un camp méthodiste lors du deuxième Réveil américain vers 1819 (gravure de Milbert et Dubourg, Library of Congress).

(1) Bernard Reymond, Le protestantisme et la musique, Musicalités de la Parole, Labor et Fides, 2002.

(2) Chant et musique dans les Églises de la Réforme, Des psaumes du roi David aux chorals de Bach, Musée du protestantisme dauphinois, vers 2010.

(3) Chant 24-01 dans le recueil Alléluia, Olivétan, 2013 (avec 950 chants).

(4) Valentin Conrart (1603-1675), initiateur et premier secrétaire perpétuel de l’Académie française, avait rédigé un grand nombre de versions révisées des psaumes versifiés par Clément Marot et Théodore de Bèze. Après sa mort, son ami Marc-Antoine de La Bastide (1624-1704), édita en 1679 l’ensemble du psautier révisé en faisant des choix et de multiples retouches. Cette révision commence à être chantée (avec encore des retouches) à Genève en 1698, aux Pays-Bas en 1729.

(5) À la victime pascale, des louanges …: chant du 11e siècle au plus tard, toujours utilisé dans la liturgie catholique.

(6) En 1539, alors à Strasbourg depuis un an, Calvin y publie l’ébauche du psautier: Aulcuns [quelques] Pseaulmes et cantiques mys en chant, qui comprend déjà 19 psaumes, dont le 36 pour lequel il choisit une mélodie que le musicien strasbourgeois Mathias Greiter avait composé pour le psaume 119. Après une série d’éditions intermédiaires dès 1542, le psautier complet avec musiques sera publié à Genève en 1562.

(7) Heinrich Schütz (1585-1672, Dresde), Johann Hermann Schein (1586-1630, Leipzig), Samuel Scheidt (1587-1654, Halle).

(8) Mélodie de la chanson d’amour Mein G’müth ist mir verwirret, publiée par Hans Leo Hassler (1564-1612) en 1601 et utilisée en église dès 1613 sur un texte publié en 1599 par Christoph Knoll: Herzlich tut mich verlangen nach einem sel’gen End; puis de nouveau en 1653 et 1656 par le théologien Paul Gerhardt: Befiehl du deine Wege à partir du premier verset du psaume 37 et O Haupt voll Blut und Wunden sur sa traduction de l’hymne médiéval Salve Caput Cruentatum. La mélodie est harmonisée par Bach qui l’utilise dans différentes œuvres avec différents textes: Herzlich tut mich verlangen (cantate 161), Befiehl du deine Wege (Passion selon saint Matthieu, cantate 153), O Haupt voll Blut und Wunden (Passion selon saint Matthieu), Wie soll ich dich empfangen (Oratorio de Noël), Ach Herr, mich armen Sünder (cantate 135). La version française Confie à Dieu ta route par Charles Dhombres date de 1935 et se base sur les paroles de Befiehl du deine Wege. La version Ô douloureux visage par Henri Capieu date de 1974 sur les paroles de O Haupt voll Blut und Wunden.

(9) Voir Isabelle Olekhnovitch, Tu seras maître d’école, La Cause, 2006.

(10) Herz und Herz vereint zusammen, texte de Nikolaus Ludwig von Zinzendorf en 1725, mis en musique en 1732 sur une mélodie plus ancienne. Version française d’Edmond Louis Budry (auteur du À Toi la gloire) vers 1900.

(11) Chant traditionnel allemand. Version française de Blanche Sautter en 1890.

(12) Ebenezer (surnommé Ton-y-Botel en anglais), chant en gallois composé par le chef de chœur baptiste Thomas John Williams. Version française de Ruben Saillens (1855-1942).

(13) Paroles de Jules Aeschimann (1854-1932) sur l’air Lascia ch’io pianga de Händel.

(14) Stand up, stand up for Jesus, mélodie du compositeur anglo-américain George James Webb (1803-1887) sur des paroles de George Duffield en 1858. Version française de Ruben Saillens.

(15) Jesu, meine Freude, choral de Johann Crüger sur un poème de Johann Franck en 1653, harmonisé en motet par Bach (BWV 227, et aussi cantates 12, 64, 81 et 87). Version française d’Henri Capieu en 1975.

(16) Chœur des esclaves hébreux dans son opéra Nabucco en 1842.

(17) Rivers of Babylon, par The Melodians en 1970, dont le succès est dû à sa présence dans la bande originale du film The Harder They Come en 1972, à l’origine de la vague reggae, et qui fut popularisé en Europe par la version de Boney M. en 1978.

(18) The Church’s One Foundation, par Samuel John Stone en 1866 sur la mélodie du cantique Aurelia par Samuel Sebastian Wesley (petit-fils de Wesley).

 

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