Un chemin pour la fin de vie
Nous croyons trop dans la loi, nous pourrons la changer autant que nous voudrons, les vraies questions resteront. Que serait un respect qui prescrirait à l’avance la forme qu’il doit prendre ? Aucune loi ne sera assez juste pour faire de la mort donnée un moment de sérénité. Aider à mourir c’est être là, solidaire.
Nous croyons trop dans la loi, et nous pourrons la changer autant que nous voudrons, les vraies questions resteront ailleurs. Dans un monde où la maîtrise technique nous oblige de plus en plus à tout choisir et augmente l’angoisse tragique, nous voudrions demander à la loi de nous indiquer la voie en coupant court à toute discussion. Droit à la vie ! Droit à la mort ! Que ces droits apparaissent étranges ici, et sans autre fondement que notre inquiétude existentielle ! Naître sans défaut, mourir dignement, quelle maîtrise dérisoire ! À la fin de son existence, d’une maladie incurable, ou lorsque le corps n’est plus qu’une physiologie réduite à elle-même, sans conscience, l’être humain ne demande rien que de la sollicitude, de l’aider à ne pas souffrir, de ne pas nous protéger abusivement de la crainte de la mort par des gestes ou des traitements déraisonnables et, en un mot, il nous demande d’être là, de cesser de fuir.
Respecter le vœu de la personne
Les principes en surplomb, les lois sont bien pauvres pour dicter les gestes de cette sollicitude. Et si les droits ont pour fonction de protéger les citoyens de la violence, de l’indifférence de l’autre, ils ne peuvent pas faire reculer la finitude. La médecine ne doit pas donner la mort, dit le serment d’Hippocrate. Mais la médecine a toujours donné la mort ! En suspendant les traitements et supports de la vie qu’elle a institués, ou en augmentant les doses de médicaments sédatifs. La vraie question est de respecter le vœu de la personne.
L’euthanasie, telle qu’elle est pratiquée au Benelux, installe la transgression de ce serment comme une norme. Les soignants, la médecine n’ont plus qu’à s’exécuter sans se poser de question : c’est plus facile, mais n’est-ce pas un nouveau conformisme ? Est-elle respectée, la personne qui demande à mourir pour fuir la déchéance ? Est-elle si autonome que cela dans une société qui rejette avec effroi le vieillissement et l’agonie ? L’euthanasie ne s’inscrit-elle pas dans le regard contemporain comme la tentation de se conformer à une dignité prescrite à l’avance ? Soyez dignes avant de mourir ! Un peu de tenue ! Mais de l’autre côté, est-elle respectée, la personne en état végétatif sans espérance d’émergence, maintenue en vie artificiellement pour éviter à une famille d’en faire le deuil, et maintenir la vie à tout prix ? Est-il entendu, l’inespoir de la personne qui ne voit plus devant elle qu’une vie piégée, écrasée ? Quelle vie ?
Aucune loi ne sera jamais assez juste
Nous ne croyons pas à un respect qui prescrirait à l’avance la forme qu’il doit prendre. Nous croyons qu’un accompagnement au jour le jour, resté à l’écoute de la personne mourante, permet de ne pas prolonger des agonies insupportables pour le mourant et son entourage grâce à une sédation terminale douce. Nous pensons même qu’il existe des circonstances où la survenue de la mort peut être souhaitée et aidée par l’absorption volontaire d’une substance létale dans des conditions bien déterminées, jamais clandestines, sous la responsabilité non d’une association, quelle qu’elle soit, mais d’une médecine confiante et transparente, et sous un regard qui engage la société. Mais, en même temps, nous sommes soucieux de ne pas précipiter une évolution qui soit proposée comme une alternative ou à l’insu du mourant et de son entourage, et qui manquerait l’attention qu’une société solidaire doit à toute détresse. Quoi qu’il en soit, aucune loi ne sera jamais assez juste pour faire de la mort donnée un moment de sérénité. Aider à mourir c’est tout simplement être là, auprès de celui qui meurt, solidaire.
(Tribune parue le 13 février 2014 dans La Croix. Illustration : dans un hôpital belge)
Compléments
Texte émis en mai 2013 par l’Église Protestante Unie de France, À propos de la fin de la vie humaine
Texte de la Commission d’éthique protestante évangélique de novembre 2013
Approche de la Fondation des diaconesses de Reuilly adoptée le 25 novembre 2013, Droit à vivre, droit à mourir ?
Point de vue du Conseil National des Évangéliques de France de janvier 2014
Réflexions sur la fin de vie de la Commission d’éthique de l’Union franco-belge des fédérations adventistes (UFB) et de la Fédération adventiste de la Suisse romande et du Tessin (FSRT) au 1er janvier 2014
Commentaires
Renée Koch Piettre (4 mars 2014)
S’il s’agit de condamner fermement « l’euthanasie, telle qu’elle est pratiquée au Bénélux » comme une norme, je suis entièrement d’accord avec ce texte. S’il s’agit de dire que la médecine a toujours donné la mort, en interrompant ou surdosant un traitement, je suis d’accord également : les progrès de la médecine ont incontestablement cet inconvénient de mettre au pouvoir du médecin la décision de la mort. Mais l’administration d’un produit en soi létal, c’est vraiment autre chose.
Qui nous donnera la certitude que ce geste répondra au vœu de la personne plutôt qu’à l’opportunité de libérer un lit d’hôpital, d’alléger des frais médicaux ou de prélever un organe ? Qui nous persuadera qu’un vœu émis par le patient n’émane pas d’une contrainte de la norme et du sentiment d’être déjà abandonné, plutôt que d’un désir authentique d’une mort digne ? Quelle amertume, quel arrière-goût de complicité de crime laissera aux (sur)vivants chaque décès provoqué ? Et quel espoir devant nous, si nous songeons à l’exemple que nous aurons donné à nos proches et n’entrons plus à l’hôpital qu’avec la terreur qu’on nous tue sciemment avec l’accord explicite de nos enfants ? La frontière entre humanité et barbarie se situe précisément là.
Parlons de finitude, justement : n’est-ce pas refuser la finitude que de prétendre devancer le destin ? A-t-il jamais été nécessaire d’être tué pour pouvoir mourir ? La mort ne viendra-t-elle pas toujours à son heure, fût-ce avec un quart d’heure de retard ? Comment pouvons-nous douter de sa fidélité, depuis les millions d’années qu’elle n’a jamais manqué au rendez-vous pour personne ? Certes, cela n’est pas toujours facile, bien au contraire. Il y faut tout ce qu’on craint de pire – la souffrance de l’un, l’épuisement des autres – mais aussi ce qu’on souhaite de meilleur à l’homme – l’amour, la sollicitude, la solidarité, ce grand mouvement qui réunit les familles et les amis dans l’émotion partagée autour de celui qui s’en va … Cahin-caha, c’est à ce prix que l’humanité a survécu à la mort, depuis des millions d’années. Et nous ne serions plus capables d’affronter cette difficulté et cette certitude de la fin ? Comment alors pourrions-nous encore donner la vie, qui requiert tant de soins ? Sommes-nous vraiment encore des hommes et des femmes ? Ou bien ne sommes-nous plus que des zombies, en survie virtuelle sur Facebook pour les zombies d’un non-lendemain ?
Je pense avec reconnaissance à cette amie qui avait tenu à faire soigner sa maman chez elle : pour finir, à court de forces et d’argent, elle se résignait à chercher un mouroir quelque part, le transfert était décidé, quand sa maman est morte tout doucement dans ses bras, deux usures, deux épuisements se rencontrant dans une sorte de don réciproque. La mort devenait ainsi une bénédiction et une source de vie. C’est celle-là que je souhaite à ma maman, à mes enfants, et, oui, mais ne le dites à personne : à moi-même.