"Le cinéma chrétien n'existe pas!" - Forum protestant

… Mais les chrétiens font du cinéma et vont au cinéma. Dans cet entretien avec Jean-Luc Gadreau sur Solaé à propos de son livre Bible & pop-corn, Vincent Miéville, grand praticien des salles obscures, examine en quoi la Bible questionne le cinéma et en quoi le cinéma «m’interpelle, me rejoint, dans mes questions, dans mes préoccupations, dans ce que je vis, y compris dans ma foi».

Écouter Solaé, le rendez-vous protestant, du 13 octobre 2024, sur France Culture.

 

Un divertissement qui fait réfléchir

Jean-Luc Gadreau. Vincent Miéville, ceux qui vous suivent sur les réseaux sociaux et internet le savent: à côté de vos occupations et engagements pastoraux, vous êtes un cinéphile engagé qui aimez en parler. Vous allez au cinéma toutes les semaines voir plusieurs films, généralement le mercredi, je crois ?

Vincent Miéville. Trois films en général : un le matin, deux l’après-midi.

 

Et puis vous partagez vos critiques sur un blog (1). Vous faites un pas supplémentaire aujourd’hui puisque vous publiez un livre sur «l’influence de la Bible sur le 7e art» (2). Comment s’est construit chez vous ce rapport au cinéma ?

J’ai l’impression d’avoir toujours été attiré par le cinéma, j’aime regarder des films depuis l’enfance. Adolescent, j’utilisais le magnétoscope de mes parents pour enregistrer sur VHS les vieux films qui passaient à la séance de minuit, un moyen d’améliorer ma connaissance cinématographique des grands classiques. Je me souviens notamment de ma découverte de La nuit du chasseur qui m’a profondément marqué et qui avait d’ailleurs une thématique religieuse. Depuis 10 à 12 ans, ça a pris une place plus grande dans ma vie: j’ai commencé à aller plus régulièrement au cinéma, à partager mes avis sur un blog et avoir des retours.

 

Systématiquement, que vous aimiez ou non ?

Au début, je mettais seulement des critiques sur les films que j’aimais. Et puis, petit à petit, sur tous les films que je vais voir: que je les aime ou ne les aime pas. Après le cinéma, je rentre à la maison, j’écris mes critiques, je les poste et je les partage sur les réseaux sociaux.

 

Dans quelle disposition êtes-vous quand vous rentrez dans une salle de cinéma, quand vous vous apprêtez à voir un film ?

Une certaine excitation ou en tout cas une attente: qu’est-ce que je vais voir ? Parfois une attente particulière parce qu’on connait le réalisateur, on a déjà vu un film avec tel ou tel acteur qu’on va recroiser. Parfois, c’est la découverte totale, on ne sait pas vers quoi on va … Mais il y a toujours cette attente d’une découverte: vivre une expérience inédite avec une histoire qui va nous être racontée.

 

On voit souvent le cinéma comme un loisir, un divertissement. Alors est-ce bien sérieux pour un pasteur qui, en plus, a été président d’une union d’Églises (3) et a beaucoup de responsabilités encore aujourd’hui d’aller au cinéma voir des films, beaucoup de films ? Question liée: quels films le pasteur, le chrétien doit-il aller voir ?

Le chrétien fait ce qu’il veut ! Je ne vais pas dire ce que les gens doivent voir ou ne pas voir. Je peux parler pour moi: une des choses qui m’intéressent dans le cinéma, c’est la grande diversité d’œuvres. J’aime aller voir tous les genres de films, je ne m’interdis aucun genre parce qu’il y a des bons films et des mauvais films dans tous les genres et sur tous les sujets.

 

On peut être interpellé par n’importe quel type de cinéma ?

Ce n’est pas le genre, l’histoire qui va déterminer si l’on va recevoir quelque chose ou pas. Tout film (si l’histoire nous est racontée de façon pertinente, originale, avec force) peut nous rejoindre d’une manière ou d’une autre et donc susciter en nous des réflexions, faire résonner nos préoccupations, nos questions, notre expérience.

 

Alors le cinéma est-il sérieux ou un divertissement ? …

Les deux ! Le cinéma est aussi un divertissement … et c’est très bien, le divertissement, il en faut ! Une des richesses du cinéma est d’être à la fois source de divertissement (car ça fait du bien d’aller au cinéma) et occasion de réflexion. Le film idéal est celui qui à la fois nous fait du bien, nous procure des émotions … et nous fait un petit peu réfléchir.

 

«Le texte biblique n’est pas un scénario de film»

Maintenant votre livre: peut-on vraiment parler d’une influence biblique sur le cinéma ?

Oui et dès l’origine. Des récits bibliques ont été mis à l’écran très tôt, très peu de temps après l’invention des frères Lumière. Et quand on regarde toute l’histoire du cinéma jusqu’à aujourd’hui, on se rend compte que c’est une source d’inspiration et une influence constante: soit par l’adaptation de récits bibliques, soit par référence à tel ou tel personnage de la Bible, soit par des influences plus indirectes (thématiques, récits transformés ou revisités).

 

Aujourd’hui, on parle parfois de cinéma chrétien ou à l’américaine de faith based movies (films basés sur la foi). Vous consacrez un chapitre (extrêmement court) à cette thématique. Est-ce un indicateur de votre perception des choses ?

Oui : j’ai tendance à dire que le cinéma chrétien n’existe pas ! Il y a des chrétiens qui font du cinéma, réalisent des films, écrivent des scénarios et jouent dans des films. Ça ne fait pas pour autant de ces films des films chrétiens. D’une manière générale, l’art chrétien me semble un abus de langage. Il y a des sujets religieux, parfois des sujets inspirés de la Bible, de la foi chrétienne ou de telle ou telle spiritualité… mais en réalité, cela ne change pas la nature du film.

 

Dans vos deux premières parties, vous parlez de la Bible au cinéma (les récits bibliques, le personnage de Jésus) et plus largement des inspirations et empreintes bibliques. Comment les récits bibliques, et plus particulièrement à propos de Jésus, sont-ils utilisés dans l’histoire du cinéma ?

Près de 300 films auraient adapté un récit biblique (principalement de l’Ancien Testament) et Jésus serait apparu plus de 300 fois à l’écran. Je n’ai pas vu ces 600 films… mais quelques-uns tout de même, pour préparer ce livre en particulier. L’extrême diversité d’appropriation de ces textes bibliques est intéressante. Certains essaient d’adapter très près du texte, ce qui n’est d’ailleurs pas forcément la meilleure idée, parce que le texte biblique n’est pas un scénario de film.

 

Et souvent, les récits sont courts …

Énormément de choses ne sont pas dites et il faut donc broder autour, inventer, imaginer, ou bien chercher d’autres sources pour croiser. Il y a parfois une volonté de s’approprier le récit que l’on va modifier ou adapter à des préoccupations modernes. Cette diversité d’approches est ce que je trouve intéressant et stimulant. Le plus stimulant étant quand un réalisateur ou un scénariste se saisit d’un récit ou d’une référence biblique, se l’approprie et apporte une vision personnelle, donc partielle, partiale, discutable.

 

Des films vous ont marqué plus particulièrement dans ce genre de cinéma ?

J’ai été vraiment intéressé par les deux néo-péplums réalisés assez récemment par Darren Aronofsky (Noé, qui reprenant le récit du déluge) et Ridley Scott (Exodus, le récit de l’Exode qui est presque une actualisation du film de Cecil B. DeMille) (4). Ce sont deux approches de récits bibliques très connus mais différentes car personnelles et à l’image de leurs réalisateurs qui y injectent des préoccupations modernes.

 

Noé a été très critiqué …

Surtout par des chrétiens qui ont dit que c’était infidèle au texte biblique. Ce qui n’est pas le sujet, d’autant que les gens qui émettaient ce genre de critique ne connaissaient pas toujours bien le texte biblique ! C’est une appropriation (comme tout film d’Aronofsky) avec des préoccupations écologiques, environnementales qui ne sont d’ailleurs pas absentes du récit du déluge.

 

Vous avez un Jésus, un récit d’évangile préféré au cinéma ?

L’adaptation de Jésus au cinéma est souvent frustrante parce qu’on a (en particulier quand on est croyant) une image du personnage qu’on retrouve difficilement dans un film. Mais après avoir écrit ce livre et vu un certain nombre de films, réfléchi, celui auquel je reviendrai est L’évangile selon saint Matthieu de Pasolini (5), qui reste une vision étonnante: les dialogues sont ceux de l’évangile de Matthieu (on est très proche du texte) avec en même temps une appropriation, une vision très personnelle par la mise en scène, le choix des décors et des acteurs, qui rendent vivant le texte biblique. Pour moi, ça reste la référence.

 

La Bible est-elle un livre qui inspire encore les réalisateurs aujourd’hui ?

Bien sûr ! Mais on est beaucoup moins dans l’adaptation de récits bibliques, sauf avec certaines productions explicitement destinées à l’évangélisation (et ce ne sont pas pour moi les films les plus intéressants cinématographiquement). Mais quand un grand réalisateur se saisit d’une thématique biblique ou d’un livre biblique qu’il reviste d’une façon très personnelle… Ce qui se trouve encore aujourd’hui, il y a des projets: le projet de film sur Jésus par Scorsese est un peu retardé mais on sait que celui de Terrence Malick est fait et peut-être en montage. On ne sait pas exactement quand il va sortir (il y a toujours du mystère avec Terence Malick) mais il va sortir ! Donc ça continue: le personnage de Jésus en particulier inspire toujours les cinéastes.

 

«Partir de l’expérience qu’on a eue du film»

Vous êtes pasteur et la Bible est aussi votre outil de travail au quotidien. Elle est aussi le fil rouge de notre émission. Pour notre rendez-vous avec la Parole, vous m’avez proposé d’entendre un passage du livre de Jonas. J’ai choisi le chapitre 2 qui se situe au cœur de l’histoire :

1 «Le Seigneur envoya un grand poisson qui avala Jonas. Durant trois jours et trois nuits, Jonas demeura dans le ventre du poisson

2 Depuis le ventre du poisson, il adressa cette prière au Seigneur, son Dieu:

3 «Quand j’étais dans la détresse, j’ai crié vers toi, Seigneur, et tu m’as répondu ; du gouffre de la mort j’ai appelé au secours et tu m’as entendu.

4 Tu m’avais jeté dans la mer, au plus profond de l’eau. Les flots m’encerclaient, tu faisais déferler sur moi vagues après vagues.

5 Déjà, je me disais: “Me voilà chassé loin de toi, Seigneur, pourtant j’aimerais revoir le temple qui est le tien.”

6 L’eau m’arrivait à la gorge. La mer me submergeait, des algues s’enroulaient autour de ma tête.

7 J’étais descendu là où se forment les montagnes, le monde des morts fermait pour toujours ses verrous sur moi; mais toi, Seigneur mon Dieu, tu m’as fait remonter vivant du gouffre !

8 Au moment où la vie me quittait, je me suis souvenu de toi, Seigneur, et ma prière est parvenue jusqu’à toi, au temple qui est le tien.

9 Les personnes qui rendent un culte aux faux dieux perdent toute chance de salut.

10 Mais moi, avec reconnaissance, je t’offrirai un sacrifice, je tiendrai les promesses que je t’ai faites. Oui, c’est toi, Seigneur, qui me sauves !»

11 Le Seigneur parla au poisson et celui-ci rejeta Jonas sur la terre ferme.»

 

Pourquoi avoir choisi Le livre de Jonas ?

C’est le livre biblique le plus cinématographique avec une histoire étonnante, des rebondissements, de l’humour… donc un bon scénario ! Mais surtout, le message prophétique se situe dans l’histoire qui nous est racontée, ce qui est typique d’une démarche cinématographique: on nous raconte une histoire pour nous délivrer un message.

 

Je vous propose d’écouter un très court extrait de bande originale…

(Musique du générique de Star Wars)

Tout le monde pourrait réussir ce blind test… Tout le monde connait Star Wars, une grande série avec une dimension biblique en arrière-plan. George Lucas a reconnu différentes influences et la Bible en fait clairement partie avec Luke Skywalker, figure de type christique initiée pour sauver l’humanité. Dans l’autre trilogie que tout le monde n’aime pas, il y a l’inverse avec Darth Vador et la figure de Palpatine qui rappelle le serpent du jardin d’Éden dans la Genèse.

 

Vous écrivez même en écho à Éphésiens 4,6:

«Il y a un seul Dieu, le père de tous, qui règne sur tous, qui agit par tous et qui demeure en tous».

 

La Force unit, rassemble tout l’univers et peut évoquer cette dimension-là: «Que la Force soit avec vous»

 

C’est une bénédiction !

On pourrait trouver ça à la fin d’un culte ou d’une messe…

 

Dans votre livre, il y a Star Wars, mais aussi Matrix, Le Seigneur des anneaux, Terrence Malick, Kieslowski…

L’idée était de ne pas avoir quelque chose d’exhaustif, mais de prendre plutôt quelques exemples significatifs d’influences assumées de la Bible chez certains réalisateurs, à la fois dans de grandes sagas (Le Seigneur des anneaux, Matrix…) et dans un cinéma plus pointu. J’aime beaucoup le cinéma de Terrence Malick, qui injecte beaucoup de références bibliques souvent explicites…

 

Une préférence dans les films de Malick ?

Si j’en garde un, c’est The Tree of Life (6), qui a été pour moi une expérience de type spirituel.

 

Il figure dans le palmarès personnel des titres qui vous ont le plus marqué ?

Oui, The Tree of Life en fait partie, mais le premier film que je mentionnerais a été mon premier gros choc météphysique: 2001 L’odyssée de l’espace, de Kubrick (7).

 

Que tout le monde n’aime pas…

Mais c’est justement ce qui m’a intéressé: la fin du film qui pose un certain nombre de grandes questions. Le film est un monument de l’histoire du cinéma, tous les films de science-fiction qui ont suivi s’en sont inspirés. C’est un film fondateur. Mais son propos a aussi une dimension métaphysique, spirituelle ouverte. Peu de choses sont affirmées, ce sont des questions qui sont posées… Et ça, je trouve que c’est intéressant.

 

Tree of Life, 2001, et … ?

Il était une fois en Amérique (grande saga qui me touche énormément). Le dictateur de Charlie Chaplin (8) … On va s’arrêter là pour ne pas passer une heure à en discuter ! …

 

Dans votre dernière partie, vous élargissez la réflexion autour du dialogue entre Bible et cinéma, du dialogue personnel avec le film que l’on regarde.

Il faut partir de l’expérience qu’on a eue du film (regarder un film, c’est vivre une expérience). Et se dire: Mais qu’est-ce que j’ai vécu là ? Ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu, l’histoire qui m’a été racontée, comment est-ce qu’elle m’interpelle, me rejoint, dans mes questions, dans mes préoccupations, dans ce que je vis, y compris dans ma foi, dans ce que je crois, dans ce que sont mes valeurs ? Des fois, c’est: Oui, j’y trouve des choses, un écho positif. Ou alors: j’y trouve quelque chose qui entre en opposition ou qui me heurte, qui m’interpelle. On peut réagir à tout ça en partant de cette expérience pour ensuite prendre du recul en se demandant quelle réflexion cela peut amener à avoir. Et il est intéressant de pouvoir en parler.

 

D’où ma dernière question: est-ce que vous en parlez avec d’autres ?

La frustration de ne pas pouvoir toujours en parler avec d’autres a fait que j’ai écrit mes critiques. C’est une façon de partager, d’en parler. Mais dès que j’ai l’occasion d’en parler, je le fais. Parce que c’est une façon d’enrichir la compréhension du film que d’être attentif à la façon dont les autres l’ont perçu ou reçu.

 

Illustration: Enrique Irazoqui et Pier Paolo Pasolini sur le tournage de L’Évangile selon saint Mattieu (photo Domenico Notarangelo, CC BY-SA 4.0)

(1) Le cinéma de Vincent. Voir aussi Le blog de KerouVim (séries).

(2) Vincent Miéville, Bible & pop-corn, L’influence de la Bible sur le 7e art, Bibli’O (Alliance Biblique Française), 2024.

(3) Vincent Miéville a été président de l’Union des Églises évangéliques libres (UEEL) de 2011 à 2023.

(4) Darren Aronoffsky, Noé (Noah), 2014, avec Russel Crowe. Ridley Scott, Exodus: Gods and Kings, 2014, avec Christian Bale.

(5) Pier Paolo Pasolini, L’Évangile selon saint Matthieu (Il vangelo secondo Matteo), 1964, avec Enrique Irazoqui.

(6) Terrence Malick, The Tree of Life, 2011, avec Brad Pitt, Sean Penn et Jessica Chastain (palme d’or 2011 à Cannes).

(7) Stanley Kubrick (écrit avec Arthur C. Clarke), 2001, l’Odyssée de l’espace (2001: A Space Odyssey), 1968, avec Keir Dullea et Gary Lockwood.

(8) Sergio Leone, Il était une fois en Amérique (Once Upon a Time in America/C’era una volta in America), 1984, avec Robert de Niro, James Woods et Elizabeth McGovern. Charlie Chaplin, Le Dictateur (The Great Dictator), 1940, avec Charlie Chaplin et Paulette Goddard.

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