Journalisme et religion - Forum protestant

«Donner la primeur au témoignage personnel.» Pour Linda Caille (interrogée par Jean-Luc Gadreau pour Solaé), le journalisme, en plus d’obliger à rencontrer les autres, permet de «parler de la société française à travers les spiritualités» par des reportages, des portraits et des séquences en immersion où le journaliste «ne décrit pas seulement ce qu’il voit mais est partie prenante de ce qui lui est donné à voir».

Écouter l’émission Solaé Le rendez-vous protestant (14 août 2022, présentée par Jean-Luc Gadreau et réalisée par Delphine Lemer).

 

«Partir de la demande et non de l’offre»

Jean-Luc Gadreau: Mon invitée, Linda Caille, est une journaliste spécialiste des questions religieuses, elle scrute l’évolution des pratiques dans ce domaine et leur influence sur la vie quotidienne des fidèles. Après un passage notamment par l’hebdomadaire Réforme, elle a été la rédactrice en chef de la revue Mission et écrit aujourd’hui pour divers journaux et magazines comme Le Monde, Zadig, le mag, la revue Étude ou Le 1 hebdo. Linda Caille a également écrit deux livres, d’abord en 2013 chez Fayard Soldat de Jésus, Les évangéliques à la conquête de la France puis, en 2017, Les Cathos, enquête au cœur de la première religion de France, chez Tallandier. Bienvenue dans Solaé, le rendez-vous protestant, une émission où nous parlons de Dieu, de la Bible, de la foi, du protestantisme mais aussi de culture, de faits de société, de parcours de vie. Ne serait-ce pas aussi en quelque sorte votre approche personnelle du journalisme et celle qui vous a accompagnée dans toute votre carrière?

Linda Caille: Tout à fait! Quand j’ai débuté il y a quelques années, j’étais pigiste pour l’hebdomadaire Réforme. Les journalistes abordaient souvent les religions, les spiritualités sous l’angle du débat d’idées, ce qui est intéressant en soi mais ce n’était pas vraiment mon souhait. Moi, je me voyais vraiment reporter, je voulais faire du terrain. C’était un peu mon obsession, je voulais parler de la société française à travers les spiritualités, la demande spirituelle. Il m’a donc fallu trouver à chaque fois une manière, un angle pour aborder ces questions qui ne soient pas du point de vue du débat d’idée mais du portrait et du reportage. Je voulais couvrir des évènements, rencontrer des individus, faire des enquêtes.

Jean-Luc Gadreau: C’est une forme particulière du journalisme, un peu du journalisme d’investigation finalement?

Linda Caille: Oui, il y a de l’investigation mais je me rappelle que j’ai toujours beaucoup aimé la presse magazine. Je me souviens de Paris Match chez mes grands-parents et de la presse magazine féminine aussi; les questions intimes me plaisaient; et il m’a fallu à partir de ce mélange trouver mon ton, ma manière d’aborder les choses.

Jean-Luc Gadreau: Parce qu’en même temps, à cette époque-là, et c’est peut-être encore un peu le cas aujourd’hui, assez peu de journalistes venant du religieux allaient sur ce terrain-là.

Linda Caille: Oui, on avait plutôt des tribunes de membres du clergé dans la presse nationale, pour justifier tel et tel positionnement.

Jean-Luc Gadreau: Et les journalistes protestants travaillaient dans des journaux protestants.

Linda Caille: Tout à fait, et j’ai toujours souhaité travailler dans des médias généralistes pour, justement, ouvrir les questions de spiritualité et pouvoir m’adresser à un large public. Je constatais bien que la demande spirituelle évoluait, qu’elle prenait des formes diverses et que cette demande n’était pas forcément entendue des institutions. Et je pense encore qu’aujourd’hui les Églises chrétiennes peinent à renouveler la manière dont elles parlent de l’évangile, dont elles répondent finalement à la demande spirituelle. Je voulais partir de la demande et non de l’offre des institutions, même si parfois cela peut donner des portraits un peu surprenants. Je me souviens de mon premier reportage: je suis partie deux jours dans une convention tzigane dans le Nord de la France et ça a été une expérience absolument géniale, de dépaysement, de découverte et puis, de pouvoir rendre aussi les contradictions des individus en question! Après cela, je ne pouvais plus m’arrêter…

 

«Un prétexte pour dépasser ma timidité»

Jean-Luc Gadreau: Qu’est-ce qui, à l’origine, vous a conduit à vous intéresser au journalisme? Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette profession au point de vouloir étudier cette discipline puis d’en faire votre métier?

Linda Caille: Très vite, quand j’étais enfant, cette profession m’est apparue comme le meilleur moyen de gérer ma timidité. Je voulais être photographe, au départ, mais très vite le côté vitesse, lumière, la technicité me ralentissaient. Je n’étais pas à l’aise, donc je me suis orientée vers l’écrit. Les formats différents, les publications différentes me semblaient en effet être le meilleur moyen d’écrire et de me rapprocher des autres. C’est un prétexte merveilleux de devoir écrire un article, de devoir le rendre à telle date, à telle heure! Pour moi, c’était un prétexte pour dépasser ma timidité.

Jean-Luc Gadreau: Aller à la rencontre de l’autre?

Linda Caille: C’est ça. Et dans cette profession, on ne le devine pas forcément de l’extérieur mais j’ai croisé beaucoup de grands timides!

Jean-Luc Gadreau: J’ai rapidement évoqué votre parcours pour vous présenter, avec quelques titres de journaux notamment. Y en a-t-il d’autres, d’ailleurs, pour lesquels vous travaillez? Que retenez vous plus particulièrement de votre parcours et de ce que vous faites aujourd’hui?

Linda Caille: Cela a été l’occasion pour moi de rencontrer des réalités humaines très différentes. J’ai travaillé 7 ans, vous l’avez rappelé, pour Mission, la revue du service protestant de Mission, et j’ai eu l’occasion de partir en Afrique centrale, au Sud-Kivu. Y rencontrer des croyants, des chrétiens qui vivent dans des situations de conflits larvés a été pour moi une expérience très forte et j’étais convaincue, en revenant, que la foi, quelle qu’elle soit, chrétienne ou non, est une source, une ressource existentielle. Je voulais rendre la même urgence en France.

Jean-Luc Gadreau: Ce passage par Mission reste un moment fort de votre parcours?

Linda Caille: Tout à fait, ces sept années ont été très formatrices.

Jean-Luc Gadreau: Vous étiez rédactrice en chef. Vous animiez aussi une équipe, j’imagine?

Linda Caille: Oui, il y avait différents chroniqueurs, des journalistes, des photographes. J’étais jeune journaliste et, en effet, sortir de la simple écriture de mon petit article pour planifier en amont, planifier la distribution, l’impression a été très formateur pour moi. Et je garde le goût du contact avec les métiers différents, j’aime beaucoup le rapport avec les photographes, les dessinateurs, les secrétaires de rédaction. Je ne pourrais pas du tout imaginer faire mon travail toute seule dans mon coin!

 

«L’humilité du témoignage personnel»

Jean-Luc Gadreau: Pour notre rendez-vous avec la Parole – qui est un traditionnel dans Solaé, le rendez-vous protestant, une sorte de fil rouge dans chaque émission – vous avez choisi d’écouter un psaume, le psaume 16. Il est un peu long et nous ne citerons que les versets 5 à 11.

«Seigneur, tu es la chance de ma vie, tu es l’héritage qui me revient,
tu tiens mon avenir dans tes mains.
C’est un sort qui me ravit, c’est même le plus bel héritage.
Je bénis le Seigneur qui me conseille: même la nuit, ma conscience m’avertit.
Je ne perds pas de vue le Seigneur,
je ne risque pas d’être ébranlé, puisqu’il est à mes côtés.
C’est pourquoi j’ai le cœur plein de joie, tout mon être est en fête!
Je suis en parfaite sécurité.
Non, Seigneur, tu ne m’abandonnes pas à la mort,
tu ne permets pas que moi qui suis resté fidèle, je m’approche de la tombe.
Tu me fais savoir quel chemin mène à la vie.
On trouve une joie pleine en ta présence,
un plaisir éternel près de toi!»

Jean-Luc Gadreau: Linda Caille, ce psaume 16, de quelle façon vous parle-t-il? Pourquoi l’avoir choisi?

Linda Caille: C’est un psaume que j’ai lu et relu dans des situations différentes de ma vie, de bons moments comme de moins bons. Je suis protestante et j’ai l’habitude de lire des psaumes tout comme j’ai l’habitude de lire les Évangiles. J’ai l’habitude de lire ce psaume, comme beaucoup d’autres. J’aurais pu en choisir d’autres. J’avais même pensé à un verset un peu court dans le livre du prophète Zacharie qui dit qu’il ne faut pas mépriser les petits commencements. Ce verset, comme beaucoup de psaumes, me rappelle l’humilité du témoignage personnel, que ce soit dans la joie, dans la peine, dans l’incompréhension, dans la colère. Cela me fait toujours beaucoup de bien de lire les psaumes, quels qu’ils soient. Dans mon travail de journaliste, j’aime donner la primeur au témoignage personnel. Souvent, dans les articles de presse, on pose le problème dans une première partie, ensuite on a différents témoignages et à la fin on donne la parole à des universitaires, à des sachants qui globalement nous disent ce qu’on doit penser et retenir du sujet. Je crois en la force du témoignage en lui-même, à la première personne, parce que je crois en l’incarnation, en la force de l’incarnation.

Jean-Luc Gadreau: Et c’est de cette manière-là d’ailleurs que vous allez à la rencontre de l’autre, justement, dans votre travail de journaliste. C’est sans doute pour cette raison que vous appréciez tant le portrait?

Linda Caille: Oui, je ne pourrais pas imaginer mon travail différemment. Je travaille toujours énormément en amont. Je fais beaucoup de recherches, je lis, parce que je sais que, à un moment donné, je serai intrusive. Ça ne m’empêche pas d’être très transparente, notamment sur les règles du jeu, sur ce que je veux voir entendre, faire dire à certaines personnes. C’est nécessaire si je veux avoir une information différente de mes collègues et le portrait c’est ce qui, à mon avis, se rapproche le plus de l’exercice littéraire parce que je fais de la personne que je rencontre un personnage.

Jean-Luc Gadreau: Et il faut créer de la confiance, j’imagine?

Linda Caille: Oui, je parle beaucoup avec les personnes que je rencontre et je suis très transparente sur mes motivations. C’est vrai qu’à l’écrit, on transforme l’individu en un personnage mais j’ai aussi envie que la personne concernée se reconnaisse. Si elle ne se reconnaît pas, l’exercice est raté. J’ai aussi envie qu’entre le moment où la personne m’a reçue, a ouvert la porte, a échangé quelques mots avec moi, et la fin de l’entretien, elle comprenne que j’ai compris qui elle est.

 

«Décrire des mondes invisibles»

Jean-Luc Gadreau: Pour revenir à votre travail, plus précisément encore, vous écrivez aujourd’hui pour diverses revues qui ne sont pas forcément orientées, à l’origine, vers la question religieuse. Comment choisissez-vous un sujet et comment ensuite le proposez-vous à un magazine? Racontez-nous ça!

Linda Caille: J’ai été très marquée ces deux dernières années par l’immersion. J’ai été en immersion dans une Église pentecôtiste et, dernièrement, j’en ai fait une autre à Calais qui sortira début septembre dans la revue Zadig. C’est un travail que je trouve passionnant parce que, à Zadig, on a l’habitude de dire qu’une immersion c’est un peu plus qu’un reportage et un peu moins qu’une enquête. C’est-à-dire que le journaliste ne décrit pas seulement ce qu’il voit mais est partie prenante de ce qui lui est donné à voir. Il y a une forme d’engagement dans ce qui est vécu. L’immersion permet de décrire des mondes invisibles et je crois que c’est un atout de la presse aujourd’hui que de donner à voir des mondes qui ne sont plus visibles, en l’occurrence des communautés religieuses dans un pays qui est quand même largement déchristianisé et laïc et où dire sa foi peut souvent paraître douteux. Ce travail d’immersion chez des pentecôtistes pour Zadig a été pour moi révélateur parce que je ne pensais pas qu’un journal généraliste comme celui-ci s’y intéresserait autant et me laisserait 30000 signes.

Jean-Luc Gadreau: C’est vrai que l’on parle en signes dans la presse… C’est le nombre de caractères, espaces compris?

Linda Caille: Oui, c’est très long!

Jean-Luc Gadreau: Chercher, pour un journaliste, c’est le point de départ de toute enquête?

Linda Caille: Oui, quand je travaillais pour le journal Mission, je voulais absolument écrire un livre pour me distinguer de mes collègues. Je voulais trouver une enquête qui me permette de parler de la France entière. Les évangéliques étaient peu connus à l’époque et ils m’apparaissaient comme des gens souvent jeunes et enthousiastes. Cela a été mon premier livre, Soldats de Jésus, une somme de travail énorme.

Jean-Luc Gadreau: Parce qu’en plus, derrière cet intitulé, il y a une foule de possibles pour aborder la question. Parce qu’ils sont multiples.

Linda Caille: En France, les évangéliques ne sont pas très nombreux. Mais pour moi ça a été l’occasion de faire mes armes.

Jean-Luc Gadreau: Vous êtes protestante mais vous ne veniez pas de ce milieu-là, il faut peut-être le préciser. Vous êtes plutôt issue des milieux réformés?

Linda Caille: Oui, c’est ça, un protestantisme classique.

Jean-Luc Gadreau: Cette enquête était donc une découverte pour vous aussi?

Linda Caille: Oui, la découverte de comment des chrétiens expriment leur foi différemment, comment ils utilisent les médias, comment les pentecôtistes ont souvent utilisé la radio.

Jean-Luc Gadreau: C’est vrai qu’il y a une longue histoire.

Linda Caille: Les évangéliques, plus charismatiques à l’époque, étaient très présents sur Internet. Je me souviens de chaînes de prière: c’était totalement nouveau, je n’avais jamais entendu parler de ça… Pour moi, ça a été l’occasion de trouver mon ton, de trouver ma manière à moi de raconter les choses. Surtout que, dans un livre, on a de la place. Cela m’a permis – je me le rappelle très bien – quand le livre est sorti, en janvier 2013, de trouver mon ton. J’avais confiance en mon regard et ça, c’est important pour un journaliste.

Jean-Luc Gadreau: Et puis, vous avez également écrit un deuxième livre sur les catholiques, une thématique encore plus forte, il me semble, du point de vue de la somme de travail.

Linda Caille: Oui, c’était là l’occasion de parler de classes sociales différentes. Avec Les Cathos, enquête au sein de la première religion de France, j’ai pu sortir des milieux populaires qui sont souvent ceux des évangéliques pour explorer différentes classes sociales, dans différentes régions, et voir comment la foi s’incarne, comment des fidèles parlent de leur foi catholique. Ce que j’ai adoré dans ce travail – et c’est ce qui continue de me passionner aujourd’hui – c’est d’observer comment la foi transforme le regard posé sur le quotidien, les relations interpersonnelles, le vote, les loisirs, que ce soit chez les chrétiens ou chez d’autres croyants. Là, la démarche journalistique me semble totalement pertinente.

 

«Comment le témoignage spirituel évolue»

Jean-Luc Gadreau: Y a-t-il des sujets qui actuellement vous taraudent, qui sont là, au fond de votre cœur et que vous avez envie de travailler?

Linda Caille: Il y a un an, un sondage de la Licra a dit qu’aujourd’hui, 51% des collégiens sont favorables au port du voile et aux signes religieux dans l’enceinte du collège. Il y a là un retour d’intérêt.

Jean-Luc Gadreau: Un retour du religieux et une volonté de l’afficher?

Linda Caille: Exactement. Et chez des personnes jeunes, qui ne sont pas forcément familières de la Bible ni du Coran, mais chez qui il y a une tolérance. Cela me semble curieusement en accord avec l’esprit de la loi de la laïcité.

Jean-Luc Gadreau: Pouvez-vous développer votre pensée?

Linda Caille: Eh bien, je serais curieuse de voir comment ces collégiens comprennent que leurs voisins aient envie de rester eux-mêmes en portant le voile, ou en portant une croix, ou une kippa et comment le témoignage spirituel évolue dans cette génération-là.

Jean-Luc Gadreau: Avec en toile de fond la liberté et le respect qui deviennent un peu des ancrages d’une laïcité bienveillante et ou chacun peut s’exprimer en respectant l’autre.

Linda Caille: Exactement, même si le collège, le lycée doivent rester des sanctuaires. C’est comme ça, c’est la loi. Et puis à l’université, ça change. Et pourquoi pas?

Jean-Luc Gadreau: Vous travaillez aussi actuellement sur d’autres sujets. Je crois que vous élargissez un peu votre champ d’action en ne restant pas uniquement sur le christianisme?

Linda Caille: Oui, j’ai travaillé avec beaucoup d’intérêt la semaine dernière sur les femmes soufies et comment le soufisme répond à une quête spirituelle aujourd’hui. Et prochainement, je vais refaire une immersion à Calais avec des problématiques sociales différentes mais avec toujours des chrétiens plus ou moins engagés auprès des personnes les plus faibles.

Jean-Luc Gadreau: Eh bien merci beaucoup Linda d’avoir joué le jeu de cette conversation matinale. Bon courage dans l’écriture des prochains articles. Pour la rentrée, où peut-on vous retrouver?

Linda Caille: Dans le Monde.fr, la rubrique le monde des religions, et dans la revue Zadig.

Jean-Luc Gadreau: Voilà, rendez-vous pris pour vous lire!

 

Transcription réalisée par Pauline Dorémus.

Illustration: culte de l’Église Vie et Lumière.

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