Tenir parole envers les vivants: une occasion manquée
La pollution plastique est «l’un des plus grands problèmes de pollution que nous rencontrons sur terre». Mais à Genève, «les pays producteurs de pétrole, ayant le soutien des États-Unis et de la Chine» viennent de faire échouer un accord international visant à la limiter. Au-delà de «l’affrontement du pot de fer et du pot de terre», c’est pour Jean-Paul Sanfourche «un de ces blocages profonds de notre civilisation technicienne», anticipé aussi bien par Günther Anders («savoir sans croire») que par Hans Jonas, Jürgen Habermas ou Jacques Ellul.
«Prenez donc garde de vous conduire avec circonspection, non comme des insensés, mais comme des sages ; rachetez le temps, car les jours sont mauvais» (Éphésiens 5,15-16).
Un échec préoccupant
Ainsi l’espoir d’accord international visant à lutter contre la pollution plastique s’est envolé. Entre les incendies transformant paysages et habitations de l’Europe du Sud en cendres, une épuisante canicule, l’avenir incertain de l’Ukraine et de l’Europe, le rêve nationaliste d’un Grand Israël, l’événement est passé presqu’inaperçu. Les États membres de l’ONU ont échoué à adopter, le 15 août, un traité contraignant sur la pollution plastique. Cet échec est préoccupant, car cette pollution s’intensifie avec une forte hausse de la production mondiale et un recyclage très limité. Il s’agit de «l’un des plus grands problèmes de pollution que nous rencontrons sur terre». Son omniprésence, sa dangerosité démontrée et connue pour les écosystèmes et la santé humaine sont autant d’alertes et de menaces majeures qu’on aurait cru suffisantes pour aboutir à un consensus et la signature d’un premier traité mondial. Mais le consensus fut impossible entre des États et des ONG plaidant pour une réduction de la pollution et les pays producteurs de pétrole, ayant le soutien des États-Unis et de la Chine, qui refusent toute contrainte (1). Alors pourquoi, malgré l’urgence environnementale et un consensus scientifique sur la gravité de la situation, la communauté internationale échoue-t-elle à adopter un traité contraignant visant à réduire la production de plastique à sa source ?
Évidemment, ainsi posée, la question semble naïve et trouve sa réponse immédiate et logique. C’est l’affrontement du pot de fer et du pot de terre, la contradiction conflictuelle entre la course aux profits et au développement économique de certains pays et les nécessaires contraintes écologiques globales. Le plastique étant un dérivé du pétrole, les États producteurs voient dans le moindre effort de régulation une menace sur leurs revenus. Les enjeux économiques et industriels l’emporteront (toujours ?) sur les arguments environnementaux. Et les lobbies pétrochimiques parviendront (toujours ?) à leurs fins en influençant les stratégies de négociations, rendues presqu’impossibles ou les vouant cyniquement à l’échec dans le cadre institutionnel onusien (2). Les vouant inévitablement à l’inaction. Tous les articles et les comptes-rendus à propos du sommet de Genève montrent à l’évidence une prise de pouvoir des forces techniques et industrielles, imposant le diktat d’une gestion servant les intérêts économiques au mépris de l’intérêt commun. Même naïve, cette question impliquerait aussi, dans une perspective politique, des réponses touchant à la crédibilité du multilatéralisme (fragilité des mécanismes multilatéraux), à celle des traités internationaux, et forcerait au constat d’une fracture Nord-Sud quant à la manière d’aborder la transition écologique.
Une même question selon différentes perspectives
Toutefois, la question perdrait son apparente naïveté et la réponse son immédiate évidence si nous la lisions, par exemple, dans la perspective critique développée par Günther Anders à travers son concept de désynchronisation entre ce que l’humanité sait et ce qu’elle est capable de faire. Elle renverrait alors au thème central chez Anders du décalage entre conscience et action. On pourrait approfondir la même question à la lumière de «la honte prométhéenne», malaise de l’homme face aux artefacts qu’il a créés, mais qu’il ne maîtrise plus. En dépassant l’idée que l’homme se sent impuissant et indigne face à ses productions techniques et en constatant que les défenseurs des intérêts économiques et industriels le condamnent sciemment à l’inaction, donc à l’impuissance et à l’indignité. La question pourrait tout aussi bien se poser dans le cadre de la critique anthropologique de l’obsolescence de l’homme, mettant en évidence cette idée que l’homme moderne devient inadéquat face à la mesure de ses propres créations techniques. Comment expliquer que, face à une catastrophe écologique annoncée et scientifiquement étayée, les sociétés contemporaines échouent à traduire cette lucidité en décisions politiques contraignantes pour enrayer la catastrophe humanitaire de la pollution plastique ? Alors que la survie des générations futures est en jeu ? Se poserait la nécessité d’une éthique intergénérationnelle tournée vers l’avenir. C’est alors à la lumière du principe responsabilité de Hans Jonas que la question se poserait et trouverait une terrible réponse. «Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre.»
Et personne n’a mieux posé cette même question que Jürgen Habermas avec sa théorie de l’agir communicationnel, en décrivant les blocages entre savoir, dialogue et action politique. Comment expliquer que, malgré une rationalité scientifique partagée sur les dangers de la pollution plastique, les processus de délibération démocratiques échouent à produire un consensus politique ? Enfin, dans la perspective de la critique de l’autonomie du phénomène technique de Jacques Ellul, la question pourrait se formuler à peu près ainsi: la communauté internationale est-elle réellement en mesure de lutter contre la pollution plastique, ou est-elle structurellement paralysée par un «système technicien» qui échappe à toute régulation politique efficace ? Non seulement la technique obéirait à sa propre logique, ce qui rendrait illusoire tout effort de régulation, mais elle serait amplifiée et entretenue par la complicité criminelle des lobbies.
La question première, tout en restant la même malgré de légères reformulations qu’elle implique, trouve une étrange pertinence selon les cadres conceptuels de ces quatre penseurs visionnaires qui semblent, au travers d’un dialogue fictif, nous inviter à la poser autrement: en quoi l’échec du traité international contre la pollution plastique témoigne-t-il d’une «crise de l’imagination morale» et politique dans les sociétés techniciennes contemporaines ?
Un paradoxe majeur: savoir sans croire
L’échec de Genève n’a rien d’une banale péripétie diplomatique. Il révèle (en même temps qu’il en relève) un de ces blocages profonds de notre civilisation technicienne, que nos quatre penseurs ont largement anticipés, selon des perspectives certes différentes mais complémentaires. Le cynisme des lobbies témoigne d’un manque d’«imagination morale». C’est le moins qu’on puisse dire devant leurs manœuvres, leurs calculs sordides et leurs stratégies d’usure sur lesquels nous ne reviendrons pas ici mais qui, de toute évidence, ont conduit sciemment, en toute conscience, à l’échec (3). Certains acteurs politiques de l’immédiat et du court terme ne parviennent pas encore à vivre comme réel ce que l’on sait et ce qu’ils savent intellectuellement, scientifiquement. Il y a, selon les termes d’Anders, un «savoir sans croire», c’est-à-dire une césure entre le savoir et la conscience. Savoir que la planète a produit plus de plastique en deux décennies qu’au cours du demi-siècle précédent, savoir que moins de 10% des déchets sont réellement recyclés, connaître les conséquences écologiques, humaines, désastreuses, mais ne pas y croire vraiment en refusant tout accord sur une limite de production, dans une coupable cécité politique devant une catastrophe globale annoncée. Une sorte de schizophrénie contemporaine qui consiste à voir et connaître le danger imminent mais à refuser d’agir. Notre pouvoir d’agir excède notre capacité d’être responsable et dépasse notre maturité morale.
«Une capitulation éthique»
Quelle disproportion entre la portée de nos actes techniques et la capacité de nos institutions morales à les encadrer ! Entre l’accélération de nos «capacités d’action» (en projection, cette production de plastique triplerait d’ici 2060) et le développement de notre sagesse collective ! Anders pourrait certes encore dénoncer «un retard de l’imagination». Il faut en effet s’interroger sur cet imaginaire largement sous influence. Le philosophe parle de «désactivation de l’imagination morale». Car ce sont en effet les puissances industrielles qui ont aujourd’hui tout pouvoir sur l’imaginaire collectif. Ce sont ces nouvelles puissances imaginantes dominantes qui sans cesse construisent les récits, façonnent les catégories de pensée, fixent les limites de ce qu’il serait acceptable d’envisager et contribuent à ce «retard d’imagination», en procédant à «une désactivation morale» (4). Celle-ci construit, nourrit et légitime ce que nous pourrions appeler de «faux imaginaires» (5) construits sur des illusions, des fictions, détachés de l’éthique. D’un point de vue philosophique, ce constat rejoint la pensée d’Hans Jonas (Le Principe responsabilité) qui affirme que le développement technique exige une nouvelle éthique, orientée vers la préservation de l’humanité et de la nature. À côté de la lucidité d’Anders, la pensée de Jonas éclaire parfaitement les raisons et les compromissions qui ont rendu impossible la décision collective.
La ministre de l’écologie a parlé de «capitulation éthique». Au nom du principe jonassien, elle a raison. Car cet échec programmé est emblématique d’un déficit éthique et d’un aveuglement (prométhéen) collectif. Attaché à «une vie authentiquement humaine», Jonas a constaté que la puissance technique humaine est désormais capable de compromettre l’habitabilité de la planète. D’où cet impératif de responsabilité qui fait obligation morale aux hommes d’anticiper les conséquences à long terme, même «imprévisibles», et d’agir de manière à préserver les conditions minimales de la vie humaine. Celle-ci impliquant la création d’un environnement sain indissociable d’une justice sociale et d’un développement moral et culturel. À Genève, cette anticipation nécessaire était possible. Les deux registres corrélés chez Anders étaient amplement renseignés. Au plan cognitif comme au plan affectif, imaginatif. Les délégations disposaient non seulement d’un ample corpus scientifique (6) mais d’un récit moral sur la responsabilité envers les générations futures qui permettaient de prendre au sérieux l’éthique jonassienne, soucieuse de préserver la condition humaine sur le long terme.
L’inaction comme faute
Pour Jonas, la dimension morale de l’époque technique s’attache à l’irréversibilité des effets qu’elle est capable de produire. La portée et la durée de nos actions et de leurs conséquences excèdent notre immédiate communauté temporelle. Dès lors, le critère moral ne consiste pas en une «bonne intention» ou l’effort de «conformité à la loi». Le critère moral se résume à la capacité d’anticiper et de prévenir des atteintes qui compromettent la dignité de la vie humaine. L’inaction délibérée que signifie l’échec de Genève équivaut à la tolérance aveugle et irresponsable d’un état de fait dangereux pour l’humanité. Le maintien sans contraintes de la production et de la dissémination du plastique dans la volonté d’ignorer ou de relativiser les effets cumulatifs sur la biosphère et la santé humaine pourrait être considéré à partir de ce 15 août comme un choix assumé. Choix dont les conséquences seront supportées par les populations qui ont ou non participé à cette décision et surtout par les générations à venir, à qui l’on transfère un fardeau en toute connaissance de cause. Choix qui autorise l’installation irréversible du dommage. Dans le registre de Jonas, comme dans celui des penseurs auxquels nous faisons référence, cela constitue une faute morale collective. Car Jonas insiste tout particulièrement sur la dimension éthique de cette inaction qui est stratégie de répartition injuste des risques. Les bénéficiaires – les producteurs, les industries – ont désigné leurs victimes, indifférents à leur vulnérabilité, indifférents à cette obligation morale universelle de préserver notre condition, la condition humaine.
Une dérive tragique irréversible ?
Magnus Heunicke n’a pu taire son trouble. Il qualifie l’échec de Genève de «tragique», décrivant ainsi une situation sans issue, et dont le dénouement malheureux serait lié à la fatalité inscrite dans la condition humaine. Comme si, impuissant, il faisait le constat d’un incompréhensible paradoxe: l’homme détourne ses propres créations contre lui-même à des fins tragiques. Nombreuses sont les techniques qui, au lieu de servir l’humanité, se retournent contre elle. Éternelle tension entre perte de la maîtrise technique et dérive tragique. Relisons Le Système Technicien de Jacques Ellul. Chaque invention technique en appelle une autre selon une logique autonome. Croyant maîtriser le progrès, l’homme en devient l’otage. «Ce n’est plus l’homme qui dirige la technique, mais la technique qui impose ses lois à l’homme.» Cet engrenage et son effet-cliquet est perceptible dans l’histoire et cette perte de contrôle a souvent été mise en scène par la littérature ou constitué un thème de réflexion pour la philosophie (7). Il se révèle comme un mécanisme déterminant dans l’issue des débats à Genève. Et débouche sur ce qui peut être interprété comme une crise sans horizon. Vraiment sans horizon ?
Si l’on réinterprète l’échec de Genève à la lumière de la théorie d’Habermas (l’agir communicationnel), ce moment de crise n’est pas simplement un échec mais il est aussi révélateur d’un déficit de rationalité communicationnelle. Rappelons brièvement que le philosophe distingue deux types de rationalité. L’instrumentale et la communicationnelle. La première est centrée sur l’efficacité, les stratégies individuelles, les intérêts particuliers. C’est cette rationalité qui a prévalu à Genève: les États et les acteurs privés ont défendu leurs intérêts économiques nationaux, sectoriels et particuliers. La seconde est orientée vers la recherche d’un consensus rationnel fondé sur l’argumentation, la vérité et l’intérêt commun. Dans cette perspective, le blocage générant l’échec est interprétable comme «une crise de légitimation» des mécanismes actuels de négociation internationale. Les lobbyistes des couloirs ont prémédité et assuré l’échec en exploitant les limites structurelles du système qu’ils connaissent. Aussi ce sont ces conditions déficientes qu’il convient de dénoncer afin de conduire une réforme des procédures. Aucun échec n’est dépourvu de sens. Il constitue une «opportunité critique» lorsqu’on a la volonté d’en déterminer les déficiences systémiques. «La session de négociation n’est pas close» (8), a déclaré Luis Vayas Valdivieso (président du comité de négociations) à l’Agence France Presse. Inger Andersen (directrice exécutive du programme des Nations Unies-Unep) semble s’inspirer d’Habermas en déclarant à l’AFP que ces dix journées de négociations «ont permis de comprendre plus en détail les lignes rouges» de chaque pays. «Nous ne les connaissions pas aussi bien qu’aujourd’hui. (…) C’est un pas très important.» Ce que semble confirmer Tim Gabriel (avocat et conseiller politique à l’agence d’enquête environnementale londonienne) au journal britannique The Guardian: «Les États pétroliers ont utilisé toutes les tactiques déloyales du manuel multilatéral (c’est nous qui soulignons) pour retarder, tromper, tergiverser et détruire un traité efficace sur les plastiques».
Ainsi, le sommet de Genève ne serait (sera) pas un échec s’il était (est) analysé comme un déclencheur de transformation en permettant aux négociations ultérieures de se fonder sur «une rationalité communicationnelle». Si, dans l’écho des voix que nous avons convoquées, et selon l’espoir encore intact de certains décideurs, il permettait, à l’issue d’un diagnostic exigeant, une refondation éthique et communicationnelle de ces nouveaux débats. Diagnostic qui doit, selon les mots de Jonas, comprendre que l’avenir n’est pas un supplément moral optionnel mais la condition de la validité des actes politiques. Sans rigueur morale, il n’y a pas de courage politique. Et le courage politique est celui qui tient parole envers les vivants d’aujourd’hui et de demain. C’est là, selon nous, la portée politique du principe de responsabilité.
«Rachetez le temps…»
Et puis il y a cet appel de Paul, qui, je l’espère, a toujours éclairé la lecture de ces lignes comme il a éclairé leur rédaction. «Prenez donc garde de vous conduire avec circonspection, non comme des insensés, mais comme des sages; rachetez le temps, car les jours sont mauvais», appel à vivre en «enfants de lumière», à marcher dans la sagesse et non dans la folie. Cet appel auquel les voix de nos philosophes semblent étrangement et unanimement répondre en le prolongeant. «Car les jours sont mauvais.» Comme cette parole résonne avec force dans notre monde où tant d’événements sont les signes tangibles de ces jours mauvais. Mais comme cette parole est aussi pleine d’Espérance. Elle n’appelle pas à céder au fatalisme mais rappelle que c’est dès maintenant, dans et malgré l’obscurité de notre temps, que la lumière de la sagesse et de la foi doit briller. Agissez avec lucidité, prudence et vigilance. Les «insensés» qui vivent «comme si Dieu n’existait pas» sont ceux qui refusent de voir, de comprendre et d’appliquer ce qui est juste. Ceux qui manquent de discernement et de sens moral. Ceux qui refusent d’agir avec «circonspection» et n’envisagent jamais les conséquences de leurs actes, avides de satisfaire leurs intérêts immédiats contribuant à la lente dérive du monde. «La lâcheté des partisans de l’inaction» selon Fabrice Bonnifet (9).
«Rachetez le temps…» Saisissez l’occasion. Même lorsque les institutions faillissent, que l’échec des négociations internationales semblent conduire à la lassitude, à la résignation, voire au désespoir, il faut entendre les voix de la sagesse (celles de nos philosophes ici cités en font partie) qui raniment en nous la volonté d’agir dans l’intime conscience de la responsabilité morale.
Bibliographie sélective
Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme, Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, traduction de Christophe David, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2002 (édition originale: Die Antiquiertheit des Menschen 1, Über die Seele im Zeitalter der zweiten industriellen Revolution, C.H. Beck, 1956).
Jacques Ellul, Le Système technicien, Calmann-Lévy, 1977 (dernière édition: Cherche Midi, 2012).
Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel 1, Rationalité de l’agir et rationalisation de la société, traduction de Jean-Marc Ferry, Fayard (L’espace du politique), 1987 (édition originale: Theorie des kommunikativen Handelns 1, Handlungsrationalität und gesellschaftliche Rationalisierung, Suhrkamp, 1981).
Hans Jonas, Le Principe responsabilité, Une éthique pour la civilisation technologique, traduction de Jean Greisch, Rivages, 1990 (dernière édition: Champs Essais, 2024; édition originale: Das Prinzip Verantwortung, Versuch einer Ethik für die technologische Zivilisation, Insel-Verlag, 1979).
Illustration: point de dépôt de bouteilles plastiques à Santiago du Chili (photo JaqueB, CC BY-SA 4.0).
(1) Le ministre danois de l’environnement, Magnus Heunicke, qui a négocié au nom de l’UE, a déclaré aux journalistes: «Bien sûr, nous ne pouvons pas cacher qu’il est tragique (c’est nous qui soulignons) et profondément décevant de voir certains pays tenter de bloquer un accord», tout en promettant de continuer à travailler sur le traité nécessaire pour s’attaquer à «l’un des plus grands problèmes de pollution que nous rencontrons sur terre». Emma Farge et Olivia Le Poidevin, Plastic pollution treaty stalled as Geneva talks end without deal, Reuters, 15 août 2025.
(2) Unanimité exigée dans un contexte de rapports de force inégaux.
(3) Sylvie Burnouf, Pollution plastique : l’obstruction des pays pétroliers entraîne un échec cuisant des négociations sur un traité international, Le Monde, 15 août 2025. L’article met l’accent sur la présence des industries pétrochimiques dans les couloirs de la conférence et leur proposition de textes inacceptables en vue d’un compromis au rabais, au détriment du bien commun et des enjeux écologiques. Il dénonce la captation des processus décisionnels par les intérêts privés.
(4) Il conviendrait certainement de faire un parallèle entre cette «désactivation morale» et l’effacement de la sphère politique au profit de la gestion technique, thème développé par Hannah Arendt dans Condition de l’homme moderne (1958). Sous le chapitre du désenchantement du monde…
(5) Par exemple notre adhésion au récit touchant au recyclage, alors qu’il est partiel et souvent inexistant. Récit construisant un imaginaire consensuel basé sur une fiction. Il me semble parfois que nous sommes victimes, malgré nous, de ces «faux imaginaires constituants», qui ne sont plus source de création de formes sociales inédites, mais qui, nourris de fictions et d’illusions, sont à l’origine de conceptions du monde totalement déconnectées des réalités, privées de repères moraux, sans prise sur des enjeux concrets et où toute décision semble absorbée dans un consensus mou, sans choix tranché ni responsabilité collective claire. C’est ce consensus mou que souhaitaient imposer les lobbies à Genève. Ce recyclage qui nous apparaît comme une bouée de sauvetage moral n’est que, selon Ellul, «la naturalisation» des solutions techniques qui se déploient comme réponses dominantes: recyclage intensif, technologies de tri, innovations de fin de chaîne… Ces réponses sont à première vue séduisantes car compatibles avec la logique technique (améliorer l’efficacité du système), mais elles peuvent servir de prétextes à différer les transformations structurelles (réduction de la production, substitution de matériaux) que Jonas et les écologistes jugent nécessaires pour préserver la «vie authentiquement humaine». En d’autres termes, la technique propose des palliatifs qui préservent le système plutôt que de le remettre en cause.
(6) Rapports annuels du PNUE (évaluation des coûts sanitaires, projection de hausse de production…).
(7) On pense au Frankenstein de Mary Shelley; au Prométheus (1774) de Goethe, où Prométhée apparaît comme le symbole de l’homme autonome, créateur de sa propre destinée, en rupture avec la soumission religieuse; au Prométhée mal enchaîné de Gide (1899), récit philosophique peu connu mais dont la réflexion morale sous la satire se construit autour de la figure d’un Prométhée qui s’attache à son châtiment; aux auteurs dystopiques comme Orwell ou Huxley… L’émancipation technique ou spirituelle contient toujours en germe la possibilité du chaos, voire de la chute. On pense aussi, évidemment, à Hannah Arendt (Condition de l’homme moderne, 1958).
(8) «Valdivieso said the session had merely been adjourned rather than ended. Countries and the secretariat “will be working to try to find a date and also a place” for resuming the talks, he told Agence France-Presse» (Valdivieso a déclaré que la session avait simplement été ajournée, et non close.). Karen McVeigh et Emma Bryce, Plastic pollution talks fail as negotiators in Geneva reject draft treaties, The Guardian, 15 août 2025.
(9) Fabrice Bonnifet, Échec de la conférence internationale contre la pollution plastique: pourquoi le scénario du pire était écrit, TF1, 18 août 2025.