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Médias: les jeunes face au chaos?

S’informant et échangeant d’abord sur les réseaux sociaux, les jeunes sont confrontés au «chaos informationnel» généré par les plateformes. Dans ce septième et dernier volet de notre série sur les débats de la présidentielle, les quelques textes choisis soulignent à la fois le «grand travail éthique» accompli par cette génération et son regard critique et lucide sur ce nouveau système.

 

Même si on n’a pas souvenir historiquement que ça ait jamais été une période facile de l’existence, la difficulté d’être jeune aujourd’hui se trouve accentuée par ce qui se passe dans un milieu où ils sont forcés d’évoluer et qui détermine en bonne partie leur insertion dans le monde des adultes: l’information. Une information qui a changé en partie de nature depuis la révolution internet avec l’irruption des réseaux sociaux où l’on peut être tout autant spectateur qu’acteur.

 

En difficulté face au «chaos informationnel»…

Car la première source d’information pour les jeunes, à la différence des moins jeunes, «ce sont les réseaux sociaux», rappelle la chercheuse Sophie Jehel (interrogée par Marine Slavitch pour La Revue des médias). Ensuite vient la télévision (journal du soir et chaines d’information lors d’évènements chauds) puis «les informations transmises en discutant avec leur famille et leurs amis». Si Jehel parle de «chaos informationnel» chez les adolescents, c’est que cette expression lui est venue

«par les récits de jeunes des milieux populaires. La grande majorité d’entre eux raconte ne pas se retrouver dans les contenus de leurs fils d’actualité. On a tendance à dire que les algorithmes savent mieux que les usagers ce qu’ils recherchent, mais dans mes entretiens, j’entends le contraire. «Je reçois des informations qui ne m’intéressent pas, cela me fait perdre du temps, je ne comprends pas pourquoi on m’envoie des articles insolites…» Le chaos, c’est l’écart entre l’information intéressante que l’on s’attend à trouver sur les réseaux sociaux, normalement plus personnalisés que les médias traditionnels, et ce que l’on y trouve réellement. Par ailleurs, on a tendance à répéter sans cesse aux jeunes qu’il faut vérifier l’information. En réalité, sur les réseaux sociaux, il est très compliqué de trouver les sources. La manière de circuler sur le fil d’actualité consiste à «scroller» en faisant défiler rapidement les informations. Le chaos, c’est donc également l’absence de contextualisation de l’information.»

Face à ce chaos et aux attitudes contrastées qu’elle constate face aux images violentes, la chercheuse reste sceptique sur les efforts de modération des plateformes et les efforts publics contre les fausses informations :

«Cela fait quinze ans que nous savons que les adolescents vont sur des plateformes numériques très peu régulées et qu’ils publient des éléments de leur vie dont ils ne perçoivent pas toujours les conséquences. Ils ont avant tout besoin d’espaces de parole libre dans lesquels ils pourront évoquer tous les problèmes qu’ils rencontrent sur les plateformes. Je pense que la priorisation actuelle des pouvoirs publics sur la question de l’information n’est pas tout à fait en phase avec la réalité vécue par les adolescents. Aujourd’hui, les jeunes réalisent eux-mêmes un grand travail éthique qui nécessite une énergie importante. Il s’agit pour eux de traiter tous les messages qu’ils reçoivent et de réfléchir à la manière dont ils doivent y répondre. J’appelle cela le travail émotionnel. Ce travail n’est pas lié au fait de savoir si une information est vraie ou fausse, mais à la manière dont son partage, la réponse ou non-réponse des publics va être reçue, à leur pertinence. Le travail de vérification de l’information me semble très loin des réalités que vivent les adolescents. L’enjeu principal serait plutôt de créer des activités sur la question de la réception des images qui leur font violence. »

Même constat de décalage des efforts publics en ce qui concerne la promotion du livre et de la lecture, de la part de David Piovesan pour The Conversation à propos du Pass culture qui favorise paradoxalement l’achat de mangas à succès: «Les mangas occupent les 11 premières places du classement. La part des mangas dans le top 22 est de 95% avec plus de 1,4 million d’exemplaires vendus». Bien sûr, «on ne peut réduire la lecture des jeunes à une liste de 22 ouvrages qui en donnent une image forcément biaisée. Et naturellement, on pourra arguer qu’un livre lu reste un livre lu, quel qu’il soit, et qu’il vaut mieux lire un manga que rien du tout». Car «un autre élément positif de ce dispositif, indubitablement, est la fréquentation des librairies par les jeunes générations et la razzia sur certaines séries. Plus de 400 000 jeunes ont ainsi acheté des livres grâce au dispositif Pass Culture». Bref, «loin des idées reçues, les jeunes lisent encore, et les politiques publiques culturelles peuvent avoir un véritable impact pour les accompagner» mais «on mesure malgré tout l’ampleur du travail encore à accomplir pour favoriser la diversité culturelle dans la lecture des jeunes générations. Il n’est ainsi pas évident de se libérer de l’influence consumériste, c’est là tout l’enjeu des politiques publiques et du travail des librairies».

 

…mais désireux de s’informer pour s’insérer

Il y a décalage aussi entre les habitudes des nouvelles générations et les pratiques des grands médias qui tentent comme ils peuvent de «reconquérir les jeunes» comme en rend compte Chrystal Delfosse pour Méta Media à propos du projet allemand #UseTheNews. Les conclusions (partagées sous la forme d’un livre blanc en ligne) valent pour toutes les sociétés occidentales et peuvent être déclinées en quatre points:

1 Les jeunes ne sont pas «un public cible unique, tant les habitudes, besoins et intérêts en termes d’informations diffèrent au sein de ce même groupe». L’étude identifie «quatre groupes. Certains vont s’informer presque exclusivement grâce à des sources journalistiques, en considérant que cela forge leur opinion – principalement les plus âgés et ayant un niveau d’éducation élevé. Tandis que d’autres vont se tourner vers des “acteurs privés”, que sont les célébrités et les influenceurs. Certaines personnes vont combiner ces deux sources – et seront considérées comme « bien informées ». Enfin, il existe également un groupe de personnes n’éprouvant aucun intérêt pour l’actualité et n’utilisant aucune source d’information.»

2 Les jeunes apprécient le journalisme et ses contenus mais le consomment beaucoup plus via les canaux traditionnels (y compris en ligne) que sur les réseaux sociaux où «le contenu journalistique cohabite avec une multitude d’autres messages». Le défi pour les médias est donc d’y renforcer leur présence et pour cela «de s’adapter au contenu natif des réseaux sur lesquels ils publient».

3 Même s’ils les valorisent, les jeunes «ne trouvent pas de lien entre les contenus journalistiques et leur propre vie. Ils ne comprennent souvent pas la hiérarchie des médias et ne trouvent pas d’arguments permettant d’expliquer pourquoi telle actualité traitée est importante. Aussi, de nombreux jeunes déplorent l’omniprésence de certains sujets dans les médias». Malgré la diversité des approches, deux traits unissent ces publics: «un intérêt commun pour les informations insolites et divertissantes» et l’attente qu’on «leur fournisse des informations factuelles, plutôt que des opinions personnelles».

4 Enfin, fait consensus chez les jeunes un dernier point qui pourra rassurer les plus âgés: «S’ils s’informent, c’est principalement pour pouvoir participer aux conversations avec leur entourage social. Plus précisément, les adolescents font mention du fait de pouvoir prendre part aux débats menés dans leurs salles de classe, tandis que les jeunes adultes citent le désir d’assumer leur rôle de “bon citoyen” et de pouvoir “contribuer à la société démocratique”».

 

Illustration: photo tomwsulcer (CC0 1.0).

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