Fin de vie: «Ce qu’on devrait tous faire»
Intitulé Choisir de mettre fin à sa vie avec le secours de la médecine et l’aval de la loi?, le texte publié par la Commission d’éthique protestante évangélique s’oppose clairement à «toute inscription de l’euthanasie ou du suicide assisté dans la loi». Pour Luc Olekhnovitch, pasteur (UEEL) et président de cette commission, il s’agit aussi d’appeller les chrétiens à mieux connaître les dispositifs existants et à faire plus pour accompagner les personnes en souffrance.
Comment réagissez-vous aux conclusions de la Convention citoyenne sur la fin de vie?
Les gens qui ont suivi la Convention citoyenne ont au moins fait l’apprentissage de la complexité. Mais le résultat est décevant: 56% des participants demandent l’accès au suicide assisté pour les mineurs et 84% estiment que la loi actuelle ne répond pas aux demandes… Alors que quand les personnes sont prises en charge, on sait qu’il n’y a que 3% d’entre elles qui persistent à demander l’euthanasie. La loi actuelle est une bonne loi mais il est important de clarifier le rôle de la loi dans la société: son but n’est pas de régler des cas particuliers mais d’offrir un cadre général. Le légal n’est pas forcément le juste et le juste doit être examiné cas par cas. Or on alimente les peurs avec des cas extrêmes médiatisés, on veut que les choses aillent vite et supprimer la souffrance.
Quelques jours avant la publication de ces conclusions le 3 avril, la Commission d’éthique protestante évangélique que vous présidez a publié un texte (voir ci-dessous) le 29 mars. Comment le situez-vous par rapport aux prises de position de la FPF et du CNEF (1) alors qu’on a l’impression d’un consensus protestant sur ces questions?
Oui, il y a un consensus protestant sur les questions de fin de vie. On dit tous que la loi actuelle est un bon cadre qui fournit des outils, qu’il ne faut changer ce genre de loi que «d’une main tremblante». Notre commission (créée en 1996 pour les évangéliques de la FPF qui ne se retrouvaient pas forcément dans les positions de la commission éthique de la fédération, mais d’abord là pour participer et alimenter le débat) était d’ailleurs prête à ne pas faire de déclaration au cas où elle se serait retrouvée suffisamment dans celles de la FPF ou du CNEF. Mais il y avait deux choses:
Par rapport à la FPF, son interpellation s’adresse d’abord au gouvernement. Elle est très complète et pédagogique mais n’aboutit pas à un oui ou un non clair à toute future loi autorisant une aide active à mourir. Elle dit «ce n’est pas opportun» aujourd’hui. Nous voulions que nos Églises disent un «non» clair à toute loi et nous voulions d’abord nous adresser aux chrétiens.
Par rapport au CNEF, son texte est un rappel légitime mais il n’explicite pas lui non plus le rôle des chrétiens et des Églises. Disons qu’il est bon et nécessaire de rappeler le commandement «Tu ne commettras pas de meurtre» mais que ce n’est pas suffisant.
Or nous voulions interpeller aussi les Églises. Fin de vie, perte d’autonomie, souffrance, ce sont des choses qui inquiètent et préoccupent aussi les chrétiens. On voudrait susciter des débats dans les Eglises: maintenant, on fait quoi? Nous voulions une interpellation pour accompagner et qui reste valable quelle que soit la loi votée ensuite pour une pédagogie vis à vis des Églises évangéliques, un appel au service des souffrants. Il y a beaucoup d’ignorance et de crainte dans ces Églises comme dans le reste de la population.
Voir quelqu’un souffrir, ça agresse et il y a une grande peur de perdre la dignité («Comment je vivrais si…»), une intériorisation du «Je suis une charge». La société a tendance à mettre à distance les très pauvres, à jeter les personnes comme des déchets: ils ne marchent plus donc on n’en a plus besoin. Les souffrants gênent, ils coûtent et il y a une mentalité eugénique intolérance au handicap.
Alors que le discours sur la vieillesse est différent dans la Bible: «Vieillissant, il porte encore des fruits» (psaume 92,15). Il faut accueillir cette difficulté qui fait irruption, la solution n’est pas l’individualisme. Être avec est un combat mais ça apporte: on a besoin de prendre soin les uns des autres. On reste digne même si on n’est plus autonome et il est important de savoir qu’on a pu se dire adieu, c’est plus facile à vivre.
Justement, que peuvent faire les Églises?
Ce qu’on devrait tous faire au lieu de tout attendre de l’État, aider notre prochain souffrant à notre mesure, se former et s’informer…
Le gros problème auquel on s’attaque, c’est l’ignorance qui nourrit la peur. J’ai fait une formation sur la fin de vie à des étudiants évangéliques en passant une vidéo où s’exprimaient des infirmières et aides soignantes en services de soins palliatifs. Ils étaient très surpris, une étudiante a dit: «Ah, je pensais qu’elles étaient très dures, en soins palliatifs»! Les Églises peuvent être des lieux de formation, elles peuvent aider à faire un pas de côté par rapport au discours ambiant. Elles peuvent aussi être des centres de ressources: un pasteur est un aiguilleur, il peut conseiller les familles parfois… à condition de se former. Un pasteur n’a pas la même vision du monde qu’un soignant, c’est normal, mais j’essaye de me former et de m’informer pour ne pas juger sans savoir.
La grande réponse qu’on peut donner à la souffrance, c’est l’accompagnement. Accompagner, ce n’est pas: «Une prière et puis s’en va». C’est être-avec, je l’ai pratiqué comme pasteur. Il y a des cas difficiles où on voit la limite de son accompagnement. Accompagner, ça coûte, mais c’est très enrichissant. En fin de vie, il y a des moments de vie extraordinaires , on reçoit plus qu’on ne donne. Mais il ne faut pas y aller n’importe comment. On a besoin d’être soutenu et aidé, de se former, d’aller au delà de nos peurs.
Trois cas m’ont frappé:
Une personne âgée célibataire membre de l’Église a été hospitalisée pour un refroidissement avant le Covid. On va la voir à l’hôpital et on la trouve pieds nus, grelottant en chemise de nuit. Parce que «l’Ehpad n’a pas fait sa valise». C’était une personne seule. L’aide soignante est venue lui mettre une couverture. La vigilance des familles est très importante.
Quand j’étais proposant, je suis allé voir une vieille dame dont on m’avait dit qu’elle n’avait plus que quelques mois à vivre mais qu’il ne fallait surtout pas le lui dire… et elle a vécu encore plusieurs bonnes années, ça m’a fait réfléchir.
Et puis cette personne que la famille a repris chez elle alors que les médecins disaient qu’elle n’allait pas passer le week-end et qu’il fallait la «laisser partir». On est allés prier avec elle, la personne est toujours là, son fils prend soin d’elle de façon impressionnante avec l’aide de soignants qui permettent cette hospitalisation à domicile.
L’accompagnement, il faut le faire avec toutes les personnes de bonne volonté, pas seulement avec les chrétiens. J’ai rencontré des médecins palliatifs non croyants et on se retrouvait sur les mêmes positions. Notre foi nous appelle à aimer comme le bon samaritain, mais il y a aussi toutes ces personnes qui sont de bonne volonté, même rémunérées, qui sont aussi là et qui sont essentielles pour passer le relais, comme l’aubergiste…
Illustration: Le bon samaritain s’occupant du voyageur blessé à l’auberge (Giovanni Battista Langetti, Venise, vers 1665, National Trust).
(1) Le CNEF a publié un communiqué Fin de vie: ce que nous croyons juste le 4 janvier, la Commission Éthique et société de la FPF un livret Pour davantage d’humanité en fin de vie le 4 avril. Les trois unions d’Églises qui participent à la Commission d’éthique protestante évangélique (l’UEEL, la Fédération Baptiste et l’UNEPREF) font partie à la fois de la FPF et du CNEF.
Choisir de mettre fin à sa vie avec le secours de la médecine et l’aval de la loi ?
Une fin de vie qui inquiète
Dans bien des cas, la manière dont la fin de vie est vécue dans notre pays n’est pas satisfaisante. Elle se vit le plus souvent à l’hôpital, hors du cadre familier de la personne, et fréquemment dans une certaine solitude, apparaissant ainsi inquiétante pour nombre de nos contemporains et préoccupante même pour nous chrétiens.
Par ailleurs, bien des gens appréhendent la perte de leur autonomie et souhaitent pouvoir échapper à ce qu’elles considèrent comme une mort indigne.
Mais, selon notre foi, nous croyons que personne n’est maître de sa vie et de sa mort et que la dignité et la valeur irréductible d’un être humain ne dépendent en rien des conditions extérieures ni même de son état physique ou psychique. Dit autrement, nous croyons que la dignité ne se réduit pas à l’autonomie, et qu’une vie dépendante est également digne d’être vécue.
Mais nous entendons ces inquiétudes et ces craintes et considérons que la société et l’Eglise doivent chercher à y répondre.
Une loi globalement sage à mieux connaître et appliquer
Il est certain que beaucoup de nos contemporains, patients comme malheureusement aussi soignants, n’ont pas une conscience très claire des possibilités actuelles au niveau médical et législatif. Nombreux sont ceux qui ignorent que, depuis 2005, la loi a évolué et ouvre des possibilités qui répondent déjà largement aux besoins et aux inquiétudes de beaucoup. La loi actuelle (dite loi Claeys-Léonetti de 2016) garantit ainsi, d’une part, que la parole du patient soit écoutée en rendant ses directives anticipées écrites contraignantes pour le médecin (sauf si le médecin considère qu’elles sont manifestement inappropriées). Par exemple, une personne peut refuser toute obstination déraisonnable et même tout traitement, incluant sous cette catégorie les soins vitaux du type alimentation et hydratation. Elle assure d’autre part que la personne en fin de vie ne souffrira pas, en faisant de la sédation profonde et continue jusqu’à la mort (une anesthésie générale en fait) un droit du patient que le médecin doit respecter. En effet, face à des douleurs insupportables qu’aucun autre traitement ne soulage, et quand le pronostic vital est engagé à court terme, le patient peut demander une sédation profonde terminale (même si celle-ci peut accélérer la mort). Elle prévoit enfin le développement des soins palliatifs. Cette loi se met donc résolument du côté du patient et du respect de sa volonté. Elle apparaît comme rassurante pour lui et pour sa famille face à la peur, pas toujours illusoire malheureusement, d’être abandonné avec ses souffrances.
Par ailleurs, le développement des soins palliatifs est déjà à même de répondre à bien des besoins en prenant soin des souffrances physiques et en accompagnant psychologiquement, voire spirituellement, les personnes dans les derniers jours de leur vie. Ils sont malheureusement très insuffisamment développés, que ce soit en termes de structures, de personnel ou de répartition sur l’ensemble du territoire. Il est donc nécessaire de multiplier les unités de soins palliatifs. Mais plus encore, il faut développer une culture de soins palliatifs au sein de la communauté soignante et encourager les soins palliatifs quel que soit le lieu de prise en charge (hospitalisation à domicile, EHPAD, hôpitaux) en assurant ainsi une continuité des soins.
La loi actuelle est donc globalement sage et bonne, même si nous émettons quelques réserves sur la sédation finale terminale (2). Ainsi, à notre sens, il s’agit d’abord de commencer par mieux et davantage la faire connaître et l’appliquer.
Il serait ainsi regrettable et dangereux que l’euthanasie ou le suicide assisté soient dépénalisés et inscrits dans la loi.
En effet, si toute demande de mettre fin à ses jours doit être entendue comme un appel à l’aide, un besoin d’écoute et d’accompagnement, il est extrêmement difficile de déterminer dans quelle mesure elle est destinée à durer. Nombreux sont les cas où une attention affectueuse et un accompagnement de la personne dans ses différents besoins ont abouti à un apaisement réel et à la fin de la demande. Ainsi, seuls 3% des personnes prises en charge maintiennent leur demande d’euthanasie. Cette présence aux autres et en particulier à l’autre souffrant, est au cœur même de l’Evangile.
Mais surtout, toute inscription de l’euthanasie ou du suicide assisté dans la loi aboutirait à une remise en cause du principe de solidarité au fondement de notre société, rendant encore plus exposée la situation des plus vulnérables. Actuellement, la société dans son ensemble − et cela concerne en particulier les soignants − est perçue comme devant apporter aide et soutien. Un changement de la loi, autorisant à donner ou à faciliter la mort, ne pourrait que contribuer à ébranler davantage la confiance que la personne peut faire à son entourage. Elle pourrait même susciter chez certains, par souci de ne pas peser sur les leurs ou même sur la société, une sorte de «devoir» de quitter la vie. Cela semblerait d’autant plus étrange que, avec l’abolition de la peine de mort, la société a bien manifesté le caractère essentiel du respect de la vie humaine. A cet égard, le poids des contraintes économiques, qui prennent une place toujours plus grande dans notre société et dans notre système de soins, laisse craindre la possibilité de dérives qu’il est facile d’imaginer.
Enfin, l’expérience des pays qui ont autorisé l’euthanasie ou le suicide assisté montre bien que tout contrôle strict de l’aide active à mourir est assez utopique et que l’on entre rapidement dans un processus par lequel on tend à élargir de plus en plus le champ d’application de la loi (comme, par exemple, en Belgique).
Certes, une loi, du fait de son caractère nécessairement général, ne peut jamais répondre à tous les cas de figure et on peut imaginer qu’il demeurera des situations dans lesquelles les soignants pourront en conscience penser qu’accéder à la demande d’une personne qui souhaite mourir sera la seule réponse possible. Mais il est important que cela demeure une transgression de la loi (3) pour laquelle il doit être possible de rendre compte devant un juge (4).
Nous demeurons donc opposés à toute inscription de l’euthanasie ou du suicide assisté dans la loi sous forme de dépénalisation ou de légalisation.
Ce non à une extension de la loi actuelle nous appelle, nous chrétiens et communautés chrétiennes, avec toute personne de bonne volonté, à un oui encore plus exigeant: celui d’accompagner les personnes, familles, aidants et soignants en souffrance.
Commission d’éthique protestante évangélique, 29 mars 2023
Contact : correspondethique@orange.fr
(2) En particulier nous rappelons que la sédation profonde terminale doit demeurer un moyen d’apaiser les souffrances et non une euthanasie masquée.
(3) Plus exactement de la lettre de la loi ou d’une interprétation de la loi en son silence.
(4) Plus exactement devant un juge chargé d’évaluer dans quel mesure l’esprit de ladite loi a été ou non enfreint.