Navalny: "À la veille de l'anniversaire de l'invasion armée..." - Forum protestant

Navalny: « À la veille de l’anniversaire de l’invasion armée… »

Nous traduisons ci-dessous le texte diffusé depuis sa prison il y a quasiment un an par Alexeï Navalny à l’occasion de la première année de guerre lancée contre l’Ukraine. Il y résume clairement sa position pour un arrêt immédiat de la guerre, le retour aux frontières internationalement reconnues, la poursuite des criminels de guerre et des réparations à l’Ukraine pour les nombreux dégâts causés par le régime de Vladimir Poutine. Nous traduisons également un autre texte diffusé de la sorte en janvier dernier pour expliquer son retour en Russie en 2021 après avoir été empoisonné sur ordre du pouvoir en 2020. Alexeï Navalny avait aussitôt été emprisonné et envoyé en Sibérie où il a été déclaré mort ce vendredi 16 février 2024.

Lire les fils diffusés en anglais par Alexeï Navalny sur son compte Twitter le 20 février 2023 et le 17 janvier 2024.

 

À la veille de l’anniversaire de l’invasion armée et sans motif de l’Ukraine par les troupes russes, j’ai résumé ma plateforme politique et, j’espère, celle de beaucoup d’autres gens corrects.

 

15 thèses d’un citoyen russe qui désire le meilleur pour son pays

De quoi s’agissait-il et à quoi avons-nous affaire maintenant ?

 

1. Le président Poutine a lancé une injuste guerre d’agression contre l’Ukraine sous des prétextes ridicules.

Il tente désespérément d’en faire une «guerre du peuple», cherchant à faire de tous les citoyens russes ses complices, mais il n’y arrive pas. Il n’y a quasiment pas de volontaires pour cette guerre et l’armée de Poutine doit s’appuyer sur des prisonniers et des gens mobilisés de force.

 

2. Les véritables raisons de cette guerre sont les problèmes politiques et économiques à l’intérieur de la Russie, le désir de Poutine de rester au pouvoir à tout prix et son obsession de laisser une trace dans l’histoire. Il veut rester dans l’histoire comme «le tsar conquérant» et «le rassembleur de terres».

 

3. Des dizaines de milliers d’Ukrainiens innocents ont été assassinés et la douleur et la souffrance ont touché des millions de personnes en plus. Des crimes de guerre ont été commis. Des villes ukrainiennes et des infrastructures ont été détruites.

 

4. La Russie subit une défaite militaire. C’est en se rendant compte de ce fait que les autorités ont changé de rhétorique depuis les affirmations que «Kiev va tomber en trois jours» aux menaces hystériques d’utiliser des armes nucléaires si la Russie perdait.

Les vies de dizaines de milliers de soldats russes ont été ruinées pour rien. La défaite militaire finale peut être retardée au prix des vies de centaines de milliers de soldats mobilisés en plus mais cela ne pourra pas être évité.

La combinaison de guerre d’offensive, de corruption, de généraux incapables, d’économie affaiblie et d’héroïsme et de forte motivation parmi les forces qui se défendent ne peut avoir que la défaite comme résultat.

Les appels trompeurs et hypocrites du Kremlin à des négociations et un cessez-le-feu ne sont rien d’autre qu’une constatation réaliste des perspectives futures d’action militaire.

 

Que doit-on faire ?

5. Quelles sont les frontières de l’Ukraine ? Les mêmes que celles de la Russie – elles sont internationalement reconnues et ont été fixées en 1991. La Russie avait alors reconnu ces frontières et elle doit aussi les reconnaitre aujourd’hui. Il n’y a rien à discuter ici.

Presque toutes les frontières dans le monde sont plus ou moins absurdes et peuvent mécontenter certains. Mais au 21e siècle, on ne peut pas lancer des guerres pour les redessiner. Ou alors le monde va plonger dans le chaos.

 

6. La Russie doit quitter l’Ukraine et lui permettre de se développer comme ses habitants l’entendent. Arrêter l’agression, terminer la guerre et retirer toutes ses troupes d’Ukraine. Continuer cette guerre n’est qu’une colère enfantine provoquée par l’incapacité et y mettre fin serait un geste fort.

 

7. Avec l’Ukraine, les États-Unis, l’Union Européenne et le Royaume-Uni, nous devons trouver des moyens de compenser les dégâts causés à l’Ukraine.

Une façon d’y arriver serait de lever les restrictions imposées sur notre pétrole et notre gaz et de consacrer aux dédommagements une partie des revenus que reçoit la Russie des exportations d’hydrocarbures. Bien sûr, cela ne devra être fait qu’après un changement de pouvoir en Russie et la fin de la guerre.

 

8. On doit enquêter sur les crimes de guerre commis durant cette guerre en coopération avec les institutions internationales.

 

Pourquoi stopper l’agression de Poutine profiterait à la Russie ?

9. Est-ce que tous les Russes sont nés impérialistes ?

C’est absurde. Par exemple, la Biélorussie est aussi impliquée dans la guerre contre l’Ukraine.

Cela signifie-t-il que les Biélorusses ont aussi une mentalité impérialiste ? Non, ils ont tout simplement un dictateur au pouvoir.

Il y aura toujours en Russie des gens avec des opinions impérialistes, comme dans tout autre pays conditionné historiquement pour cela, mais ils sont loin d’être la majorité.

Il n’y a pas de raison de gémir et de s’en plaindre. Ces gens devraient être battus aux élections, tout comme les extrémistes de gauche et de droite sont battus dans les pays développés.

 

10. Est-ce que la Russie a besoin de nouveaux territoires ?

La Russie est un vaste pays avec une population qui diminue fortement et des campagnes qui se vident. L’impérialisme et la fièvre de conquérir des territoires sont le chemin le plus douloureux et le plus destructeur.

Encore une fois, le gouvernement russe détruit notre avenir de ses mains uniquement pour que notre pays ait l’air plus grand sur la carte. Mais la Russie est bien assez grosse comme ça. Notre objectif devrait être de protéger nos gens et de développer ce que nous avons en abondance.

 

11. Pour la Russie, l’héritage de cette guerre sera tout un enchevêtrement de problèmes complexes et à peu près insolubles à première vue. Il est important pour nous d’affirmer que nous voulons vraiment les résoudre et de s’y mettre honnêtement et ouvertement.

La clé du succès est de comprendre que terminer cette guerre aussi vite que possible ne sera pas seulement bon pour la Russie et ses habitants mais aussi profitable.

C’est la seule façon de commencer à progresser vers une levée des sanctions, le retour de ceux qui sont partis, la restauration de la confiance des entreprises et la croissance économique.

 

12. Laissez-moi ré-insister qu’après la guerre, nous devrons rembourser l’Ukraine pour tous les dégâts causés par l’agression de Poutine.

De toute façon, la restauration de relations économiques normales avec le monde civilisé et le retour de la croissance économique nous permettra de le faire sans nuire au développement de notre pays.

Nous sommes tombés au plus bas et pour remonter, nous avons besoin d’aller dans l’autre sens. Ce serait à la fois éthiquement correct, rationnel et profitable.

 

13. Il nous faut démanteler le régime de Poutine et sa dictature. Idéalement par la tenue d’élections législatives libres et la convocation d’une assemblée constituante.

 

14. Il nous faut établir une république parlementaire basée sur l’alternance au pouvoir grâce à des élections honnêtes, des tribunaux indépendants, le fédéralisme, l’autonomie locale, une complète liberté économique et la justice sociale.

 

15. En reconnaissant notre histoire et nos traditions, nous devons faire partie de l’Europe et suivre la voie européenne de développement. Nous n’avons pas d’autre choix ni besoin d’autre choix.

 

«Pourquoi es-tu revenu ?» (17 janvier 2024)

Il y a exactement trois ans, je suis retourné en Russie après avoir été traité contre mon empoisonnement. J’ai été arrêté à l’aéroport. Et pendant trois ans, j’ai été en prison.

Et pendant trois ans, j’ai répondu à la même question.

Les prisonniers me la posent simplement et directement.

Le personnel de la prison le demande en faisant attention, quand il n’y a pas d’enregistrement.

«Pourquoi es-tu revenu ?»

En répondant à cette question, je me sens frustré de deux façons différentes. D’abord une frustration envers moi-même pour ne pas trouver les bons mots qui pourraient le faire comprendre à tout le monde et faire cesser ce questionnement sans fin.

Deuxièmement, il y a une frustration envers le paysage politique des dernières décennies en Russie. Ce paysage a si profondément enraciné le cynisme et les théories complotistes dans la société que les gens rejettent spontanément les motivations simples.

On dirait qu’ils croient que si tu reviens, c’est que tu dois avoir conclu un accord. Que c’est juste que ça n’a pas marché. Ou pas encore. Qu’il y a un plan caché impliquant les tours du Kremlin.

De toute façon, il y a une raison SECRÈTE cachée sous la surface. Parce qu’en politique, rien n’est aussi simple que ça en a l’air.

Mais il n’y a pas de secrets ou d’explications tordues. Tout est aussi simple que ça.

J’ai mon pays et mes convictions. Je ne veux pas abandonner ou trahir. Si tes convictions ont un sens, tu dois être prêt à résister pour elles et faire des sacrifices si nécessaire.

Et si tu n’es pas prêt, alors tu n’as pas de convictions. Tu penses juste que tu en as. Mais ce ne sont pas des convictions et des principes; ce sont juste des pensées dans ta tête.

Bien sûr, ça ne veut pas dire que toute personne qui n’est pas en ce moment en prison manque de convictions. Le prix à payer est différent selon les personnes. Pour beaucoup de gens, le prix est élevé sans même être emprisonné.

J’ai participé à des élections et lutté pour des postes de pouvoir. L’exigence envers moi est différente. J’ai voyagé dans tout le pays, déclarant partout à la tribune, «Je promets de ne pas vous laisser tomber, je ne vous décevrai pas, et je ne vais pas vous abandonner».

En retournant en Russie, j’ai rempli ma promesse aux électeurs. Il faut tout de même qu’il y en ait en Russie qui ne leur mentent pas.

Il s’est révélé qu’en Russie, pour défendre le droit de croire à quelque chose et de ne pas le cacher, il faut que tu payes pour cela en cellule d’isolement. Bien sûr, je n’aime pas être ici. Mais je n’abandonnerai ni mes idées ni ma patrie.

Mes convictions ne sont pas exotiques, sectaires ou radicales. Au contraire, tout ce que je crois est basé sur la science et l’expérience historique.

Ceux au pouvoir devraient changer. La meilleure façon d’élire des dirigeants est de le faire par des élections libres et honnêtes. Chacun a besoin d’une justice impartiale. La corruption détruit l’État. Il ne devrait pas y avoir de censure.

L’avenir repose sur ces principes.

Et maintenant, les sectaires et les marginaux sont au pouvoir. En général, ils n’ont aucune idée. Leur seul but est de garder leurs fauteuils. Une hypocrisie perfectionnée leur permet de s’enrouler dans n’importe quelle couverture.

Ainsi, les polygames sont devenus conservateurs. Les membres du Parti Communiste de l’Union Soviétique sont devenus orthodoxes. Les possesseurs de passeports dorés et de comptes offshore sont maintenant des patriotes agressifs.

Des mensonges et rien que des mensonges.

Cela va s’écrouler et s’effondrer. L’État poutiniste ne peut pas durer.

Un jour, nous regarderons là où il est et il ne sera plus là.

La victoire est inévitable.

Mais en attendant, nous ne devons pas abandonner et nous devons agir selon nos convictions.

 

Alexeï Navalny jugé à son retour en Russie le 20 février 2021 (photo Evgeny Feldman, CC BY-SA 4.0 Deed)

2 Commentaires sur "Navalny: « À la veille de l’anniversaire de l’invasion armée… »"

  • Michel

    Bonjour. Il y a une chose qui m’interpelle : pourquoi un homme tel que Navalny, intelligent et cultivé, a-t-il volontairement été se jeter dans un piège en se rendant en Russie, sachant qu’il serai arrêté, torturé et jeté en prison ad vitam eternam ?? Quelque chose m’échappe dans cette histoire, sa mort supposée est-elle une mise en scène orchestrée avec le pouvoir russe ?? Poutine n’avait aucun intérêt à faire disparaitre Navalny, cela n’a aucun sens de la part d’un des plus brillants colonels du FSB.

    • Jean

      Navalny a répondu à ce genre d’interrogation dans un de ses derniers « fils » Twitter (car c’est la question que lui posaient les autres prisonniers) que nous traduirons d’ici peu. Il ne souhaitait pas être tué par le régime mais mettre le régime en difficulté et si Poutine l’a finalement fait tuer, c’est peut-être que Navalny le mettait un peu trop en difficulté (comme pour sa volonté de détruire l’Ukraine : les Ukrainiens le mettant en difficulté en prouvant qu’on peut parler – de moins en moins – russe et vivre en démocratie). Poutine n’a rien de « brillant », c’est d’abord un assassin de masse qui fait un tort considérable à son pays et aux pays voisins parce qu’il a une peur panique des révolutions populaires contre les régimes autoritaires.

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