Présence d’aujourd’hui et Ehpad de demain
Rester chez soi ou intégrer un Ehpad, se préparer à quitter son chez soi, trouver le relationnel nécessaire dans un nouveau lieu, les enjeux sont multiples au seuil des 80 ans…
Texte publié dans le cahier du Christianisme social Place aux vieux! du numéro 2022/1 de Foi&Vie.
Tant que la vigueur et les occupations éclipsent ce qui nous rapproche de la fin de notre expérience terrestre, la vieillesse nous semble bien loin et n’occupe finalement que peu d’espace dans notre réflexion,
Envisager la vieillesse commence pourtant à s’imposer lorsqu’à 60 ans par exemple, la carte senior de la SNCF vous indique que vous basculez dans cette catégorie dont vous avez encore du mal à imaginer que vous y glissez tranquillement ! C’est mon cas … La perspective de la retraite présente des avantages en termes de liberté de son emploi du temps. Lorsque la vie professionnelle commence à peser trop lourd à cause de tensions ou de la fatigue, envisager la retraite peut être un soulagement ! Puis la liberté de se consacrer à ce qui vous intéresse plus particulièrement donne du sens à cette nouvelle étape du parcours. Pour bien vieillir, disent les revues spécialisées, il est conseillé de prendre soin de soi, de sa santé avec une hygiène de vie adaptée, puis de se rendre utile auprès des siens ou d’une association et de cultiver ses relations… Mais ce qui m’intéresse ici est la période où je ne pourrai plus faire face seul, lorsque je deviendrai plus dépendant des autres.
Une vie plus exiguë
La fonction d’aumônier dans la Fondation Diaconesses de Reuilly nous conduit vers des personnes plutôt âgées, que ce soit à l’hôpital pour des problèmes de santé ou dans les maisons de retraite pour des femmes et des hommes de moins en moins autonomes. Notre regard sur la vieillesse se nourrit du propos de ces patients ou résidents que nous accompagnons. Ce qui me frappe surtout est la question de l’acceptation. Je me dis que je devrais déjà m’y entraîner même si je n’ai que 61 ans.
Vieillir, c’est accepter de diminuer, de dépendre de plus en plus des autres, de devoir réduire son espace et ses projets. Car si la volonté est toujours là, disent les anciens, l’énergie n’y est plus.
Nous sommes parfois les témoins de cette étape, lorsqu’une personne déménage du lieu de son histoire pour aller vers un établissement spécialisé comme un Ehpad.
Les choses se compliquent généralement lors de ce passage à une vie plus exiguë, dans une vingtaine de mètres carrés avec les quelques affaires que vous avez pu sauver. Ceci se vit en moyenne à l’âge de 85 ans. Effectivement, avec une autonomie qui se réduit peu à peu, et souvent aussi avec le souhait de ne pas être un poids pour la famille, les personnes font ce choix de rentrer dans une structure adaptée.
S’impose alors un long chemin d’acceptation de cette réduction d’espace et de possibles, pour inventer une autre vie dans ce contexte. Accepter son âge, accepter la vieillesse dépend entre autres de l’image que nous en avons. Entre ceux qui mettent en avant l’idée que la vieillesse serait un naufrage et ces personnes âgées apaisées, souriantes, qui par leur façon d’être vous donnent le sentiment qu’elles sont encore bien vivantes, nous avons le choix!
Quel est notre rapport au temps qui passe? Nous n’avons plus vingt ans ni même quarante ou soixante, nous avons notre âge et notre histoire avec toutes ses expériences et ses émotions. En somme, tout un bagage qui éclaire notre regard, notre réflexion dans le brassage des souvenirs. Le temps passe effectivement, un moment vient l’automne de la vie pour se rapprocher de la fin de notre pèlerinage.
Une période pleine de vie et de lucidité
Nous pourrions me semble-t-il défendre l’idée que la vieillesse peut être aussi une période pleine de vie et de lucidité, d’appréciation du beau et du bon. Nous regardons nos enfants, ou ceux des autres évoluer, nous pouvons soutenir les plus jeunes, nous pouvons nous féliciter de tout ce que nous avons investi pour le bien-être de ceux qui nous entourent… Bien que déjà, peut être, nous mesurons la baisse d’énergie, certaines difficultés physiques ou la mémoire qui n’est plus ce qu’elle était… n’oublions pas, malgré tout, ces aspects positifs.
«La vieillesse est comparable à l’ascension d’une montagne : plus vous montez, plus vous êtes fatigués et hors d’haleine, mais combien votre vision s’est élargie» (1). Accepter de diminuer petit à petit, faire le deuil de l’éternelle jeunesse, accepter que la vie ait un terme, sont autant d’atouts pour aborder la vieillesse. Cela est plus facile si vous avez le sentiment d’avoir vécu une vie suffisamment satisfaisante. Mais si ce n’est pas le cas, c’est peut-être l’occasion d’en parler pour se libérer de tout ce qui encombre depuis trop longtemps. Rencontrer un psychothérapeute, un pasteur ou un prêtre peut être l’occasion de reconsidérer les choses pour poursuivre de manière plus apaisée.
Le propre de la foi chrétienne est de nous appeler à porter un autre regard sur soi-même, sur les autres, et peut-être aussi sur la vieillesse.
Transition
Lorsque le moment est venu, accepter, c’est aussi renoncer. Pour qui entre en maison de retraite, se séparer d’un meuble de famille trop encombrant, d’un service de vaisselle ou de bien d’autres objets, s’avère un exercice redoutable! Il suffit d’avoir à débarrasser un jour une maison pour se rendre compte qu’il était déjà difficile de se séparer de vieilleries et de toutes sortes de choses étonnantes. Mais elles représentaient aussi une accumulation de souvenirs.
L’entrée en maison de retraite peut être violente à ce niveau-là. Être privé du jour au lendemain de vos repères et de tout ce qui faisait votre paysage quotidien. Renoncer aussi à ses habitudes avec le voisinage, les commerçants, les amis. Ces quelques mots échangés avec des habitués vous donnaient chaque jour le sentiment d’exister, de faire partie du quartier, de compter pour eux. Se dessaisir, se dépouiller de ce qui n’est plus possible, plus nécessaire, nous force en quelque sorte à ne garder que l’essentiel.
La décision peut aussi être progressive, en intégrant l’accueil de jour d’une structure; ceci présente l’avantage d’une transition moins brutale vers cette nouvelle vie. En effet, vous êtes pris en charge la journée et retournez chez vous le soir. Il est à noter quand même que certaines personnes décident elles-mêmes de leur entrée en Ehpad pour rompre leur solitude. Elles s’y sentent moins isolées.
Les finances rentrent bien sûr en ligne de compte; quand on a eu l’habitude de faire beaucoup soi-même et qu’on doit accepter de payer quelqu’un pour ces tâches à domicile, le budget s’en ressent. Il ne reste parfois que le juste nécessaire pour survivre. Néanmoins, des personnes préfèrent parfois rester chez elle pour éviter aux enfants de se sacrifier pour financer une place en Ehpad.
L’Ehpad de demain
Le mot de déraciné convient à une personne qui s’installe dans un établissement plus adapté à son manque d’autonomie. En effet, si la présence du personnel rassure et les siens et les résidents, cela ne signifie pas forcément nouvelle famille.
«Si beaucoup de résidents s’accommodent de l’indifférence des autres pensionnaires à leur égard, ils expriment en revanche un grand besoin de relationnel avec le personnel qui s’occupe d’eux au quotidien. Ainsi, il apparaît extrêmement important pour les personnes âgées que les personnels aient des qualités humaines et relationnelles».(2)
Des concepts comme Humanitude (3) développent cette attention particulière à la personne, par la parole, le regard, le toucher et en favorisant la verticalité pour éviter le statut de grabataire. Par ailleurs, le développement de groupes de réflexion éthique dans les établissements contribue à tenir compte aussi des valeurs de la personne dans les prises de décision concernant les soins et l’accompagnement. On ne peut que se réjouir de toutes ces initiatives qui vont dans le sens de ce qu’on espère pour l’Ehpad de demain.
Selon un rapport de l’Anesm, «les Ehpad ont toujours mauvaise presse. 49% des Français ont une ‘mauvaise image’ des maisons de retraite» (4). Même si on n’y rentre désormais que très tardivement, quand l’aide à domicile ne suffit plus, souvent il faut bien se résigner. Il suffit de parler avec ces personnes qui viennent de s’installer dans leur chambre pour mesurer ce qu’elles sont en train de vivre ou plutôt de subir. Mais elles ne veulent pas alourdir la charge des enfants et préfèrent encore se contenter de cette nouvelle situation…
Si chacun fait comme il peut, je veux souligner ici l’importance de considérer la complexité de ce que peut vivre la personne âgée dans cet ultime déménagement. S’il nous appartient de réfléchir, de considérer et de se préparer à cette dernière période de sa vie, nous ne pourrons pas, un moment donné, faire face seul.
Proches et prochain
Ce sera d’autant plus facile de lâcher prise, d’accepter, si la famille et les proches prennent le relais et veillent sur leurs parents avec cette délicatesse qui vous aide à supporter les bouleversements. Car il s’agit bien d’inventer une nouvelle vie avec ce qu’il vous reste d’énergie et de possibilités. La Fondation Diaconesses de Reuilly est attentive à ces questions et réfléchit à des solutions innovantes.
Des études relatives à l’Ehpad de demain préconisent que, pour être de véritables lieux de vie, les Ehpad doivent répondre à trois exigences selon le rapport Libault (5):
«Être un logement sécurisant les activités quotidiennes, respecter l’intimité et les choix de vie des résidents, constituer un lieu où l’on se sent habitant, c’est-à-dire intégré au sein d’un voisinage et d’un environnement de vie».(6)
Les aumôniers contribuent aussi avec leurs équipes de visiteurs à adoucir le quotidien des résidents. En effet, la spiritualité, la foi chrétienne a cette vertu de vous accompagner dans toutes les étapes de la vie. Il suffit d’observer ce qui se passe lors d’un entretien chez la personne âgée ou lors d’un culte en maison de retraite pour apprécier cette ferveur encore à chanter un vieux cantique, à dire une prière, à évoquer ce qui a été important pour elle et qui a fait sens.
Il reste donc l’essentiel, cette humanité, cette vie intérieure qui brille encore dans le regard de toutes ces personnes âgées que nous croisons et qui nous rappellent, si nécessaire, que ce sera à nous bientôt, d’accepter ce qu’elles traversent.
Jean-Louis Massot est aumônier coordinateur de la Fondation Diaconesses de Reuilly (50 établissements).
Illustration: cours de danse dans une maison de retraite aux États-Unis (photo University of the Fraser Valley, CC BY 2.0)
(1) Citation d’Ingmar Bergman (réalisateur, metteur en scène et scénariste suédois (1918-2007), chef de file du cinéma scandinave contemporain).
(2) Haute Autorité de Santé (Anesm), Qualité de vie en Ehpad (volet 3), La vie sociale des résidents en Ehpad, p.37. La première phrase est sourcée: DRASSA, La qualité de vie en maison de retraite, Aquitaine, p.23.
(3) Humanitude.
(4) Haute Autorité de Santé (Anesm), Op.cit., p.3 (d’après un sondage TNS Sofres de 2007).
(5) Concertation Grand âge et autonomie (rapport de Dominique Libault, mars 2019). Par lettre de mission en date du 17 septembre 2018, le Premier ministre a demandé à Dominique Libault de conduire une concertation et de faire des propositions de réforme, notamment dans la perspective d’un projet de loi. Une vaste concertation nationale a permis d’élaborer des propositions avec les personnes et les acteurs concernés.
(6) L’Ehpad de demain: un lieu de vie ouvert sur la cité, Cap Retraite, 15 mai 2019.