Haute trahison dans la cour de récré - Forum protestant

Haute trahison dans la cour de récré

La décence, la moralité et la santé mentale semblent défaillir au sommet d’une nation qui prétend dominer le monde alors qu’elle est manifestement en train d’orchestrer elle-même son déclin.

Texte publié sur AgoraVox.

 

 

Le 8 décembre 2025, on apprenait que Trump autorisait la vente de certains semi-conducteurs fabriqués par la société Nvidia à la Chine populaire, et cela à la suite d’un entretien avec son président, Xi Jinping. Nvidia devra reverser à l’État américain 25% du chiffre d’affaires des ventes de processeurs graphiques et de diverses puces très recherchées pour le développement de l’IA. Les faucons de Washington (qui s’opposent timidement aux vrais…) craignent que la Chine populaire n’en profite pour renforcer ses capacités militaires – et peut-être celles de la Russie, soit dit en passant.

Mais ce n’est pas tout. Quelques congressistes démocrates posent des questions sur les dons substantiels faits à Donald Trump pour son projet de salle de bal attenante à la Maison Blanche par plusieurs grosses entreprises, dont Meta, Apple, Microsoft, Amazon… et Nvidia. D’où des soupçons de favoritisme et d’échanges de bons procédés. Les sociétés soupçonnées traînent la patte pour répondre aux questions, Microsoft allant jusqu’à faire comme si elle n’avait reçu aucun courrier.

L’imposture grandit quand on apprend que le PDG de Nvidia, Jensen Huang, a la double nationalité états-unienne et taïwanaise – Amérique + Chine nationaliste, censés être des adversaires, voire des ennemis, de la République Populaire de Chine. En d’autres temps, tout cela se fût apparenté à de la haute trahison. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’absence intégrale d’éthique des marchands et dirigeants américains ou semi-américains, qui vendent leur mère ou leur mère-patrie pour un plat de puces.

 

Charles VI à Washington

Et que dire des revirements de Trump, qui punit puis récompense, menace puis caresse, au gré de ses humeurs du jour et peut-être de celles de sa femme (si toutefois elle prend encore ses petits-déj avec lui). Et presque tout le monde, aux USA comme à l’étranger, guette ces humeurs royales, plie l’échine devant le monarque, se le concilie avec force courbettes et mains passées dans le dos en surveillant ses moindres réactions comme l’huile des frites de MacTrump sur le feu. Quelques exceptions à cette servilité: la Chine qui laisse dire et laisse faire en disant «même pas mal» (ce qui correspond aux faits); la Russie qui a fait de Trump sa marionnette et, pire, son complice; et peut-être le Brésil et une poignée de courageuses nations.

L’Europe, qui a encore trop besoin d’Oncle Sam ou de papa, encaisse sans protester les insultes d’un vieux caractériel dont le vocabulaire ne dépasse pas celui d’un gamin de 6 ans. Quelques citations entre dix mille autres démontrent l’indigence du vocabulaire et de la pensée. Les dirigeants européens,

«je les aime tous. Je n’ai pas de véritable ennemi. Certains sont des amis. (…) Je connais les mauvais dirigeants, je connais les intelligents, je connais les stupides. Il y en a de vraiment stupides aussi».

Et d’ajouter: «Ce qu’ils font avec l’immigration est un désastre». Séquence géographie:

«J’adorais Paris. C’est un endroit très différent de ce qu’il était. Si vous regardez Londres, vous avez un maire nommé Khan. C’est un maire horrible, vicieux, dégoûtant. J’aime Londres. Et je déteste voir cela arriver. Mes racines sont en Europe, comme vous le savez».

Quant à Viktor Orbán, le Premier ministre nationaliste hongrois, il «fait un très bon travail, d’une façon différente, en matière d’immigration». Trump précise: «J’ai soutenu des gens que beaucoup d’Européens n’aiment pas». Ça, on le savait. Et nous voilà toutefois rassurés par le fait que Trump, qui n’a pas de sang amérindien, a pris conscience que ses origines sont dans ce continent qu’il méprise.

Enfin, concernant l’Ukraine, Trump reproche à Zelensky de ne même pas avoir lu le plan de «paix» (ou plutôt de capitulation) des États-Unis qui, en fait, est largement celui de Poutine. Si cela était vrai, on devrait d’ailleurs féliciter Zelensky de ne pas avoir perdu son temps à lire ce chiffon de papier, auquel d’autres usages siéraient mieux… et préciser qu’il n’a pas de leçons à recevoir d’un potentat qui s’exprime comme l’illettré qu’il est peut-être. Généralités, bons et mauvais points arbitrairement décernés, caprices de gosse réversibles du jour au lendemain, capacité d’analyse proche de zéro, vision à long terme radicalement nulle, tout cela est inquiétant. Même «W» était rassurant au moins sur un point: il était constant dans son inculture et dans sa politique. Trump est plutôt comparable à notre Charles VI. Le problème, c’est que son potentiel Régent est aussi peu recommandable que lui, mais plus jeune et plus intelligent… donc plus redoutable.

 

We’re a poor lonesome Europe

Vérification faite, le Président des États-Unis est constitutionnellement doté de pouvoirs quasi monarchiques (il a effectivement le droit de signer à peu près tout et n’importe quoi tant que personne ne s’y oppose), qui seraient tempérés si le Congrès américain n’était pas tétanisé par celui que le peuple a majoritairement porté au pouvoir malgré les 46 chefs d’inculpation qui pesaient sur lui, y compris une complicité de tentative de coup d’État. Hélas, dans un pays où les juges sont élus et où beaucoup de crimes et délits se règlent par des transactions financières, la décadence est beaucoup plus grave que celle de l’Europe occidentale; la faiblesse du contre-pouvoir aujourd’hui exercé par les élus a fait de cette nation une quasi dictature que les coups de canifs répétés aux institutions risquent de laisser dans un état irréversible de régime autoritaire.

J’apprends que les Français, entre autres, ne sont pas vraiment bienvenus aux États-Unis et qu’ils subiront des contrôles sur leur usage des réseaux sociaux. Moi qui ne vais jamais sur Truth Social ni sur X et qui stocke une petite collection de blagues sur Trump, je n’ai pas intérêt à me pointer à l’aéroport de JFK. Ça tombe bien: je n’ai aucune envie d’y retourner – la dernière fois, c’était à l’époque du bon Jimmy Carter; je préfère rester sur un bon souvenir.

Les États-Unis ne sont plus nos alliés, et ils ne sont pas fiables à l’heure où j’écris. Tant que Trump sera en place, nous pouvons même considérer qu’ils sont nos ennemis, complices avérés de l’ours russe, de son invasion de l’Ukraine et de son projet à peine voilé de reconstituer l’empire soviétique. L’Europe est donc seule et doit jouer la carte de sa dignité en préparant les conditions de sa relative autonomie. En attendant, beaucoup d’eau polluée coulera sous les ponts (restants) du Dniepr…

 

Illustration: Trump arrive à la Maison Blanche le 14 décembre 2025 après la fusillade à l’Université Brown.

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