L’usage de l’eau: des tensions qui en préfigurent d’autres - Forum protestant

L’usage de l’eau: des tensions qui en préfigurent d’autres

«On a trop tiré sur la ficelle.» Avec moins de pluies mais toujours autant de maïs, un système qui a pu fonctionner un temps atteint aujourd’hui ses limites et provoque un conflit où «l’intérêt à long terme des agriculteurs s’oppose à l’intérêt à court terme de la plupart d’entre eux».

Texte publié sur Tendances , Espérance.

 

 

L’usage de l’eau fait l’actualité, ces jours-ci: entre les annonces du plan eau par Emmanuel Macron et les conflits autour des mégabassines du Poitou, beaucoup de gens se sentent concernés. J’ai pu mesurer, d’ailleurs, vu que je participe à une instance citoyenne, au niveau de l’intercommunalité à laquelle j’appartiens, que la question, à présent, déborde le cadre de la seule agriculture. Le citoyen de base s’interroge, désormais, sur son accès à l’eau potable (même s’il achète de l’eau en bouteilles). La perspective d’ouvrir le robinet, chez soi, et de ne rencontrer que le vide, génère une vive inquiétude.

Or les usages agricoles de l’eau sont parmi les plus importants ce qui, indirectement, accentue la pression mise sur le monde agricole. Encore faut-il se repérer dans le maquis des chiffres qui circulent et qui peuvent sembler dire tout et son contraire.

D’abord il faut distinguer entre prélèvement (provisoire) des ressources en eau et consommation (nette) de l’eau. Une centrale nucléaire, par exemple, utilise de l’eau pour son refroidissement, mais elle la remet pratiquement immédiatement dans le circuit: elle réchauffe l’eau (ce qui n’est pas dénué d’impact), mais sa consommation nette est très faible. Si le niveau d’eau baisse cela mettra la centrale en difficulté, mais elle ne contribuera pas à une pénurie d’eau.

Il en va autrement dans l’agriculture: une partie de l’eau qui est déversée (naturellement, ou via l’arrosage) sur les cultures, retourne immédiatement dans le sol, mais l’essentiel est capté par la plante elle-même, une partie s’évapore (y compris ce que la plante a capté, car la plante transpire) et devient, de la sorte, inutilisable à court terme. C’est dans le domaine de l’agriculture que la part d’eau consommée définitivement dans l’eau prélevée est la plus importante.

On scrute, dès lors, de très près les quantités d’eau consommées par type de culture ou d’élevage et c’est ainsi que la culture du maïs est pointée du doigt. Mais, là aussi, il faut se méfier des raccourcis.

 

Le maïs et sa dépendance à l’irrigation

Les producteurs de maïs ne manquent pas de rappeler que le maïs ne consomme pas plus d’eau que les autres céréales (voire un peu moins suivant les types de maïs considérés). Mais le maïs a un défaut majeur: la maturation de la plante est tardive (comparée au blé, par exemple), ce qui oblige à l’arroser pendant les mois d’été, quand il pleut peu et que la ressource en eau devient rare. Le blé s’arrose moins, voire pas du tout s’il pleut suffisamment au printemps, et il nécessite de l’eau à une période moins critique.

On a donc, au départ, spécialisé la culture du maïs, soit sur la façade atlantique où la pluviométrie était abondante, soit dans des bassins fluviaux où le prélèvement ne posait pas de problème.

La carte ci-dessous montre les régions de culture du maïs en France.

Le problème est que la pluviométrie diminue régulièrement, sur la façade atlantique, depuis plusieurs années. Donc l’eau qui semblait être une ressource inépuisable est devenue, progressivement, une ressource contingentée. Et la carte ci-dessous, qui recense la fréquence des restrictions d’usage de l’eau, montre que la situation, paradoxalement, est plus critique dans l’ouest que dans l’est ou dans le sud de la France.

Et cela vient du fait que l’on a trop tiré sur la ficelle: on voit dans le graphique ci-dessous que la consommation agricole d’eau est plus importante dans le bassin de l’Adour-Garonne que dans le bassin Rhône-Méditerranée, et qu’elle atteint en Loire-Bretagne, quasiment le niveau de Rhône-Méditerranéee.

(Source : SDES, Ministère de la Transition Écologique)

Il y a donc, spécialement dans l’ouest de la France, un conflit d’usage en été, entre l’accès à l’eau pour tout un chacun et l’arrosage du maïs. Et voilà comment est née l’idée de construire de grands stockages d’eau qui permettraient de ne pas peser, en été, sur les réserves d’eau, pour pouvoir arroser (surtout) le maïs.

Mais le hic est que la pluviométrie moyenne déclinante et les épisodes de plus en plus fréquents de grosse chaleur font baisser le niveau moyen des nappes, de sorte que l’idée de pomper dans les nappes en hiver est devenue tout sauf indolore.

 

Sortir de la culture du maïs n’est pas facile

L’idée presque évidente, face à de telles difficultés, est d’arrêter de cultiver du maïs dans ces régions. Quand le ministre de l’Agriculture défend les mégabassines en disant que ses utilisateurs devront s’engager à mettre en œuvre plus d’agroécologie, il fait de l’humour involontaire, car le point 1 de l’agroécologie est de prendre en compte le contexte climatique pour adapter les cultures à ce contexte.

Au reste, tous les agriculteurs qui ont pris le virage d’une agriculture plus respectueuse des phénomènes naturels s’opposent à ces projets de retenue.

Mais pour les autres (qui représentent la majorité des agriculteurs) qu’en est-il? Il n’est pas si simple de changer l’affectation des sols, car les exploitants sont pris dans un engrenage où tout se tient.

Le maïs sert avant tout à l’alimentation animale. Une première voie d’évolution serait de consommer moins de viande, mais là on voit que l’enjeu dépasse complètement l’agriculture. C’est nos modes d’alimentation qu’il faut remettre en question.

Pour ce qui est de la nourriture animale, le maïs est une solution très productive et sa culture est bien maîtrisée. En clair c’est une culture assez prévisible et de bon rapport. Les cultures alternatives sont plus aléatoires parce qu’elles n’ont pas été mises en œuvre sur une aussi longue durée. Et les éleveurs de bovins (dont certains cultivent eux-mêmes le maïs), poussés à la fuite en avant dans des exploitations de taille de plus en plus grande, font face à des équations économiques tendues, de sorte qu’ils ne sont pas prêts à prendre des risques sur le fourrage.

Donc on voit qu’un déséquilibre sur l’approvisionnement en eau met en péril toute une chaîne de production. Et on ne peut pas changer un des maillons de la chaîne sans, par ricochet, provoquer des mutations profondes sur le reste de la chaîne.

 

Il faudra en venir, tôt ou tard, à des révisions déchirantes

Pourtant il faudra en venir à des options que, pour l’instant, la majorité des acteurs refusent. La timidité des politiques publiques aujourd’hui affichées fait que ce basculement se fera probablement dans les larmes et la violence. L’État en est, d’ores et déjà, à expédier 20 escadrons de gendarmes mobiles, neuf hélicoptères, quatre véhicules blindés, quatre canons à eau pour défendre le chantier d’une des retenues. Le niveau de conflictualité atteint montre l’importance des intérêts contradictoires en jeu. Et plus la situation sera critique, plus la tension montera.

Le drame est que l’intérêt à long terme des agriculteurs s’oppose à l’intérêt à court terme de la plupart d’entre eux. Et aucun gouvernement n’ose pour l’instant dessiner les contours d’un avenir commun (bien au-delà de la seule agriculture) qui permettrait d’aborder ces questions critiques avec un minimum de sérénité.

Il nous faudra donc, contraints et forcés, en venir à des pratiques que nous aurions pu endosser, collectivement, avec fierté et optimisme. C’est sans doute là la tragédie qui a déchiré autrefois les prophètes puis ceux qui ont écrit les textes apocalyptiques du Nouveau Testament. Pourquoi les hommes tournent-ils aussi régulièrement le dos à ce qui pourrait leur permettre de vivre de manière digne et paisible?

 

Illustration: bassine agricole en Aunis, près de La Rochelle (Géoportail).

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