« L’idée de nature » dévoyée par le politique
Le discours politique est envahi par le vocabulaire emprunté à la nature dès lors qu’un débat de société touche à la morale et à l’éthique. La fameux ordre naturel des choses, à ce point immuable que tout devrait être fait pour que rien ne bouge, est utilisé à des fins politiques pour bloquer tout changement.
Ce n’est pas nouveau mais de plus en plus, le discours politique est envahi par le vocabulaire emprunté à la nature dès lors que le désir de changement du fonctionnement de notre société touche à la morale et à l’éthique. Les débats sur la théorie du genre, sur le statut de l’embryon, sur le mariage pour tous, sur la fin de vie, sur la procréation médicalement assistée et d’autres encore, qui se sont déroulés, tant dans les enceintes parlementaires qu’en dehors, ont permis ce retour vers la bonne mère nature. Alors que les problèmes évoqués sont loin de tout simplisme naturel en la matière.
Ainsi l’ordre naturel des choses serait à ce point immuable que tout doit être fait pour que rien ne bouge. Il y aurait un fondement naturel à la morale et à l’éthique de nos comportements en société. Assez d’entendre inlassablement répétés ces mots utilisés pour faire pression, pour impressionner, pour imposer un ordre qui nous serait dicté par la nature. La nature serait bonne et bienveillante et pour bien vivre, il suffirait de la suivre et de la respecter. Comment peut-on à ce point être devenu sourd, muet et aveugle pour ne pas admettre que ces mots ont perdu leur sens à force d’être banalisés ? Les lois de la nature ne sont ni bonnes ni mauvaises, elles sont ! Et de la recherche de la compréhension et du mode de fonctionnement de ces lois est née une nouvelle interrogation sur l’homme et sur la société, on pourrait l’appeler le progrès.
Par exemple, le couple ne pourrait s’entendre qu’homme et femme parce que c’est ainsi que fonctionne la nature ! De la complémentarité des sexes vient l’émergence d’une certaine nouveauté : par la fécondation, la loterie génétique fait certes apparaître des traits, des caractères, des formes qui multiplient la diversité. Faut-il pour autant laisser la nature agir comme seule force de progrès ? Cela n’a pas de sens : on le sait maintenant, à l’échelle temporelle de la vie humaine, la nature reste dans la grande majorité des cas fondamentalement conservatrice, le nouveau n’étant que le fruit du hasard des erreurs de son fonctionnement, des mutations génétiques. Et c’est à l’échelle des temps géologiques qu’il faut analyser les progrès de l’évolution, au sens darwinien du terme. Oui, assez de cet aveuglement naturel qui n’a plus de sens dans la mesure où la maîtrise des processus qui gouvernent le fonctionnement de la nature, que l’on acquiert peu à peu grâce à la recherche, permet aujourd’hui de dépasser ces processus et de progresser vers un environnement meilleur pour un homme meilleur.
Il ne s’agit pas que de morale ou d’éthique, mais bien de politique et c’est sur ce terrain que doit être combattu ce discours naturel réactionnaire
Ceux qui tentent d’imposer ces mots dans le discours sociétal, comme si rien n’avait bougé, au nom d’un ordre naturel, oserais-je dire sur-naturel, tentent de mêler morale et religion. Écoutons-les : Dieu a créé le monde, ce monde est beau, ce monde est bon. Alors, pour l’amour de Dieu, respectons ses fondements ! Ainsi, il n’y aurait pas de distinction entre amour, sexualité et reproduction. A bas la contraception, à bas la procréation médicalement assistée (PMA) ! Qu’importe le fait que la PMA permette à des couples en difficulté d’avoir des enfants ; que la maîtrise de la reproduction permette un meilleur destin pour la femme dans sa sexualité, de disposer de son corps : la seule finalité naturelle de l’amour serait l’accouplement en vue de la reproduction. Cela n’a plus de sens !
Comment faire comprendre à ceux qui tentent d’imposer leur point de vue par la pression qu’ils exercent, que nous ne sommes plus au 18e siècle à exalter comme Jean-Jacques Rousseau dans Julie ou la Nouvelle Héloïse les bienfaits d’un retour à la vie naturelle ? On ne peut hélas espérer voir s’éteindre d’elle-même leur agitation, remplie de certitudes avec ses mots naturels, car elle est sans cesse relancée par des forces politiques qui savent l’utiliser dans un combat qui la dépasse. Il est temps que le silence soit rompu et que l’on appelle un chat un chat : il ne s’agit pas que de morale ou d’éthique, mais bien de politique et c’est sur ce terrain que doit être combattu ce discours naturel réactionnaire. Dans l’immédiat, la fin de l’histoire, si elle bien écrite dans la loi au regard du politique, par exemple par l’adoption et la mise en application de la loi sur le mariage pour tous, reste aujourd’hui indécise au regard de son acceptation par une partie de la société. Mais n’avait-on pas déjà dit la même chose pour les lois instaurant la contraception, l’avortement, le divorce par consentement mutuel, le PACS, et qui maintenant ne posent plus de problèmes ?
Il n’en reste pas moins qu’utilisés et manipulés par la frange politique la plus radicale, certains peuvent adopter des comportements qui sont susceptibles de constituer une menace pour la démocratie : quelle honte que d’en avoir vu (y compris des enfants !) brandir des bananes et pousser des cris de singe lors d’un déplacement de Christiane Taubira, notre garde des Sceaux, parce qu’elle a porté jusqu’au bout le combat politique de la loi sur le mariage pour tous ; quelle honte d’avoir entendu dans une manifestation anti-Hollande du collectif dit Jour de colère (rassemblement hétéroclite d’intégristes catholiques, d’opposants au mariage pour tous, de partisans de Dieudonné, d’identitaires …) des slogans antisémites rappelant les tristes heures des ligues des années 1930.
Ce n’est pas le blocage de toute avancée dans les modes de vie de notre société, surtout au nom de la nature, qui redonnera espoir
Et s’il faut parler de menace, peut-on encore se contenter d’une simple prise de conscience salutaire ? Mon optimisme naturel et ma foi en l’intelligence de l’homme me poussent à ne prendre ces menaces que comme des alertes qui doivent nous amener à agir et à nous engager. Il est temps de rompre le silence qui encourage la banalisation des idées invoquant par exemple le recours à la nature. Il n’y a pas danger imminent, mais il y a menace et cette prise de conscience doit être mise en perspective pour contribuer à rétablir la vérité. Il faut dénoncer les illusions simplistes de ces positions qui sont facilement reprises parce que nous traversons une période de crise difficile : il n’y aurait pas d’autre progrès possible pour la société des humains que le moteur de la nature qui nous gouverne.
L’exercice de l’autorité par le pouvoir politique est indispensable pour rendre crédible la dénonciation de la démagogie, du tous pourris, et ce qui est inquiétant c’est que l’on ne voit pas cette autorité se manifester, sauf peut-être pour le combat contre l’insécurité et l’immigration illégale. Beaucoup de rêves ont été brisés, d’illusions perdues, parce que les faits de la crise que nous traversons sont têtus et qu’ils imposent parfois bien des contraintes dont on souhaiterait se passer. Mais ce n’est pas le blocage de toute avancée dans les modes de vie de notre société, surtout au nom de la nature, qui redonnera espoir. La réussite, surtout en politique, est souvent illusoire et s’accompagne de bien de déceptions. C’est pourquoi il est nécessaire de prendre du recul pour comprendre la force des évènements que nous vivons et les mettre en forme pour dénoncer ces menaces. Et laisser la nature nous environner, mais pour notre plus grand plaisir !
(Illustration : Manif pour tous, 2014)