Qui sont les personnes détenues dans les prisons françaises? - Forum protestant

Qui sont les personnes détenues dans les prisons françaises?

Non, ce ne sont pas des prisons club-med… Parmi les 65000 personnes détenues à la fin de l’année dernière, très majoritairement des hommes et des jeunes, il y a aussi nettement plus de troubles mentaux, d’illettrisme et d’échec scolaire, de chômage et de personnes sans domicile (avant et après le séjour en prison) que dans le reste de la population. Cette «très grande précarité économique, sociale et mentale» explique que si peu de «trajectoires pénitentiaires» débouchent sur une réinsertion.

Texte publié sur le blog Aumônerie protestante des prisons.

 

 

À la fin de l’année 2020, la population carcérale représente environ 65000 personnes, et le nombre total d’individus incarcérés au cours de la même année s’élève à plus de 100000, environ 0,15% de la population française. Il s’agit d’une population majoritairement jeune, dont la moitié est âgée de moins de vingt-cinq ans, et dont 23% n’a pas la nationalité française. Sur ces 65000 individus, les hommes représentent environ 94% de la population carcérale, les femmes près de 5% et les mineurs environ 1%. Cette disparité des âges et des sexes est due à l’existence d’un biais de genre et d’âge, qui fait qu’une femme ou un enfant seront moins souvent incarcérés qu’un homme pour un acte identique. Mais au-delà de ces chiffres qui décrivent sans rien expliquer, qui sont, d’où viennent, les personnes détenues?

 

La prévalence de la maladie mentale

Un lieu commun tenace est que les détenus seraient tous de dangereux criminels, qu’il convient d’enfermer le plus longtemps possible afin de protéger la société de la menace qu’ils représentent. Un simple chiffre permet de relativiser cette supposée dangerosité des détenus: la durée moyenne de détention est de onze mois, ce qui traduit une peine prononcée pour un acte de petite délinquance, et non pas pour un crime violent.

Un autre lieu commun veut que les prisons soient des clubs-med, des hôtels cinq étoiles, car les détenus bénéficient d’activités sportives et culturelles, ont la télévision en cellule, et disposent même d’un accès au téléphone. Un deuxième chiffre permet de reconsidérer avec un œil neuf ce cliché. Il s’agit de celui du taux de suicide en détention: il est sept à dix fois plus élevé que dans la population française. Et au quartier disciplinaire, ce taux est sept à dix fois supérieur à celui de la détention dans un quartier ordinaire. Pour autant, personne ne soutiendra que le taux de suicide au club-med est cinquante à cent fois plus élevé que sur un lieu de travail ou à domicile.

Cette triste constatation est révélatrice d’une autre réalité, bien souvent ignorée, qui est celle la prévalence élevée des maladies psychiatriques parmi les détenus. Environ 6% des détenus en France souffrent de schizophrénie, ce qui est quatre fois plus élevé que dans le restant de la population française. En faisant la somme de tous les troubles psychiques et maladies psychiatriques, on arrive au résultat qu’environ le tiers de la population carcérale nécessite une prise en charge pour sa santé mentale.

 

L’échec scolaire, première caractéristique de la population carcérale

Sur le plan de l’éducation, la prison est l’apanage de l’échec scolaire. Selon les données du ministère de la justice, plus de 50% des détenus se situent «au mieux à un niveau de fin d’études primaires et ne disposent pas de réelle qualification professionnelle», alors que le taux de réussite sur le plan national au diplôme du brevet des collèges est d’environ 87%. Pour compléter ce tableau, 20% des détenus échouent au bilan de lecture, 11% relèvent de l’illettrisme ou de l’analphabétisme, et 14% ne parlent pas le français ou le font de façon rudimentaire. Le bilan de la rescolarisation et de la lutte contre l’illettrisme en détention est déplorable: seul un détenu sur cinq est scolarisé de manière régulière, pour une durée d’environ une heure par jour. Il s’agit donc d’une prise en charge très insuffisante, car le critère de durée retenu pour définir la scolarisation se limite à un enseignement d’une durée de 3 semaines ou à un module de 20 heures, et cela au cours de la totalité de la peine. Ce qui explique que la prison ne permet qu’à une petite fraction des illettrés et étrangers d’acquérir les bases de lecture et écriture nécessaires avant la sortie, ou bien d’obtenir un diplôme professionnel pour ceux qui n’ont pas eu la chance de faire une formation. Cent-cinquante ans plus tard, l’apostrophe de Victor Hugo reste cruellement d’actualité: «Ouvrez une école! vous fermerez une prison».

 

Le chômage avant, pendant et après la détention

Plus de 50% des personnes incarcérées se déclarent sans emploi lors de leur arrivée en détention. Pour subvenir à leurs besoins quotidiens durant leur peine (produits d’hygiène, enveloppes, timbres, tabac, épicerie…), seuls 28% des détenus vont avoir accès à un travail rémunéré (travail aux cuisines, buanderie, entretien des locaux…), moins d’un détenu sur deux peut compter sur l’aide de sa famille, ce qui laisse 27% de personnes indigentes, sans aucune autre ressource que le pécule mensuel de 20 euros octroyé par l’Administration pénitentiaire.

Un écueil majeur à la réinsertion par la voie professionnelle est que le travail en prison n’est pas soumis au code du travail, ce qui est une conséquence des luttes syndicales de la fin du 19e et du début du 20e siècle qui estimaient que le travail des détenus était une concurrence déloyale pour les travailleurs respectueux de la loi. Ce qui implique qu’à la sortie, les documents administratifs nécessaires pour une recherche d’emploi ou de logement – contrat de travail, feuilles de paye – font cruellement défaut.

N’étant pas soumis à la législation sur le travail, le principe du salaire minimum ne s’applique pas, la rémunération horaire moyenne se situant entre 2,23€ et 5,26€. Une partie non négligeable de détenus doit, en plus de la peine d’emprisonnement, payer des amendes, des indemnités aux parties civiles, des frais d’avocat. Il n’est donc pas surprenant de constater que les détenus n’ont en aucun cas les économies nécessaires pour subvenir à leurs propres besoins après leur sortie de détention.

 

La vie dans la rue, cause et conséquence de l’incarcération

Les sans-abris représentent environ 0,2% de la population française, mais 7% des entrants en prison se déclarent sans domicile. Si un sans-abri a 35 fois plus de risque d’aller en prison qu’une personne ayant un logement, cela ne s’explique pas par le fait qu’il serait 35 fois plus criminel qu’un citoyen ordinaire, mais parce qu’il sera presque systématiquement incarcéré à l’issue de son arrestation par les forces de l’ordre, de peur qu’il ne se présente pas à son jugement.

La précarité avant la détention est une réalité qui est aggravée lors du séjour en prison: 14% des détenus déclarent ne pas disposer de solution d’hébergement à leur sortie, car ceux qui étaient à la rue y retournent, tandis que d’autres ont perdu leur hébergement, n’ayant pas pu payer le loyer, ayant dû le vendre pour payer leurs frais de justice, ou ayant été exclus de leur domicile après une rupture conjugale annoncée lors de la détention.

Ces quelques données chiffrées permettent de mettre en évidence la triste réalité que les clichés sur une prison club-med ne sont que des écrans de fumée destinés à masquer le fait que la population carcérale se distingue du restant de la population française par une très grande précarité économique, sociale et mentale. Et si la trajectoire pénitentiaire est parfois pour certains une étape vers la réinsertion, elle est généralement pour les autres une étape supplémentaire dans la descente vers la marginalisation.

 

Illustration: camion de l’Administration pénitentiaire à Paris (photo CC-Kevin.B).

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